09/11/2019
Nous avions été élevés par des gens qui croyaient à la réalité du sang
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« La campagne s‘était trouvée de nouveaux chefs, des types qui la réorganisaient dans leurs bureaux. De Londres, de Bristol, ils sont venus nous convaincre que l’avenir était dans la production en batterie. Ils disaient qu’aujourd’hui un éleveur doit nourrir des centaines, des milliers de gens entassés dans les villes. La planète n’a plus la place pour le bétail, les hommes n’ont plus le temps de les mener au pré. Sur la même surface, désormais, la technique permettait d’augmenter le rendement ! Il suffisait de ne plus exiger de la terre qu’elle fournisse sa force aux bêtes, mais de leur apporter l’énergie nous-mêmes, sur un plateau !
C’était une révolution. Car nous avions été élevés par des gens qui croyaient à la réalité du sang. Jusqu’ici, les bêtes que nous mangions se nourrissaient d’une herbe engraissée dans le terreau du Dorset, chauffée au soleil du Dorset, battue par les vents du Dorset. L’énergie puisée dans le sol, pulsée dans les fibres de l’herbe, diffusée dans les tissus musculaires des bêtes irriguaient nos propres corps. L’énergie se transférait verticalement, des profondeurs vers l’homme, via l’herbe puis la bête. C’était cela être de quelque part : porter dans ses veines les principes chimiques d’un sol. Et voilà qu’on nous annonçait que le sol était devenu inutile. »
Sylvain Tesson, Une vie à coucher dehors
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