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29/03/2023

Cette pointe d'épingle...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« FRANÇOIS BONDY : Pourquoi as-tu accepté de te livrer ici, alors que tu vis très replié sur toi-même ?

ROMAIN GARY : Parce que je vis très replié sur moi-même... Et je n’éprouve aucun frisson d’amour-propre à l’idée de m’ouvrir à n’importe qui — j’aime bien "n’importe qui", c’est un copain — et de me livrer à l’ "opinion publique", parce que mon "je" ne me contraint à aucun égard envers moi-même, bien au contraire. Il y a l’exhibitionnisme, et il y a la part du feu. Le lecteur décidera lui-même s’il s’agit de l’un ou de l’autre. "Gari" veut dire "brûle !" en russe, à l’impératif — il y a même une vieille chanson tzigane dont c’est le refrain... C’est un ordre auquel je ne me suis jamais dérobé, ni dans mon œuvre ni dans ma vie. Je veux donc faire ici la part du feu pour que mon "je" brûle, pour qu’il flambe, dans ces pages, au vu et au su, comme on dit. "Je" me fait rire, c’est un grand comique, et c’est pourquoi le rire populaire a souvent été un début d’incendie. "Je" est d’une prétention incroyable. Ça ne sait même pas ce qui va lui arriver dans dix minutes mais ça se prend tragiquement au sérieux, ça hamlétise, soliloque, interpelle l’éternité et a même le culot assez effarant d’écrire les œuvres de Shakespeare. Si tu veux comprendre la part que joue le sourire dans mon œuvre — et dans ma vie — tu dois te dire que c’est un règlement de comptes avec notre "je" à tous, avec ses prétentions inouïes et ses amours élégiaques avec lui-même. Le rire, la moquerie, la dérision sont des entreprises de purification, de déblaiement, ils préparent des salubrités futures. La source même du rire populaire et de tout comique, c’est cette pointe d’épingle qui crève le ballon du "je", gonflé d’importance. C’est Arlequin, Chaplin, tous les "soulageurs" du "je". Le comique est un rappel à l’humilité. Le "je" perd toujours son pantalon en public. Les conventions et les préjugés essayent de cacher le cul nu de l’homme et on finit par oublier notre nudité foncière. »

Romain Gary, La nuit sera calme

 

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