19/04/2007
Seul contre tous… la beauté du geste…
=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires..."=--=
Léon Bloy : « Tous les fétides et tous les lâches contre un seul qui ne tremble pas. »
Misère rance et moisie de notre temps. Qu’un œil lumineux surgisse du lot nauséabond et lavasse de la quotidienneté politiquement correcte et tous les frileux à la posture morale irréprochable évacuent tout débat, avec l’heureux élu, par l’insulte suprême, celle qui colle le dos de celui qui la reçoit au mur sanglant du 20ème Siècle, ou le fait s’agenouiller devant les monceaux de cadavres que la propagande utilise sans aucun respect pour les victimes de l’Histoire afin d’assoire sa primauté : « Sale Fasciste ! » La belle affaire. Au son de ce mot, les têtes se tournent vers le désigné, les regards pointent du menton vers le malheureux en même temps que les doigts et le pauvre type, ou la pauvre fille, n’a plus qu’à baisser les yeux et à suivre son chemin, pour peu qu’on en reste là avec elle ou lui.
Pourtant, la personne en question n’a pas d’admiration pour Hitler. Non plus pour Mao ou Staline. Elle se fait un point d’honneur, sans état d’âme particulier, à renvoyer dos à dos ces enculés génocidaires. Elle les vomit. Quant aux nationalistes, aventuriers du champ politique puant de notre démocratie en état de décomposition avancée, la personne en question ne soutient ni leurs thèses ni leurs formules. Quelques saines lectures lui ont fait réaliser que le véritable champ politique de l’avenir se trouve dans une transcendance, un sursaut presque quantique, une danse dessus la plèbe, une rigolade au-dessus du troupeau. Ce qui cogne, comme une Légion aux portails de notre civilisation appelle une vision politique supérieure, un au-delà les petits projets étriqués, un changement radical, un dépassement supposé offrir une postérité à notre culture, pour peu que cela ait encore un sens dans la petite tête du citoyen producteur-consommateur moyen qui se précipite le soir chez lui pour assoire sa panse libidineuse devant la télévision, en digne sujet de l’endoctrinement généralisé. Minus habens.
La personne en question considère l’Avenir, use des technologies nouvelles, ne s’empêche nullement d’être fière de ses racines, de sa langue, de son histoire. Elle sait regarder les épiphénomènes dont les médias l’abreuvent avec un certain sens critique. Si des larmes lui viennent à l’audition solennelle de la Grand-Messe en Ut mineur de Mozart, elle tape aussi du pied sur une chanson d’AC/DC ou d’Elvis Costello, se fige sur la Voix de Björk ou de Siouxie Sioux, contemple avec émoi un tableau de Picasso ou George Mathieu, échange à l’occasion un joint avec un frère d’arme, comme au temps du bivouac autour du feu, dans les temps antédiluviens. Ni Bush ni Ben Laden ne trouvent grâce à ses yeux. Les Anarchistes encore moins. Cette personne est, tout simplement, hors du système en place. Trop Libertaire pour les anars eux-mêmes. Trop amoureuse de la terre où dorment ses ancêtres pour les idéologues simplistes en mal de frontières fermées. Trop Libertine pour les mauvais baiseurs consuméristes de culs tristes et de phallus névrosés.
Autant le dire tout de suite, cette personne est inclassable, donc dangereuse.
Elle a lu Marx et en a retenu la teneur prophétique.
Elle s’est aventurée sur la pente glissante des méditations mystiques.
Elle a sondé avec détermination les penseurs pré-socratiques, s’est délectée de Goethe ou Huysmans, a jubilé sur la 5ème Symphonie de Beethoven en même temps que sur la guitare de Jimi Hendrix, a bu les mots de Lautréamont et de Rimbaud comme des liqueurs fortes, s’est enivrée d’Oum Kalsoum et Farid El Attrache comme de poisons aux goûts de miel extatiques. Alcools forts. Eau de Feu.
