18/09/2025
Une dépendance ontologique particulière
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« Celui qui tombe amoureux souhaite une reconnaissance élaborée de lui-même. Il a besoin que la personnalité de l'autre réponde à ses exigences – des exigences qu'il comprend à peine lui-même, sauf à travers l'intuition contenue dans le visage qu'il contemple. Le sujet "tombe amoureux" lorsqu'il désire et reconnaît dans le désir la possibilité de l'amour. Il anticipe alors la consolation finale qui justifiera ses efforts et imagine la personnalité qui la lui apportera. L'amour, ici, est en réalité une intuition inspirée : il attend ce que Stendhal appelait le moment de "cristallisation".
Il existe une expérience primitive à laquelle l'amoureux fait souvent appel lorsqu'il entre dans ce royaume "magique". Il se souvient d'un être humain qui s'est occupé de lui autrefois, dont les mains et les traits étaient pour lui empreints de la sécurité, de l'intimité et de la vie de foyer. Ainsi, de nombreux visages dans la vie adulte semblent déjà préfigurer une intimité future, et nous y voyons, à tort ou à raison, non seulement la présence d'une certaine perspective, mais aussi la trajectoire de nos jours dans cette perspective. Cette expérience se combine au désir sexuel pour surmonter les obstacles naturels à la passion : la gêne et la méfiance qui accompagnent l'idée d'une union aussi intime. Elle nous libère pour l'union et pour les consolations que notre mémoire cachée nous a déjà incités à rechercher. D'où la nature "irrésistible" du fait de tomber amoureux, qui, en nous présentant le sentiment de quelque chose de totalement nouveau et totalement bouleversant, nous met simplement sur un chemin déjà tracé, que nous parcourons avec des attentes anciennes et indélébiles.
L'esquisse ci-dessus de la genèse de l'amour nous permet de voir qu'il existe une dépendance ontologique particulière qui surgit au cours de celui-ci, et que cette dépendance se répète à travers un désir complètement individualisé. La peur de cette dépendance, combinée au rêve d'une liberté sexuelle inaccessible, conduit au flirt et à la coquetterie. Dans l'œil mi-clos de la Célimène, le moi est à la fois offert et retenu. La coquetterie est la jouissance par procuration d'une transaction qui ne peut être accomplie sans catastrophe. La coquetterie ne peut aboutir qu'en s'abolissant elle-même. Ainsi, selon Simmel, dans un essai remarquable, la coquetterie est l'expression de la "Zweckmäβigkeit ohne Zweck" – "la finalité sans fin" – qui, pour Kant, est au cœur de l'expérience esthétique. Dans la coquetterie, l'objet du désir n'est jamais poursuivi ; tous les gestes restent en suspens, incomplets, et s'éteignent avant qu'aucune finalité ne puisse les habiter. La coquetterie est donc une forme de jeu : mais si elle ne fait que jouer avec la réalité, c'est bien avec la réalité qu'elle joue. La coquetterie est une reconnaissance indirecte de la dépendance que l'on risque dans le désir, et un signe que la coquette, bien que moins honnête que la prostituée, est plus alerte sexuellement. Car la coquette se retient, précisément parce que son impulsion est celle du désir : c'est une impulsion qui ne peut devenir une "transaction" que dans le jeu." »
Roger Scruton, Le désir sexuel
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |
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Commentaires
superbe couverture de bouquin!
à reproduire sur la carrosserie du véhicule familial pour faire jaser dans le quartier!
on notera aussi que le morphotype de l'homme est équilibré, bien loin des canons esthétiques actuels qui montrent des monstres de foire élevés aux anabolisants pour bétail de boucherie
Écrit par : l'avatar | 18/09/2025
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