03/07/2022
Ne sommes-nous pas modernes ?
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« Il était chaud, Bassefosse ! Désirs tordus des aubes, pulsions brutales, envies des viandes.
Il lui pelotait les miches, les bons jambons, la bonne chair dure et sportive. J’ai des idées, qu’il disait. Des drôles d’idées, moitié brutales, moitié guili-guili ! Ravager, semer, l’appel de la fente, l’ivresse ! Dégobiller du zob : unique passion depuis la caverne. Costume-cravate n’y changera rien. — Oh mais pardon, merci vraiment, je me sens tout à fait normal à présent, revenu de mes penchants mesquins, amateur de la beauté contemporaine…
Il promenait la main dans la raie, palpait, massait, empoignait, farfouillait. Je m’attendais à un réflexe karaté, Bassefosse envoyé dans les étoiles, quelques os qui craquent… mais nib, l’infirmière rigolait, se mordillait la lèvre, soupirait en féline, goûtait l’assaut ! Salope deux fois ! Bassefosse l’émoustillait… Il la serrait de plus en plus, soufflant chaud dans le cou, effleurant de sa bouche humide son oreille ; la main courait dessous la blouse, cherchant rondeurs, crevasses, protubérances… la voilà qui chatouille entre les cuisses… Protubérance ? Bassefosse a bondi en arrière dans un cri ! Il avait l’air sonné, comme assommé par la décharge électrique… Il s’est repris, s’est redressé, a resserré son nœud de cravate, toussé un peu :
— Mais vous avez une bite, mademoiselle ? J’exige des explications.
— Vraiment ? Et alors ? Ne sommes-nous pas en 2014 ? Êtes-vous pudibond ? Antisémite ? Opus Dei ? Coincé du cul ? Encore plus salopiot qu’un SA ?
Une bite ! L’infirmière avait une bite ! Pour un coup de théâtre ! Ollier s’est levé. On s’est approchés tous les deux, à pas de loup, les yeux fixés sur l’anatomie controversée. La blouse semblait faire bosse en effet ! Grosse bosse !
— Ne seriez-vous pas plutôt une petite menteuse effrontée ? a demandé Ollier.
— Par saint Georges, zut à la fin ! a crié Milou en se débraguettant.
— Ah !
On a hurlé tous les trois ! Elle avait une bite en effet ! Une grosse bite ! Une ignoble queue qui bande tordue ! Ah, la salope ! Oh, le salaud ! Et turgescente ! Avec des couillons et des poils ! Modernité !
— Mais… mais… vous êtes donc un mâle ? a dit Ollier.
— Voyez-moi ce vilain moyenâgeux, a répondu Milou. Obscurantiste croisé, ami des ténèbres du passé.
Elle a ouvert sa blouse, découvrant ses pastèques.
— Je vous le demande, messieurs les censeurs, sont-ce là vraiment des rondelets mâles ?
Bassefosse s’est mis à les peloter avant de les soupeser.
— Pour moi, il n’y a pas de doute, c’est de la femelle, il a répondu.
Ollier avait les yeux écarquillés. Son regard passait des roberts à la cornemuse. Il se grattait le crâne.
— Mademoiselle, ne le prenez pas mal, mais j’ai une question importante à vous poser : êtes-vous par hasard un gros pédé ?
— Vous faites fausse route, mon cher ami. Les préjugés vous aveuglent. Vous pensez comme les hommes des cavernes, esclaves de leur corps et de la nature. Moi, je ne laisse pas la nature me commander. Je me suis libéré(e) de cette tyrannie. À présent, je suis homosexuel(le) bien sûr, mais aussi lesbien(ne) certains jours, bisexuel(le) quand le désir m’en prend, transgenre toujours, transsexuel(le) à mes heures, queer et curieux(se) de tout, pansexuel(le) gourmand(e) questioning quand je déprime, intersexuel(le) au fond, et même asexuel(le) le dimanche. Et, puisqu’on y est, je trouve tout à fait crapuleuse et patriarcale votre manière de m’appeler sans cesse "mademoiselle". Appelez-moi plutôt "individu" si cela ne vous dérange pas. Ou mieux : "individu LGBTTTQPQIAA", ce qui est ma véritable identité.
— Très bien, cher individu LGBTTTQPQIAA, a répondu Bassefosse qui continuait à lui peloter les miches.
— Du reste, ne croyez pas que ce soit si facile d’être libre, a ajouté Milou. Mes droits sont constamment bafoués.
— Bafoués ? Diable. Cette société ne respecte vraiment rien, a soupiré Bassefosse.
— Tel (le) que vous me voyez, figurez-vous que pas plus tard qu’hier, on m’a interdit l’entrée d’une pissotière.
— Non ?
— Oui. Et je dois ajouter que ce n’était malheureusement pas la première fois.
— C’est honteux, a dit Bassefosse. Et quelles raisons vous a-t-on données pour justifier cette discrimination manifeste ?
— Celles que vous tripotez.
— Je vois.
— Mais ça ne se passera pas comme ça, vous pouvez me croire. J’ai alerté les associations. Ne sommes-nous pas le pays de l’égalité des droits ? N’en déplaise aux fanatiques, je lutterai pour les miens, dussé-je aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. J’ai un phallus, j’estime avoir le droit de fréquenter les pissotières !
— Ce cher Milou pugnace, a dit Bassefosse qui léchait maintenant les mamelles.
— Dans un sens, le raisonnement se tient, a dit Ollier.
— Oui, mais il y a tout de même les rondelets, ai-je fait remarquer. Ça pourrait traumatiser l’usager.
— Taratata, m’a coupé l’infirmière. Je sais faire mes petits besoins debout, il n’y a donc aucune raison juridique de m’interdire l’entrée des pissotières. J’en fais une question de principe et de dignité personnelle. Le temps du mépris et de la honte est révolu !
— C’est un problème complexe, a reconnu Ollier.
— Dans un sens, c’est même philosophique, a ajouté Bassefosse.
La fille s’est levée à son tour et s’est lentement approchée de nous en bâillant.
— On va rester longtemps ici ? elle a demandé. Je suis fatiguée.
— Dites donc vous, ça n’a pas l’air de vous intéresser plus que ça que l’infirmière ait une bite ? ai-je fait remarquer.
Elle a haussé les épaules.
— Une bite d’homme ou une bite de femme, où est la différence ? a-t-elle murmuré.
J’ai réfléchi. Après tout, c’est peut-être elle qui avait raison. Ne sommes-nous pas modernes ? »
Olivier Maulin, Gueule de bois
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