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05/07/2022

En dehors de l’immigration, l’histoire de France ? Une crotte de nez !

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Chanclair était le P-DG d’un grand groupe de télécommunications, fournisseur d’accès à Internet, opérateur de téléphonie mobile, etc. ; il avait fait fortune à la fin des années quatre-vingt dans le Minitel rose, les peep-shows, les sex-shops : quatrième fortune française aujourd’hui ! Dix milliards d’euros ! Les branlées de ses clients avaient jaculé de l’or ! Il avait été encabané deux mois à la Santé pour proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux, les risques du métier. Qui ne risque rien, il a rien. À côté de ça, c’était surtout un bienfaiteur, un mécène. Il réduisait la fracture numérique, aidait les personnes défavorisées à accéder à la technologie, c’était comme une mission divine, un sacerdoce qui le hantait nuit et jour. Grâce à lui, des milliers de prolétaires au chômage pouvaient regarder les programmes TV en ligne et passer leur soirée à faire des patiences, et sans jeu de cartes : éconocroc. Bon, il leur collait bien un petit abonnement en passant, faut pas déconner ! Il possédait la moitié des journaux de Paris, était copain avec l’autre moitié, siégeait dans des commissions ad hoc visant à organiser le marché de la téléphonie, convoquait les ministres quand il avait besoin de changer la loi.
"Mieux vaut faire appel aux pros qu’aux technocrates", il disait. Il venait de recevoir le Grand Prix de l’entrepreneur, avait été élu manager de l’année, personnalité digitale de l’année, homme le plus influent de l’année, plus grand mécène de l’année, patron le plus sympa de l’année ; il avait même avancé dans le classement "Forbes" ! C’était l’idole des entrepreneurs, l’idole des politiques, l’idole des jeunes ! D’ailleurs, il avait l’air cool, quarante-sept ans, cheveux longs filandreux malgré la calvitie entamée, bronzé, chemise ouverte, jean, baskets. Son grand truc, c’était la lutte antifasciste. "On a beau être entrepreneur, on n’en a pas moins une conscience citoyenne." C’était sa phrase. Un coup pour la Licra, un coup pour le Medef, un pro ! Il était prêt à rire de tout, mais pas du fascisme. Prêt à tout laisser passer, mais pas le fascisme.
Attention danger, alerte rouge, vigilance de tous les instants, bête immonde est passée par ici, elle repassera par là. Il était pour la liberté, bien sûr, des capitaux, des immigrés, de la drogue, des gangsters et du blasphème… mais celle de donner son opinion sur Internet… bof, bof ! Le petit rigolo derrière son clavier bavant la haine et la rancœur, moyen, moyen ! Il blaguait même sur son métier de fournisseur d’accès : je vends du raccordement à l’égout ! Avoir une opinion en dehors des journaux autorisés, c’était pour lui le début du totalitarisme.
S’il y a bien une chose qui le rendait fumasse, c’est cette nouvelle mode populace de rechigner à l’immigration. Les petits tâcherons qui parlent de seuil, qui déménagent, qui contournent, qui trichent… Alors là, il perdait son calme ! Un tel égoïsme… mesquinerie, repli riquiqui… petit crevard recroquevillé, moisi, pourri, terrorisé, plissé comme un anus serré. Et la grandeur, bordel ! France, terre d'immigration depuis Clovis ! Un destin, oui monsieur, et une chance, pardon ! THE chance, tête de nœud ! Croissance, ouverture d’esprit, retraites, sonates, Versailles, Chambord, Petit Poucet, la Banque de France : on leur doit tout ! Et depuis toujours, partout, tout le temps, on ne le répétera jamais assez ! Vercingétorix métèque ! Charlemagne rastaquouère ! Et encore, Clovis, ce chelou… depuis la caverne, nom de Dieu ! Ôtez la merde de vos yeux et vous verrez Bamboula danser dans les tableaux de Bruegel ! France, carrefour éternel : Gaulois, Arabes, Picards, Wolofs, Francs, Bambaras, Gitans, Wisigoths, Pygmées, tout pareil ! Chacun chez lui ! Wolofs un peu plus que les autres ! En dehors de l’immigration, l’histoire de France ? Une crotte de nez ! Sans immigration, petit Fwançais toujou’s fai’e feu avec silex ! Immigration consubstantielle à la France ou la 17e chambre ! Cette prétention d’enracinement, histoire, tradition, peuple millénaire, gnagnagna, et les champs de bataille, de blé, les cathédrales, les rois, ça le débectait, ô combien. Ce petit esprit colonial tordu, suffisance blanche… ce que voulaient les ploucs : vivre entre eux, selon leurs petites mœurs, leurs petites habitudes, leur petit pastaga, leur petit bidon plein de merde ! Il devenait sauvage, Chanclair ! Il les haïssait, pire que tout ! Que des gueules de croisés, nazis, inquisiteurs, bonnets-pointus façon klan-klan, amateurs de pinard, saucisson et gégène ! Heureusement, on allait te transformer tout ça en beige foncé une bonne fois pour toutes !

