03/03/2020
Barbara Lefebvre : « Rien à charge contre Ladj Ly, tout à charge contre Polanski »
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
FIGAROVOX/TRIBUNE - Récompensé notamment par le César du meilleur film vendredi soir, le réalisateur des Misérables cultive des rapports ambigus avec la délinquance de banlieue et même l’islamisme, rappelle Barbara Lefebvre.
Par Barbara Lefebvre
Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de Génération j’ai le droit (éd. Albin Michel 2018).
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La cérémonie des Césars qui s’est déroulée vendredi soir ressemblait à des obsèques. Celle d’un cinéma français moribond sous l’effet sclérosant d’un entre-soi vieillissant, celui d’une gauche de salon paternaliste prise à son propre piège: la bien-pensance différentialiste. L’industrie du cinéma français incarné par une académie des Césars «trop blanche, trop vieille, trop hétéro, trop bourgeoise» fut dévorée sous nos yeux par des cyniques qu’elle a engendrés : le cinéma des minorités, des offensés, des humiliés. La victime détrônait le bourreau qui l’avait pourtant financée, subventionnée, primée, célébrée. Le bourreau peut parfois être naïf malgré son arrogance…
On pourrait se rassurer en se disant qu’après tout, une nouvelle bien-pensance en remplacera une autre: ainsi une comédienne revendiquant son droit (légitime) à ne pas être réduite à sa couleur de peau décide pourtant de « compter les Noirs » présents dans la salle, une cinéaste militante réclamant la parité dans les instances du cinéma réalise un film 100 % féminin, ode à l’homosexualité féminine, un réalisateur « issu de la jeunesse abandonnée de banlieue » nous assène sa leçon de morale sur la misère, seul ferment des violences et frustrations. Heureusement que Roschdy Zem fut à la hauteur de sa récompense : un grand acteur qui a montré une fois encore qu’il était un grand Monsieur dans ses remerciements et ses hommages, un artiste qui ne s’est jamais laissé réduire à une image, une identité, une case.
Mais il y a ceux qui veulent « courir vite pour rattraper ceux qui sont devant au lieu de courir longtemps » pour reprendre les mots de Roschdy Zem, la tortue victorieuse. Cette nouvelle génération du haut de son magistère victimaire ne rassure pas quand on y regarde de plus près. Roman Polanski était certes indéfendable en raison des crimes pédophiles commis - prescrits ou non - et parce qu’il osa justifier son film en se comparant au capitaine Dreyfus, un authentique innocent, lui. Pourtant, il fallait que Polanski, hier icône transgressive de la gauche caviar, soit sacrifié pour que la nouvelle génération des inquisiteurs s’installe. Un clou chasse l’autre. Les nouveaux inquisiteurs ont des dizaines de films à produire (beaucoup sont déjà dans les instances du CNC pour les avances sur recettes), à réaliser, pour continuer à faire du cinéma français « intelligent » une machine à propagande. Désormais la machine devra être au service et aux mains des minorités qui savent s’ériger en victimes professionnelles. Mais attention, dans le petit monde des artistes donneurs de leçon depuis leur loft dans le 6ème arrondissement ou leur pavillon bourgeois de la proche banlieue en bords de Seine, tout le monde n’a pas la chance d’être une victime pouvant capter la lumière. Un exemple : la tragédie du monde paysan décrite dans Au nom de la terre, magnifique film d’Edouard Bergeon n’a pas sa place dans le palmarès des César. Certes, en 2018, Petit paysan avait reçu le César de la meilleure première œuvre, mais cette année un premier film se voit directement primé meilleur film. Les Misérables et sa litanie de clichés sur la banlieue mérite davantage les hourra que le sort d’un éleveur…
Rien ne devait être retenu à décharge pour Polanski, rien ne peut être à charge contre Ladj Ly. C’est pourtant un personnage intéressant, pétri de contradictions comme tout être humain. Le portrait officiel que la presse a répété docilement est d’un bloc : un jeune vidéaste de talent des banlieues, surgissant des émeutes de 2005 à Montfermeil qui s’est fait tout seul, ou presque. En décembre dernier, on rappela le passé judiciaire de l’artiste donnant à voir un autre aspect de sa personnalité. En 2012, en appel, il avait été condamné à trois ans de prison dont un an avec sursis pour enlèvement et séquestration (faits commis en 2009) dans le cadre d’une sorte de représailles aux allures de crime d’honneur contre l’amant de la sœur d’un copain. Lorsqu’à la sortie du film, quelques journalistes avaient voulu rappeler ces faits, Ladj Ly et ses amis avaient vigoureusement démenti: il y avait erreur sur la personne, il n’était pas le « Ladji Ly » condamné en 2011-2012. En décembre dernier, il fut contraint d’assumer, mais arguant d’une erreur de l’article publié relative à l’incrimination, Ladj Ly avait annoncé une plainte en diffamation, plainte qui n’est toujours pas parvenue aux organes de presse concernés.
