17/08/2025
Le Hamas, premier ennemi postmoderne
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
ÉDITO. En exhibant des otages mourants, le groupe terroriste teste nos nerfs, notre morale et nos automatismes militants. Et gagne.
Par Peggy Sastre
Publié le 15/08/2025
Le 2 août, à Tel Aviv, des Israéliens réclament la libération immédiate des otages retenus par le Hamas, qui a diffusé des images choquantes d'Evyatar David, détenu à Gaza depuis l'attaque du 7 Octobre. © Ammar Awad / REUTERS
Ils ne se cachent plus. Mieux – ou pire : ils exhibent. Avec les images des otages israéliens Evyatar David (24 ans) et Rom Braslavski (21 ans), tous les deux capturés le 7 octobre 2023 au festival Nova et montrés émaciés, vidés, déshumanisés jusqu'à l'os, le Hamas brandit sa cruauté, revendique sa maîtrise de l'horreur. Et c'est précisément là que réside la relative nouveauté de la guerre qu'il mène contre Israël, de celles qui ne se gagnent plus à la kalach, à la roquette ou au drone, mais à la puissance symbolique.
Dans l'ancien monde, les bourreaux camouflaient. Ou alors, s'ils exposaient, c'était pour terrifier, sidérer. Les nazis filmaient leurs autodafés et leurs victoires militaires, pas Auschwitz. Les Soviétiques triaient et truquaient leurs images comme leurs mots, avec l'obsession du grand récit patriotique. Les djihadistes, eux, sont venus casser ce pacte : ils ont documenté les égorgements, les décapitations, les prisonniers brûlés vifs dans leurs cages. Le sang n’a plus été une erreur, mais une stratégie. Le mal n’était plus le moyen, il est devenu un message.
Le Hamas aura poussé cette logique jusqu’à la perfection. Mettre en scène un otage mourrant, c’est une déclaration d’ascendant. Une manière de dire : « Il se meurt, sous vos yeux, et vous ne pouvez rien faire. Voyez ce que nous faisons et ce que vous ne ferez pas. » Le champ de bataille décisif n’est pas Gaza, Jérusalem ou Tel Aviv, c’est la sphère occidentale. Ce que le Hamas veut prendre et défaire, ce n’est pas une armée, pas un pays, pas un territoire, c’est un imaginaire collectif.
Précisément celui qu’il a réussi à parasiter, comme ces vers qui pourrissent le système nerveux des sauterelles et les poussent à se suicider. Car pour Evyatar David et Rom Braslavski, pas de unes, pas de cris, pas de marches. Pas d’ondes de choc. Juste le silence — ou pire, comme au 7 Octobre, la justification. Nos esprits sont aux fers. Et face à cette prise d’otage narrative, la logique de Netanyahou s’impose avec la clarté d’un miroir inversé : il n’y a plus de paix, plus de compromis — seulement la reprise de Gaza, totale, pour de bon, pas pour contenir, pour écraser.
S’il faut évidemment qu’il soit désarmé, le génie maléfique du Hamas ne réside pas dans son arsenal, mais dans sa compréhension si fine et perverse de l’époque.
Le Hamas est peut-être notre premier adversaire postmoderne, parfaitement conscient, savant, sachant que les récits priment sur les faits. Qu’il suffit d’insérer les bons mots clés devenus mots d’ordre — « résistance », « colonialisme », « apartheid », « génocide » — pour neutraliser les réflexes. Que dans une époque ivre d’émotions, pourtant si prompte à l’emballement, si sensible au moindre déraillement lexical, si facilement hystérisée par des tweets malheureux, certains êtres humains peuventt être débranchés, déprogrammés de l’humanité.
C’est ce juif à qui l’on demande pourquoi il s’intéresse tant au sort des otages israéliens et qui répond : « Parce que les juifs sont les seuls qu’on attaque pour ce qu’ils sont et parce que nous sommes les seuls à les défendre. »
Elle est là, la victoire du Hamas. Pas d’avoir tué, saccagé, violé, mais d’avoir filmé et diffusé la torture, la faim, l’humiliation — « Je suis en train de creuser ma propre tombe » — et de savoir qu’aucune alarme ne sonnera. Que les coeurs saignent à géométrie militante et que les cerveaux n’ont plus une goutte d’oxygène sous la main. Que les ONG détourneront les yeux. Que les pancartes sont toutes déjà imprimées, mais pour d’autres causes.
Le Hamas est expert de cette stratégie ; cette grammaire du choc, il la parle comme si c’était sa langue maternelle. Et ses images d’otages faméliques, ces corps tendus à l’état de spectre et réactivant des traumatismes historiques évidents, ce sont autant de preuves de sa domination. Des images-tests, jetées à la face du monde pour vérifier jusqu’où il peut encaisser, tolérer, absoudre. Et le résultat ne pourrait être plus accablant.
Voilà ce qu’il y aurait à dire dans ces vidéos. Pas la supplique, mais le triomphe. Autant d’images qui disent : « Nous avons gagné, nous avons kidnappé vos consciences, nous avons inversé vos repères, et nous pouvons tout montrer, parce que vous ne voyez plus rien. »
Là-dessus, ils ont raison.
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SOURCE :
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