Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/03/2024

Rideau !

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Le transexualisme de masse a cessé d’être une utopie pour devenir notre réalité de remplacement. J’aime, dit une jeune "écrivaine" dans une envolée pleine de poésie consolatrice, "voir les frontières du sexe transgressées par l’être androgyne qui refuse d’être mutilé"… Houuu ! Comme c’est joliment soupiré ! D’un côté, "frontières", "mutilé", des notions antipathiques ; de l’autre "transgression", concept d’autant plus souriant qu’il est aujourd’hui inoffensif. Le tout culminant dans la célébration de "l’être androgyne", héros idéal, comme de juste, de la nouvelle bien-pensance.

Voir encore des différences sexuelles et en jouir est devenu un handicap, une tare exilante, la preuve qu’on pense mal, ou même simplement que l’on pourrait penser quelque chose. Le sexe, à l’heure où j’écris, et sauf divine surprise de dernière minute, est désormais rétrospectif, conjugable au passé, minuscule point-virgule d’écume sur la ligne d’horizon de l’histoire humaine. D’après les vieux manuels de confesseurs, la "délectation morose" consistait à s’attarder ("morositas") à la représentation mentale ou verbale d’un acte sexuel "passé". Nous y sommes en plein. Toutes nos voluptés sont derrière nous. Une "archéologie du plaisir" serait à inventer : la vie sexuelle comme "archives"…

Il y a pas mal d’années déjà, l’involontaire comique médiatique avait fait ses choux gras de la vogue de la "new chastity", ce n’était qu’un pâle début, l’annonce que nous entrions dans la nouvelle Ère, celle du Phallus sous Latex. Le mythe rétrospectif de l’orgie posé, et unanimement accepté (chacun est censé avoir baisé dans les années 70, plus personne n’est censé baiser aujourd’hui), la contrition suit d’elle-même. Mea culpa général. Tout le monde la queue basse, c’est le cas de le dire. De même qu’en politique la cause est entendue, il n’y a plus d’alternative présentable à la démocratie et à l’économie de marché, de même dans le domaine des rapports des sexes prévaut le sentiment qu’il n’existe plus d’alternative au couple, officiel ou non, homo, hétéro, peu importe, mais "couple". Famille. Dans l’intimité de chacun, le sida aurait joué un rôle comparable à celui du Mur écroulé de Berlin en politique. L’individuel comme le collectif n’auraient plus le choix. Plus aucun choix dans le social, plus aucun choix dans le privé. Terminé là aussi. Rideau. Ce monde est plein de "réunifications" moins commentées, plus discrètes que celle de RFA-RDA, mais tout aussi chargées d’avenir.

"Je me demande, dit un personnage des 'Possédés', qui nous devons remercier pour avoir si habilement travaillé les esprits que personne n’a plus une seule idée à soi." Nous pourrions, nous, très bien savoir, mais nous préférons ne pas trop chercher.

Il en va donc de l’effondrement de la différence sexuelle comme de celui des anciens rapports "bloqués" Est-Ouest : leur disparition entraîne la précipitation affolée de la plupart vers les derniers pôles, les dernières bouées rassurantes : le Bien commun, les principes moraux, la Vertu. Mais qui dit Bien, dit recours à la loi pour protéger celui-ci. Vouloir le Bien, c’est donc, et par-dessus tout, vouloir l’État qui le garantira. Nous sommes aujourd’hui dans une situation qui rappelle, en mille fois pire, en cent mille fois plus redoutable, celle du XVIIe siècle, où avoir une opinion à soi, être individu, apparaître individu (et pas individu bidon, "singularisé" en toc par la sape standard, la voiture, le look, les loisirs, etc.), constituait la définition même de l’hérésie. La liberté de penser a toujours été une sorte de maladie, nous voilà guéris à fond. Ne pas débiter le catéchisme collectif d’emblée est un signe de folie. Jamais le troupeau de ceux qui regardent passer les images n’a été plus sensible aux moindres écarts qui pourraient lui porter préjudice. Jamais le Bien n’a été davantage synonyme de mise absolue en commun.

Il est indispensable de suivre à la trace ceux ou celles qui, à tel moment, à tel autre, réclament de nouvelles mesures destinées à renforcer les vieilles tenailles sociales, si on veut comprendre la dévotion particulière de cette fin de siècle. De temps en temps, dans le TGV de la Répression, grimpent de nouveaux passagers, il faut savoir les repérer. Les féministes, par exemple, profitèrent récemment de l’émotion soulevée par les sinistres déclarations antisémites de je ne sais plus quel vieux cinéaste, pour rappeler qu’elles avaient dans leurs fonds de tiroirs deux ou trois projets anti-sexistes de derrière les fagots qui ne demandaient qu’à être adoptés. Ça n’avait pas le moindre rapport, mais personne ne s’en est étonné. Une même société peut très bien, en trois mois, passer majoritairement de la protestation vertueuse en faveur d’un romancier persécuté par des ayatollahs, à l’indignation tout aussi vertueuse contre le "sexisme" des images. »

Philippe Muray, "Cherchez l'idole" in L'Empire du Bien

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Que n'est-il pas parti trop tôt ?

Écrit par : marianne | 13/03/2024

Murray est peut-être parti trop tôt mais quelque chose me dit qu'il est moins à plaindre qu'on le pense. Ses analyses se sont globalement réalisées, le pauvre se serait mis à fumer trois fois plus s'il avait su.

Écrit par : Mario | 13/03/2024

Écrire un commentaire