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03/11/2022

Ingratitude

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« — Oh ! l'ingratitude, mal hideux et rongeur ! Comme elle torture le coeur !

L'AMI. — Mais il doit y avoir du plaisir à la pratiquer, si j'en juge par le nombre des ingrats. Certains ont le vin triste et la gratitude morose ; mais ils ont l'ingratitude joviale. Regardez-les quand ils remercient : ils forcent leur talent. Lorsqu'ils pratiquent l'ingratitude, ils sourient. C'est le sans-gêne, la désinvolture, l'aisance des petits canards sur l'eau : vous les contemplez dans leur élément.

D'autres vices prospèrent sous des latitudes déterminées. Celui-ci est cosmopolite. Il prospère à tous les étages de la société, à tous les âges de la vie. Dans les caves, dans les greniers, il est chez lui partout. Aujourd'hui il porte des boucles blondes ; vous le prenez pour un enfant. Demain vous le rencontrez en cheveux blancs ; c'est un de ces hideux vieillards dont la vie n'a été qu'une longue déchéance. Quand l'ingratitude vous blesse de la part des grands, vous la croyez grande dame. Mais prenez garde aux métamorphosés ! A la première occasion, elle prendra les traits d'une mégère.

Il y a l'ingratitude des enfants et celle des parents, des peuples et des rois ou des classes dirigeantes, des chefs et des subalternes, des maîtres et des serviteurs, du public et des hommes en vue, des riches et des pauvres.

Nous avons aussi des formes d'ingratitude dont on abreuve spécialement certaines catégories de personnes. Ingratitude pour médecins, ministres, vieux serviteurs usés à la peine ; pour chanteurs n'ayant plus de voix, pour citoyens dévoués, ruinés au service de la chose publique ; pour héros morts à tous les champs d'honneur et de sacrifice. — Une des pires ingratitudes est celle de l'homme envers la femme. Demande-le aux oubliées, aux délaissées, aux désespérées, aux mortes de douleur !

Faire des ingrats est inévitable. Une plante qui réussit dans tous les terrains et dont la graine ailée voltige dans tous les coins, ne peut manquer de pousser un peu partout. Si donc vous faites du bien et vous dépensez sous n'importe quelle forme, vous cultivez l'ingratitude. Où est celui qui n'a jamais rendu service à personne, à qui aucune variété d'ingratitude ne puisse être témoignée ?

Mais plus vous payerez de votre personne et plus vous récolterez d'ingratitude. En sorte que ceux qui en méritent le moins en récoltent le plus.

Rien n'est douloureux à éprouver comme l'ingratitude. C'est une croix pénible à porter. Pour quelques-uns s'y ajoute la couronne d'épines et tous les accessoires du calvaire. L'ingratitude est ingénieuse, pleine de ressources toujours nouvelles, inépuisable en son répertoire.

Elle a infligé à l'humanité quelques-unes de ses plus vives douleurs. Plusieurs en ont le coeur meurtri, rongé, et la vie gâtée. On dirait, en vérité, qu'il est plus difficile de pardonner le bien qu'on nous a fait, que les offenses reçues.

— L'ingratitude vous décourage de bien faire, voilà le plus triste.

L'AMI. —En cela, nous avons tort. C'est une question de but et de point de vue. Si tu sèmes le bien, pour récolter de la gratitude, tu auras, certes, les pires déboires. Finalement, dégoûté, tu abandonneras une culture désastreuse. Fais le bien, suis la bonne voie, donne ton labeur, ouvre tes bras à l'affection, sans trop compter sur les résultats I Mais évite cette figure aigre de certaines gens de bien, qui prévoient l'ingratitude partout et pleu- rent sur elle avant sa naissance ! Ce serait là une façon de la provoquer. On fait encore des ingrats en pratiquant le bien, mal à propos, en se jetant, s'amoindrissant et s'avilissant par la facilité du don. Faire apprécier ses dons est un service à rendre. Enveloppez la bonté d'un peu de dignité, de rudesse même ! Surtout ne vous enfuyez pas, si vos amis, vos obligés, si la jeunesse veut vous témoigner de la gratitude ! Restez là et laissez-vous offrir des hommages! Votre modestie peut-être en souffrira. Il faut savoir souffrir pour le bien d'autrui.

Les victimes de l'ingratitude ont, dans tous les pays, à toutes les époques, un compagnon dont l'exemple peut les réconforter. Ce compagnon, c'est Dieu, le plus oublié de tous les bienfaiteurs. A-t-il jamais cessé cependant de manifester son amour ? Et depuis que le Christ est mort sur une croix d'infamie, symbole éternel de l'humaine ingratitude, le comble est atteint. L'homme des douleurs peut dire à ses frères : "Venez à moi, je vous soulagerai !" »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

 

 

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