Autre élément intéressant, Ladj Ly est un cinéaste qui revendique son désintérêt pour l’art cinématographique, ce qui n’est pas commun. Il n’en a jamais appris la technique, préférant utiliser la caméra de son téléphone portable pour filmer les policiers de sa ville lors de leurs interventions. Des interventions policières qui étaient souvent provoquées par les délinquants de Montfermeil, notamment de la cité des Bosquets où vivait la famille Ly, haut-lieu des trafics à l’époque, haut-lieu de la déshérence éducative vouant les jeunes à vivre dehors, livrés à eux-mêmes (probablement ce que Ladj Ly nomme « la misère des banlieue »). Des guet-apens anti-flics que Ladj Ly venait opportunément filmer, durant lesquels il traquait le geste policier de trop, et pour ce faire il n’hésitait pas à les provoquer verbalement, à les harceler comme en témoigne la vidéo du 28 août 2009 toujours en ligne. Vidéo qui lui vaudra une condamnation en 2011 pour outrages: douze policiers, filmés pendant près de quinze minutes en plan serré alors qu’ils reculent sous les caillassages de jeunes mineurs déchaînés qui leur avaient tendu un énième guet-apens, banal en cette fin d’été. Douze policiers insultés par Ladj Ly, qui se dit « journaliste » à plusieurs reprises dans la vidéo, qui les traite de voyous et de délinquants, leur dit qu’ils sont la honte de la France car « ils viennent attaquer des femmes et des enfants en plein Ramadan ». Douze policiers qui firent condamner l’apprenti cinéaste qui, à ce jour, n’a toujours pas versé aux plaignants l’amende imposée par la justice : 400 euros, ce n’est pas grand-chose pour un réalisateur à succès. À moins que pour Ladj Ly, le policier ne saurait être une victime méritant réparation.
Quand Ladj Ly n’est pas cornaqué par ses amis Romain Gavras, JR ou Kim Chapiron de Kourtrajmé ou surveillé par ses amis de Canal +, il révèle un visage moins lisse que celui qu’il a donné à voir à Cannes ou salle Pleyel vendredi. Son récent dérapage du Blog du cinéma ne l’aura finalement pas envoyé dans le décor, quand d’autres auraient fini dans les douves: le 23 novembre dernier l’article, mis en ligne trois jours avant, est vite effacé quand Twitter s’enflamme. Tout est pardonné, tout est oublié. Heureusement, il nous reste les captures d’écran de ceux que ses propos ont scandalisés... Ladj Ly pense qu’en France une « grosse partie [de la population] est devenue raciste et islamophobe assumée », un pays où « une guerre est déclarée contre l’islam, et j’ai envie de dire contre les banlieues ». En effet, pour ceux qui ont vraiment analysé les Misérables, l’islam semble être, pour Ladj Ly, l’incarnation identitaire des banlieues, le seul acteur pacificateur. Et pas n’importe quel islam : Salah, le Frère musulman salafiste ex-délinquant qui tient un kebab est le vrai héros positif du film, garant de l’ordre, sage médiateur entre les jeunes et la police. Cet entrisme islamiste dans les cités, jamais dans le film ou ses interviews, Ladj Ly ne le remet en question, ni ne le critique. Pourtant il doit savoir faire la différence entre islam et islamisme puisqu’il se dit coréalisateur d’un documentaire au plus près des djihadistes intitulé 365 jours au Mali. En effet, dès sa libération anticipée de prison en 2012, il s’envole pour le pays d’origine de sa famille et y filme différents groupes djihadistes dans le nord du pays, en plein conflit. Performance qui interroge pour quelqu’un qui n’a aucune expérience de journalisme de guerre, ni de réalisation documentaire… (coréalisateurs Saïd Belktibia et Benkoro Sangare).
