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12/03/2024

La possibilité du mensonge, c’était encore laisser une chance, même une toute petite, au plaisir

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Maintenir dans le secret de soi-même la possibilité du mensonge, c’était encore laisser une chance, même une toute petite, au plaisir ; Sade ne m’a pas attendu pour le dire : "La dissimulation et l’hypocrisie sont des besoins que la société nous a faits ; cédons-y." Ou pire encore : "Il n’est pas un seul projet de crime, quelle que fût la passion qui l’inspirât, qui n’ait fait circuler dans mes veines le feu subtil de la lubricité : le mensonge, l’impiété, la calomnie, la friponnerie, la dureté d’âme, la gourmandise même, ont produit dans moi ces effets." À la faveur de notre marche accélérée vers l’innocence, l’érotisme, la vérité tranchante du "crime" sexuel sont bien sûr les premiers à s’effacer. On peut voir des ministres américains ou australiens se traîner en larmes à la télé pour avouer qu’ils ont trompé leur femme mais que c’est fini, promis juré, ils ne recommenceront plus jamais. Une association britannique cogite la possibilité d’assortir les disques d’un système de codification comparable à celui du cinéma et grâce auquel les acheteurs seront mis en garde contre "le contenu sexuellement implicite" de certaines chansons. Il y a quelques années, une jeune comédienne avait été contrainte de démentir son sida devant le Tribunal Médiatique du Peuple [ Isabelle Adjani, en 1986 (N. d. É.) ]. Aujourd’hui, un acteur français victime d’une brutale campagne de dénigrement aux USA, se retrouve accusé d’avoir participé à un viol à neuf ans [ Cette accusation visait Gérard Depardieu, alors en compétition, au début de l’année 1991, pour l’Oscar du meilleur acteur avec "Cyrano de Bergerac" (N. d. É.) ]. Hein ? Neuf ans ? Vous avez bien dit neuf ? Oui, oui, ça n’a d’ailleurs pas l’air d’étonner tellement ses détracteurs, ils sont beaucoup trop occupés à s’indigner, ils foncent, ils boycottent, ils aboient, le scandale gronde, les rectificatifs se succèdent. Finalement, l’acteur n’aurait pas participé, il aurait seulement assisté… Mais "assister", en anglais, voyez-vous, se traduit par participate… Non ? Si, si ! Et ainsi de suite.

On pourrait en effet continuer la revue de presse pendant des heures. Ces anecdotes sont insignifiantes, je l’admets, mais il est devenu nécessaire de noter au vol tout ce qui se dit ou se montre, parce que ces choses, pour la plupart ridicules dès leur apparition, redeviennent en moins d’une semaine incompréhensibles, donc leur analyse inconcevable. "Si ce n’était pas alarmer la société où l’on est dénoncé comme un homme dangereux, j’aurais écrit tous les soirs tout ce qui se disait et se faisait", a regretté un jour le prince de Ligne. Mais qu’aurions-nous à craindre, nous, des alarmes d’une société à la fois sûre de sa puissance et pour qui presque tout, désormais, représente un danger effrayant, même notre silence éventuel ? »

Philippe Muray, "Cherchez l'idole" in L'Empire du Bien

 

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