Elle a été violée, pour son salut, par la pensée de Max Stirner et Friedrich Nietzsche, a été renversée, anéantie, avant que de mieux sentir les parfums, mieux voir les couleurs et les contrastes, mieux toucher les épidermes, mieux goûter le miel, le lait et le vin, mieux entendre la musique du silence et se redresser plus fort et plus altier. En quête de nuances. Elle a réalisé, un jour, qu’elle était un Corps, une pensée en actes, un être libre, souverain de sa voie. Aussi, aspire-t-elle à renverser, de même, le statu quo insultant, pour rétablir la situation selon des arcanes nouveaux. Elle n’est pas de droite. Elle n’est pas de gauche. Elle aspire à l’Homme Total, celui qui sait danser sur ses deux jambes, la droite et la gauche, afin qu’il n’y ait plus d’ère Totalitaire. Elle est jeunesse et vivacité. N’appartient à personne. Personne ne peut la soumettre à sa botte, même dans la Mort. La Mort, justement, à aucun moment elle ne l’esquive, elle la considère bien dans les yeux car elle a lu Pascal. Elle aime la terre, ses forêts, ses déserts de sable et de glace, ses océans, ses champs fertiles, ses minéraux, ses végétaux, la faune et la flore. Elle aime le danger parce qu’elle est animale. Mais elle transcende le danger parce qu’elle pense et jouit d’être vivante avant que de mourir. L’artifice culturel est une bénédiction. D’ici et Maintenant elle pense au-delà. De ce Lieu vers la perspective ouverte. Michel Onfray ou Maurice G. Dantec, Philippe Sollers ou Alain Soral, les complémentarités qu’elle y trouve en emmerdent plus d’un, à commencer par les défenseurs idéologiques des chapelles, les dévots consternés, les pétasses accrochées à leur eau bénite. Un frémissement jouissif se saisit d’elle lorsqu’elle entend les discours de Malraux ou relit « L’étranger » d’Albert Camus. Elle aime les chants de guerre des indiens des plaines en même temps que la musique des gnawas ou celle de Nusrat Fateh Ali Khan. Écoute Léo Ferré et Jacques Brel, en même temps que Noir Désir ou le groupe Marquis de Sade. Trace sa voie sans se préoccuper des affamés jaloux qui ne comprennent pas le sens d’une vision à 360°. Cure et Joy Division l’inspirent. Stravinsky et Mahler également. Elle relit la Bible, même quand elle est agnostique, éprouve toujours de la reconnaissance au moment du repas, et à chaque orgasme pense « Hosanna, au plus haut des Cieux ». Ernst Jünger lui a appris « le recours aux forêts », Proudhon et Bakounine qu’une nouvelle donne économique était possible. Tocqueville, qu’elle se devait de posséder un sens profond de l’observation et de l’analyse avant tout. Guy Debord, que plus que jamais elle se devait de s’arracher à la fausse représentation pour enlacer la Vie. Cette personne est une terroriste métaphysique en puissance.
Le grand nombre ? Les autres ? Ils se résignent au pacte... persuadés que leur mensonge qu’ils prennent pour la vérité perce l'aurore... fiers, solides, décidés et vaillants en groupe... emplis de cet orgueil qui nomme le clan et assure l'avenir de mille feux sereins.
Se résignant au pacte, ils encerclent le pauvre bougre et lancent leurs litanies, assurés qu'il finira par lâcher prise et se joindre peut-être à eux, finalement, quel réconfort ce serait, la légion s'en trouverait renforcée, comme accomplie.
C'est qu’il a beau écrire, jubiler avec les mots, jouir de dire quelque chose qui le dépasse, mettre sa pensée en spirale, les talents lui manquent, ils le lui affirment sans arrêt avec une détermination convaincue et convaincante, les yeux injectés de sang.
Ils viennent comme au temps jadis on venait chercher la sorcière, le diabolique ou l'hérétique, la torche à la main, la fourche brandie comme un crucifix improvisé...
Ils viennent avec leur haine fétide, leur souffle revanchard, leur ressentiment incurvé... cette haine d'eux-mêmes qu'ils retournent envers autrui pour ne pas s'autodétruire... mais tôt ou tard finissent par se détruire tout de même.
