27/10/2022
Provisions
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« — Mon âme est comme la steppe aride. J'ai ce sentiment que rien ne vibre, ni ne vit plus. On dirait un hiver morne et glacé, où tout se fige et s'engourdit.
L'AMI — Comme la terre, l'esprit a ses saisons. Il ne faut pas s'en étonner, mais prendre des mesures en conséquence. Employons les beaux jours à faire des provisions! Il y a un temps pour semer, un temps pour moissonner, un autre pour hiverner et vivre du produit des jours féconds. Lorsque chaque buisson est couvert d'églantines, on ne se doute pas quel plaisir peut vous donner un seul bouton de rose, au coeur des saisons rigoureuses. Lions des gerbes; cueillons des souvenirs, le long des routes; mettons à profit le temps de grâce où l'esprit donne du fruit, la vie des résultats encourageants, où des portes semblent ouvertes sur les mystères surhumains ! L'heure arrive de la disette, de la sécheresse. Rien alors ne prospère ni ne marche plus. Si tu attends à cette heure pour Rapprovisionner, tu es pareil à l'insensé qui, s'étant laissé manquer de pain, mettrait la charrue à la plaine, quand le sol est gelé.
Lorsque le contact est établi entre la source de vie et nous-mêmes, toute heure est une heure de grâce. Puisons à l'instant propice, afin de ne pas manquer du nécessaire au moment où la source est verrouillée !
Telle expérience faite en des jours d'épreuve peut empêcher un homme de s'affadir dans le succès. Et tel bon moment de repos, d'expansion, de joie libre et sereine, a le don de nous réchauffer encore intérieurement, après que trois pieds de neige sont tombés sur notre bonheur.— Aimons nos amis quand ils sont là, aimons-les avec usure, afin que le souvenir demeure riche, inépuisable, une fois les séparations venues ! Fortifions-nous dans l'espérance, dans la confiance en Dieu, tant que les occasions existent ! Ne laissons pas venir la misère, les détresses morales, pour frapper à la porte de la maison paternelle! Qui sait si nous garderons alors assez de clairvoyance pour en prendre le chemin ? Il est si triste de manquer du nécessaire, de se trouver en face du vide intérieur, incapable d'y remédier, et avec cette constatation terrible : trop tard ! »
Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs
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