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06/03/2024

Le faux Bien a besoin d'épouvantails...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« L’éclipse du principe maléfique, de la "part maudite", du "négatif", est la grande énigme du temps. Que se passe-t-il sous cette couche de laque, sous ces glacis de pureté, de litotes sucrées, sous ce glaçage d’innocence au sirop ? Sous ces lessivages sans phosphates ? Il n’est pas facile de répondre. Le Bien remplace très avantageusement le Mal, mais à l’unique condition que l’on continue à dire, et à faire dire, que le Mal n’a jamais été aussi menaçant, aussi épouvantable, paralysant ; et que ce soit filmé, prouvé, refilmé, télévisé et encore retélévisé. La "croyance" de tous à la réalité du Mal est la condition de survie de notre civilisation de mises en scène caritatives. La Bienfaisance est une manière de parler, la Charité est un effet de style. Tout ce qu’on vous demande c’est d’y croire. D’avoir la foi qui sauvera le Spectacle (tant que celui-ci n’aura pas disparu, je ne vois aucun motif pour renoncer à cette notion debordienne). Et puis surtout de le dire bien haut. Et de répéter chaque fois qu’il faut que vous adorez ce qu’il faut adorer, que vous condamnez ce qu’il faut condamner, le racisme un peu partout, les régionalismes terroristes, les intégrismes islamiques, les populismes, les poujadismes, le trafic d’ivoire ou de fourrure, la sponsorisation du Paris-Dakar et la renaissance des nationalismes dans les pays de l’Est délivrés. "Dilige et quod vis fac", écrivait saint Augustin : "Aime et fais ce que tu veux"… De nos jours, ce serait plutôt : dis que tu aimes, et fais du business.

Le Bien a toujours eu besoin du Mal, mais aujourd’hui plus que jamais. Le faux Bien a besoin d’épouvantails ; moins pour les liquider, d’ailleurs, que pour anéantir, à travers eux ou au-delà d’eux, ce qu’il pourrait rester encore, de par le monde, d’irrégularités inquiétantes, d’exceptions, de bizarreries insupportables, enfin les vrais dangers qui le menacent, quoique l’on n’en parle jamais.

Qu’importe, n’est-ce pas, et pour ne prendre qu’un exemple, la mise en fiches de tous les citoyens, si c’est le léger prix à payer de la victoire contre le sida ? Bernanos, à la fin de sa vie, se souvenait d’une époque où l’excellente innovation policière de relever les empreintes digitales commençait tout juste à passer dans les mœurs. Cela indignait les honnêtes gens. On leur répondait que "ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d’identification"… Et aussi "que l’on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts"… En 1947 encore, il se rappelait, Bernanos, qu’au temps de sa jeunesse "la formalité du passeport semblait abolie à jamais" ; qu’on pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite en poche… Et puis ensuite, doucement d’abord, puis de plus en plus rapidement, les étaux se sont resserrés… Ce qu’il a vu se fabriquer, après 45, à toute allure, en série, c’était "une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse"…
"Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l’appelez déjà des désordres, des fantaisies", s’épouvantait-il.

Il dirait quoi aujourd’hui ? »

Philippe Muray, "Trémolo Business" in L'Empire du Bien

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Quel style! A effet d'addiction immédiate.

A croire qu'un petit génie lui apportait de l'encre pour son porte-plume.

Ou Bien ? (comme on dit ici).

Écrit par : marianne | 07/03/2024

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