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21/03/2024

Le Parti Dévot devenu programme mondial

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« À chaque siècle son Tartuffe. Le nôtre a un petit peu changé. Il s’est élargi, étoffé. Il est membre fondateur de plusieurs SOSMachin, il a fait les Mines ou l’ENA, il vote socialiste modéré, ou encore progressiste-sceptique, ou centriste du troisième type. Il peut se révéler poète à ses heures, même romancier s’il le faut, mais toujours allégorique, lyrique poitrinaire aujourd’hui comme il a été stalino-lamartinien vers les années 60-70, sans jamais cesser d’être langoureux. Le nihilisme jadis s’est porté rouge-noir ; il est rose layette à présent, pastel baveur et cœur d’or, tarots "new age", yaourts au bifidus, karma, mueslis, développement des énergies positives, astrologie, occultococooning. Plus que jamais "faux-monnayeur en dévotions" (Molière), sa "vaine ostentation de bonnes œuvres" (encore Molière) ne l’empêche pas, bien au contraire, "d’en commettre de mauvaises" (Molière toujours). Partisan du Nouvel Ordre américain, ça tombe sous le sens, c’est-à-dire de la quatrième grande attaque de Réforme à travers les siècles (après Luther, après 89-93, après Hitler), il ne comprend pas les réticences de certains envers les charmes protestants. Sa capitale idéale est Genève, bien sûr, "la ville basse du monde" comme disait Bloy, "le foyer de la cafardise et de l’égoïsme fangeux du monde moderne". Il peut apparaître aussi bien racheteur frénétique d’entreprises, graisseur de pattes, corrupteur d’élus, vendeur d’armes chimiques, que titulaire d’une chaire d’éthique à la Harvard Business School, où il démontrera à longueur de cours que la morale, le management et la communication sont la même face de la même médaille admirablement vaselinée. "L’éthique dans l’entreprise, confie-t-il volontiers, c’est de pouvoir raconter à mes enfants tout ce que je fais dans mon travail." Ses détentes en famille sont sacrées, ainsi que ses parties de tennis à Bagatelle. La maison d’Orgon dont il s’intronise, comme en 1664, le directeur de conscience, a les dimensions du village planétaire macluhanien aux pavés semés de Téléthons. C’est sur les médias qu’il s’appuie, bien plus efficaces que le vieux Bon Dieu. Enfin il est le monde d’aujourd’hui, le monde faisant semblant de croire au monde, le théâtre ayant foi dans ses planches, la caméra à genoux devant la caméra, les satellites se contemplant dans le blanc des yeux, le Spectacle s’adorant au fond de ses écrans… Le Parti Dévot devenu programme mondial et faisant mine de se préoccuper des "grandes questions qui agitent la Cité". Le Show remplaçant l’ancienne Sagesse divine. L’idéal du XIIIe siècle ("un seul bercail, un seul peuple") en train de se réaliser. De façon certes un peu particulière mais sans nul doute définitive. Car, de même qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, il ne doit plus y avoir, à moyen terme, qu’une seule forme de société. La "respublica fidelium" spectaculaire avait vocation de s’étendre jusqu’aux limites de l’univers par destruction ou conversion des derniers infidèles, voilà qui est fait ou presque. La Cité du Bien succède à la "Civitas Dei" comme projet de communauté spirituelle unique rassemblée sous l’autorité d’une instance souveraine, parfaitement globale, parfaitement féroce. »

Philippe Muray, "Tartuffe" in L'Empire du Bien

 

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