L’article censuré du Blog du cinéma éclaire sur la capacité de Ladj Ly à dissimuler sa vision violente de la situation française. Quand il est sans filet, Ladj Ly en vient vite aux insultes, aux menaces même quand il vise une femme qu’il sait contrainte à vivre sous protection policière depuis des années : « l’autre connasse de Zineb [el Rhazoui] qui incite les policiers à tirer sur "la racaille de cité". Va te faire enculer ! Comme s’il y avait pas déjà assez d’assassinats de policiers sur les jeunes de cité ». C’est moins chic qu’une conférence de presse à Cannes, une interview au Monde ou un dîner des nominés aux Césars. Outre les attaques contre la journaliste, la dernière partie du propos nous ramène au film de Ladj Ly: un habile pamphlet anti-police. Ces propos au Blog du cinéma le prouvent: il y propage le mensonge colporté par le collectif Adama, le NPA et autres associatifs décoloniaux selon lequel la police tue impunément de jeunes innocents par pur racisme. L’objectif de ces influenceurs de banlieue, qui fascinent la bobocratie culpabilisée parisienne, est de faire monter la haine contre les policiers, derniers représentants de l’État républicain dans certains quartiers. Cette haine est le prélude nécessaire à l’exécution physique de policiers. Ladj Ly qui prétend filmer la vérité de la banlieue pour éviter « la guerre civile » ne pourrait-il pas à présent occuper son talent à raconter, du point de vue des victimes, l’exécution par des jeunes délinquants-criminels de quatre policiers, deux hommes et deux femmes, dans leur voiture de service à Viry-Châtillon en octobre 2016, où celle du couple de fonctionnaires de police de Magnanville massacrés devant leur enfant quatre mois plus tôt ?
Ladj Ly est ombrageux. L’état de la France l’inquiète, il l’a redit d’une voix doucereuse en venant chercher son prix vendredi soir. Mais en novembre 2019, il était plus précis sur la nature de son inquiétude sur le danger qui monte : « il y a une classe, une minorité, qui tient les médias et les politiques jusqu’à en devenir dangereux ». Et comme cette minorité qui tient tout « pousse les gens à s’entretuer », Ladj Ly en conclue : « c’est eux les premiers terroristes »… On est loin de Victor Hugo, mais on est loin aussi des djihadistes d’Aqmi qu’il dit être allé filmer en 2012-2013 au Mali. « La minorité qui tient les médias et les politiques » ne tient pas l’industrie du cinéma apparemment, sinon elle aurait empêché ce réalisateur inexpérimenté d’obtenir le César du meilleur film pour un premier long-métrage, dont personne n’ose pointer les imperfections. À moins que « cette classe, cette minorité » omnipotente ait été enfin détrônée pour être remplacée par une autre minorité avide d’un pouvoir qu’elle fantasme. La vie est un éternel recommencement. Et le cinéma donneur de leçon par la voix de faux prophètes, est de moins en moins un art.
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