28/06/2022
Des vieilles serpillières usagées
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Elle montrait des signes d’impatience, la Suédoise ; elle s’est mise à sautiller comme un petit moineau, genoux souples, avant-bras parallèles, une sorte de danse mignonne ; Ollier a rien vu partir, boum, un fouetté dans la tronche ! Deux, trois petits bonds élégants, bing, voici Bassefosse à l’horizontale ! Reste mézigue, apôtre de la non-violence, le gars sympa quand il est sobre, pas contrariant, bien élevé, mais va lui expliquer… j’avais droit au spectacle en sus… elle tournait sur elle-même, sautait en l’air façon ninja, tricotait, détricotait ses bras, se baissait, relevait, feinte à droite, feinte à gauche, hop, hop, souplesse, désaxage, esquive, opportunité, retrait de buste, plein contact, à la fin j’envoie la purée : front-kick, back-kick, semicircular-kick, toute la gamme dans ma gueule ! Elle était championne d’Europe de boxe thaïlandaise.
La Suédoise nous a ramenés à l’accueil en nous tirant par les pieds. Nos bras traînaient derrière nos têtes comme des méduses. On ressemblait à des vieilles serpillières usagées. Elle nous avait donné une belle leçon d’humilité, la Suédoise. Évangélique, pourrait-on dire. La poussière, la vanité du monde, toutes ces vérités qu’un quotidien surchargé a tendance à nous faire oublier. À vrai dire, je me sentais grandiose dans le rôle de l’épave humiliée. Je ne vous ai pas dit ma passion pour les saints. Se tartiner les cheveux de tripes pourries et bouffer du lézard perché sur une colonne, ça me parle. L’humanité, c’est encore à genoux que je la préfère, expiant ses innombrables fautes. Dès qu’elle se redresse, elle m’inquiète, c’est qu’elle va déconner. Rien ne vaut un homme à quatre pattes, la gueule en sang si possible, le corps bien amoché, marinant dans ses liquides. Humaniste, oui, mais a minima ! Voilà où j’en étais de mes réflexions tandis que je glissais doucement à travers les longs couloirs blancs. Grâce à la grosse vache, je vivais un grand moment d’extase. Penser à la remercier. Elle nous a balancés en vrac dans l’ascenseur, direction le rez-de-chaussée, retour à la salle d’attente. On s’est assis sagement sur les banquettes en plastique à côté de la copine qui s’était assoupie, son gobelet de café vide à la main. On était calmés à présent. On filait droit, pardi. La Suédoise nous avait fait passer jusqu’au désir de cuite. Elle était retournée derrière son comptoir et nous épiait par-dessus son magazine. »
Olivier Maulin, Gueule de bois
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.