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11/03/2024

Mais qui oserait arrêter la machine à exorciser, maintenant qu’elle a été lancée ?

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« L’intéressant, c’est que le lynchage prend maintenant des masques progressistes. Rejetés par la porte, les vieux réflexes de haine et d’exclusion rentrent aussitôt par la fenêtre pour s’exercer contre de nouveaux boucs émissaires toujours plus incontestables. Les pays où la chasse aux sorcières bat son plein se multiplient (au Nord pour commencer, comme de juste, chez les protestants), mais personne n’en parle de cette façon puisque c’est comme de juste en vue du Bien. Contre les derniers tabous encore en place… Quoi de plus sympathique, par exemple, quoi de plus incontestable, en vérité, que la lutte contre l’inceste ? En Hollande, dans certains centres spécialisés, on fait jouer les mineurs perturbés avec des poupées spéciales équipées d’attributs sexuels agressifs : vagins bien ouverts, poils, verges en érection. D’après le comportement des enfants, on affirme pouvoir déceler les cas d’inceste… Quelques voix timides s’élèvent pour contester la méthode, mettre en doute son efficacité, dénoncer sa scientificité, suggérer qu’elle pourrait bien avoir, hélas, quelques petits "effets pervers"… Que le Bien, en somme, et fatalement, serait toujours le pire ennemi du bien… Mais qui oserait arrêter la machine à exorciser, maintenant qu’elle a été lancée ?

Certes, nous n’avons pas encore la franchise de faire parader nos Armées de la Vertu à la façon des "muttawas" en Arabie Saoudite, cette "police religieuse" d’État qui patrouille dans les rues en 4x4 pour y faire respecter les lois coraniques, veiller à la fermeture des boutiques durant les heures de prières et tabasser les femmes qui laisseraient apercevoir un peu de peau nue. Mais ça viendra, ça viendra peut-être, il suffit seulement encore d’attendre.

"Sur la planète 'électrifiée', conditionnée par l’environnement de l’information, la chasse à l’homme avec ses innombrables formes d’espionnage est devenue un drame universel", a constaté McLuhan. il y a déjà un certain temps. Pour une fois, il parlait d’or.
Le lynchage accompagne le Consensus comme l’ombre accompagne l’homme.

Au nom de l’Intérêt Général, tout devient suspect, dénonçable. L’exigence de la "vérité", la Transparence divinisée, la "glastnost" appliquée à la télévie quotidienne, voilà le truc mirobolant des Vertueux de profession en pleine trémulation, en pleine lévitation de Bienfaisance. "Pharisaïsme", aurait-on dit en des temps un peu plus cultivés… Qu’est-ce que c’était, un "pharisien" ? Quelqu’un qui était convaincu de se trouver lui-même en état de grâce, donc justifié d’intervenir dans la vie des autres à tour de bras. Les médias ont redonné au pharisaïsme un coup de jeunesse providentiel. Attention ! L’écran dévoile les hommes ! L’image ne ment jamais ! C’est pas comme les mots !
Chaque téléprestation devient une épreuve de vérité. "Mon cœur mis à nu" tous les soirs ! On "doit" la vérité. On "doit" la transparence de sa pensée. On "doit" faire semblant de ne pas mentir.
Comme si on "devait" quoi que ce soit à la Société de Pacotille ! A ceux qu’on aime, peut-être, et encore : si on les aime, précisément, c’est parce qu’ils pensent qu’on ne leur doit rien.

Toute vie se résumant aujourd’hui à ce qui en reste d’apparence, cette fière exigence de "vérité" n’est bien sûr qu’un trompe-l’œil de plus, un effet de discours là aussi, un leurre de style supplémentaire, une simple manière de parler. La "vérité" qui s’étale sur les plateaux est à peu près aussi utilisable que les médicaments périmés ou les tonnes de beurre au peroxyde déversés par les organisations caritatives sur les pays en grande détresse. On vous demande d’y croire et puis c’est tout. La vraie vérité n’est pas pour vous.

"Jamais l’égoïsme ne s’était montré plus à découvert, mais le bien public, la liberté, la vertu même étaient dans toutes les bouches, constatait Mme de Ménerville dans l’ambiance de 1789.
Nous en sommes là exactement. »

Philippe Muray, "Cherchez l'idole" in L'Empire du Bien

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Quoiqu'on en dise, j'en reprendrais bien une rasade,
ça descend tout seul. . :-)

Écrit par : marianne | 11/03/2024

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