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13/01/2022

L'appétit de l'autre

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Quand je la vis pour la première fois, il m'apparut clairement que l'un de nous deux était fait, je pourrais dire né, pour l'appétit de l'autre. Au premier instant je sentis que l'un de nous deux finirait par manger l'autre tout cru ; non pas petit à petit, comme dans un couple de base, mais bien d'une lichée, en sautant sur la première occasion que concéderait l'autre, pour l'avaler. Toute la période qui précéderait cette occasion ne serait qu'une phase d'observation dans son attente, au cours de laquelle nous mettrions en condition les conditions de l'affrontement, où nous décririons des corolles autour des circuits décrits par l'autre, cherchant à y susciter d'infimes frications, de presque infimes étincelles de rabot.

(...)

Et notre attirance immédiate était avant tout une attirance chiffrée ; son regard même, lorsqu'il rencontrait le mien, s'inscrivait dans une sorte de processus numérique, dégageait des effluves qui s'encastraient à ma perspective selon des lois sévères d'un grand jeu de construction. Ce regard qui avait quelque chose de suavement agressif, qui voulait posséder d'emblée ce que les amants n'atteignent ordinairement qu'après plusieurs jours d'excès sexuels : se dissoudre dans l'autre, baratter sa vie organique et la réduire à une forme liquide pour pouvoir la vomir en l'autre. Son oeil aspiratoire était l'application d'une formule chimique, avait la vie palpitante d'une vulve grasse ; mais aussi était pareil au gland qui, introduit dans le corps aimé, tend à s'y infuser intraveineux, intranerveux, à y évacuer tout un broiement de chair pâteuse, le fruit d'une vidange d'organes qui s'introduit en pultacé dans le corps autre, pour s'y générer seul, nourri de lui-même exclusivement, et y procédant à une sédition complète, qui ne laisserait rien de l'ancien métabolisme. C'est tout le corps que le gland veut évacuer par sa bouche, et non seulement cette décharge d'informe veut dissoudre les organes de l'autre, remplacer ses flux et vriller ses canaux, mais c'est avec la pensée même de cet autre qu'elle cherche à coïncider.

Souvent j'ai rencontré des filles qui se disaient excitées surtout par l'esprit ; c'est qu'en réalité chacune était excitée par le défi que représenteraient la conquête et la dissolution de cet esprit. Et c'est au contraire de la plupart que la fille à laquelle j'avais affaire abattait son jeu dès les débuts de notre séduction. Elle voulait s'emparer de tout mon soma et ne s'en cachait pas... »

Mehdi Belhaj Kacem, 1993

 

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