Ils viennent au grand jour, ils chantent, joyeux d'être ensemble, entassés les uns sur les autres avec leurs néfastes certitudes de pleutres et de chiens. Ils dansent, gais comme des ivrognes refaisant enfin le monde, à leur image, bien-sûr. Ils tournoient sur leurs flasques évidences, se persuadent que chacun est leur raté réciproque, élaborant de très sérieuses théories sur l'art, la morale, la collectivité, le prochain, la politique et la sacro-sainte tolérance... la merde sociale purulente. Ils se persuadent autant qu'ils cherchent à persuader autrui qu'ils n'ont pas de vocation, de prédisposition, que personne n'en a ou si peu, que l'exception est une invention, que nous sommes tous kif-kif-bouricaut-démerdez-vous-avec-ça. Car absolument tout se vaut. C’est là leur profonde résolution.
Lui porte sur ses semblables un regard tantôt hagard, tantôt acide. Souvent placide. Il est dans l'étrangeté de ses notes intimes. Dans un autre temps, une respiration parallèle, un cerveau profond, un influx détourné, un laboratoire, une épuration des mots pour capter le plus adéquat... toujours. Il tient un compte de ses visions, de ses larmes. Son carnet vivant. Ses notes intimes : cauchemars, rêves, idées, pensées, coup de grisou interne, éboulements, apparitions, éclaboussures, contractions, crispations, convulsions, soubresauts.
Un spasme intrinsèque, impossible à déterminer, à cause d’une odeur, d’une caresse d’air, d’une couleur particulière et le fond le touche avant même qu’il n’ait songé à le toucher lui-même.
Les disparus en viennent à le visiter, portant leur requête au seuil de sa conscience. Ce ne sont pas des fantômes. Ce ne sont pas des flux surnaturels. C’est le code intérieur. Le programme inévitable. La mémoire concrète qui mène sa propre danse. L’écrivain ne fait que surfer sur ses vagues de magma en fusion. C’est là la grande énigme. C’est là la grande ivresse. La vitesse dans une immobilité sereine. Le souffle de l’Esprit du monde, des astres, de la poussière cosmique. L’Univers vibre et tout se met à parler. Paysages. Visages. Corps. Le quotidien que défendent les couchés, les aplatis, la meute, est balayé, relégué aux oubliettes, pour toute conscience qui se veut telle. L’actualité et son flot de malaises sinistres. Chômage. Sang sous les titres. Explosions terroristes. Viols en tournantes. Soudain, les racines plongées dans le suc fiévreux des ancêtres exigent leur déploiement vers l’avenir. L’Arbre veut pousser, ses feuilles veulent jouir. Et la lumière est si belle. Le Roman est un processus. Le Récit est une obligation. La cohorte peut aboyer autant qu’elle le désire, le Verbe poursuit sa route.
Il les reçoit d’ailleurs tous sans baisser la tête. Fixité de ses yeux.
C’est qu’on accepte de mourir quand on est dans la Vérité. On accepte de mourir quand on a expérimenté la douleur, la jouissance, la ténèbres et la lumière. Quand on a vu. Même si la souffrance se présente à la porte de sortie il y a un sourire intérieur qui vaut toutes les morts violentes.