  La baronne de Rothschiess rigolait, une main devant la bouche. Ce cher Chanclair, quel visionnaire ! Elle aussi les haïssait, pardi. Les coupables, elle les appelait. Une haine incroyable qui la réveillait la nuit, par bouffées. Tous ces pauvres, ces sert-à-rien, racistes, antisémites, sales comme des culs, mauvais comme des teignes, et bêtes, mon Dieu, tellement bêtes, si faciles à tromper ! hihihi ! C’était la grande rigolade maintenant, les blagues entre amis… Chanclair mimait les enculeries… Un banquier d’affaires s’était approché, Anastase Pipoute-Pipoute, dit Ana2pi, propriétaire d’une moitié des journaux parisiens, celle qui reste. Il se disait favorable à l’ultra-immigration, la déferlante, le raz-de-marée, il voulait que le pays s’affaisse d’un mètre sous le poids ! Tout aspirer d’Afrique ! Qu’il n’en reste plus une miette ! On embarque les éléphants avec ! Fini le chichi compte-gouttes, visas, asile, regroupement familial, pisse-petit, petites barquettes Lampedusa ; de ses deux mains, il tournait une grande roue…
— Ouvrez les vannes !
On se tenait les côtes ! Pipoute-Pipoute, ce boute-en-train !
— J’en veux partout ! Dans les campagnes, dans les villages, dans les forêts, dans les montagnes, dans les baignoires, les frigidaires ! La sens-tu, la vague en colère ! Les petits turfistes ratiboisés ; pêcheurs à la ligne évaporés ! Grandeur du passé ? Louis XIV ? Napoléon ? Au nom des droits : partout, j’en veux ! 
— … sauf dans le 16e ! a dit Chanclair.
— … sauf dans le 7e ! a dit la baronne.
— … sauf à Saint-Tropez ! a dit Poujade. 

Ah, la poilée ! On rigolait aussi avec les copains. Pipoute-Pipoute ouvrait toujours les vannes. Faut plus traîner maintenant, il disait. En une génération, ça doit être plié. Avant qu’ils réalisent ce qui leur arrive, boum, les voilà beige foncé. Et pour les râleurs, suicide assisté ! Il était progressiste intégral, Pipoute-Pipoute ! Généreux comme pas deux, luttant contre toute forme de souffrance ; insupportable la souffrance, un archaïsme : la physique, la psychologique, la morale, la sociale, vague à l’âme, grippe, migraine, hémorroïdes : suicide assisté ! Il voulait des grandes campagnes d’incitation, l’autoriser à partir de douze ans, âge difficile. Ado boutonneux en crise, chômeur dépressif, petite nature, caissière en surnombre : suicide assisté ! Et ne parlons pas des malades, boiteux, cancéreux, polio-mal-foutus, accidentés de la route, tout débrancher ! Et pour les bien portants, la grande aspiration, l’évacuation des "fragments de grossesse" dans la joie… Un peu de place siouplaît ! Chacun son tour ! Le Blanc a suffisamment joui, bouffé, bu, roté, massacré, au suivant ! L’avenir au Grand Suicide Collectif ! À la Grande Évaporation ! À la Grande Aspiration ! Le Champagne nous sortait du nez, à trop rire… Civilisation blanche, salope ! Table rase, rasée, ratiboisée ! En finir définitivement avec les descendants des chevaliers ! Chevaliers ? Alors là, ça les faisait carrément baver de rage. L’hétéro mâle blanc guerrier exterminateur intolérant ennemi du centre commercial ! La baronne manquait défaillir… Mon cher, c’est d’une vul-ga-ri-té ! Ils chiaient derrière les rideaux, baronne ! chassaient les petits lapins, trompaient leur femme, se léchaient les doigts, massacraient les brigands ! Mais c’est fini tout ça ! La Vague ! La Vague ! Dans leur gueule ! Partout j’en veux ! Entassés dans des tours jusqu’à la lune… gavés de droits… fanatisés par les associations… Aspégic est mort mais il ne le sait pas… 

On a continué comme ça longtemps à discuter. Pipoute-Pipoute et Chanclair étaient intarissables. Et la baronne ! Leur préoccupation : contenir la populace. Au Siècle, au Bilderberg, au Parlement, c’était l’unique sujet. Le ver visqueux remuait toujours trop à leur goût. Il râle, fouine, met son groin partout ; si on le laissait faire, il serait capable de se mettre à réfléchir… »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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