Quant à eux, ils trouvent toujours un mot à dire, surtout quand ils n’ont rien à dire. C’est plus fort que tout. Il faut que ÇA parle. Il faut que ÇA éructe. Il faut que ÇA se rassure. Le néant veut demeurer comme tel. De temps à autre ils se doivent d’édifier leur crasse, leur néfaste malédiction qu’ils considèrent toujours comme la bénédiction ultime. Et l’anonymat est la parure adéquate pour se déplacer dans leur tourmente. Compromettre, déconsidérer, porter atteinte dans l’intime, ruiner pour être vraiment dans la jouissance collective. Pour être à l’unisson, vraiment, ne former qu’un seul bloc monolithique, lourd et banal : nuire, éprouver la singularité pour la réduire. Vomir, gueuler de la criticaille, trouver toujours quelque chose à dire. Molarder du foutre de séniles petites frappes ou des pertes blanches d’hystériques mal-baisées. Délation. Complot officieux. Inutile d’officialiser quoi que ce soit. L’officieux fonctionne à merveille depuis la nuit des temps. Et l’officieux aime à border l’Être dans ses attestations, ses certificats, ses normes. Car à sa manière, l’officieux est chicaneur, pinailleur, pointilleux, mais le dandysme en moins. C’est-à-dire : obsédé. Son obsession est une vertu à ses yeux. Sa maladie une éthique. « Sus à l’extrémiste ! Sus au paranoïaque ! Celui qui nous rappelle ce que nous sommes, à mort ! À bas ! »
Les tontons macoutes de notre douce métropole veillent. Ils font tourner leurs zombies dans les sphères où l’on pense pour une surveillance de premier ordre. Et leur pensée est une pensée de porcs. À l’écoute, l’attention en alerte, le doigt sur la détente, ils flinguent à bonne distance, prêts pour la mitraille. Ils sont tellement nains, tellement « beaufs », tellement dénués de tact qu’ils ne se cachent même plus ou si peu, fiers d’approcher leurs cibles avec le système entier en paravent pour leur protection, sans qu’ils n’aient même pas besoin de se cacher. Leurs basses besognes se pratiquent de plus en plus au grand jour. D’officieux on passera bientôt à Officiel. Une fois que les cerveaux bien lavés seront aptes à recevoir les doses de came nécessaires à la bienséance globale. Ils le sont déjà dans une large mesure.
La tactique est notoire. Toute pensée non validée se doit d’être expurgée de toute proposition néfaste, si on y parvient pas, purgeons-la purement et simplement. « Pour que la purge soit efficiente discréditons, tous ensemble, en masse, en horde, en LÉGION, le sinistre paltoquet qui ose péter plus haut que notre cul, qui ose se proclamer Souverain (pourquoi pas Seigneur pendant qu’il y est !) en l’acculant au précipice de l’Histoire, en l’obligeant à se soumettre devant les monceaux de cadavres. Il est d’extrême droite, c’est sûr. » Les déviationnistes d’aujourd’hui seront lapidés. Les exécuteurs n’ont pas d’état d’âme. Que celui d’entre vous qui est sans péché jette la première pierre ? Il n’y a pas de péché. Il n’y a pas de hiérarchie. Le seul ordre qui vaille est celui de l’égalité. Le nivellement est une idée neuve en Europe. Mieux : une idée neuve dans le monde. D’ailleurs le Monde est une idée neuve et indéfiniment renouvelée. Voici une foi qui n’a rien au-dessus d’elle. Ces inquisiteurs qui s’ignorent ont le vent en poupe. Subsides, allocations et contributions les arment et gonflent leur espoir. Et leur espoir est redoutable. Il mord. Il mord tout ce qui cherche à propager une singularité altière. Il mord et met en pièces toute critique qui ne rentre pas dans le cadre de la livide bidoche qui lui fait office de cervelle. Car la tripaille est sa satisfaction. Fast-food littéraire. Fast-food philosophique. Fast-food et loisirs. L’Institution veille au grain. L’institution a fait rentrer dans son giron les rebelles. Les originaux ont droit de cité. L’Originalité est acceptée… tant qu’elle est « éthique ». Tant que la Matriarchie Républicaine peut s’y mirer comme en un miroir. Comprendre que c’est là son « éthique ». Et son « éthique » exige une surveillance générale, digne des pays de l’ex-bloc de l’Est au sein desquels tout le monde surveillait tout le monde.
Si votre originalité n’est pas conforme la horde viendra. La meute tribale. Les porcs désincarnés aux ordres de la nouvelle nomenklatura. Prêts au sale turbin moral.
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Bande son du moment : Le Groupe Murderer's Row
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « Dans "Cosmos Incorporated" la référence fondamentale est une vieille querelle scolastique du XIVème siècle, quand saint Thomas d'Aquin se dresse contre les tenants des théories d'Averroes, qui avait inventé le monopsychisme. Ça consiste à dire qu'il n'y a qu'un seul psychisme qui est une sorte de force démiurgique, ce qu'il appelle "l'intellect agent séparé", donc séparé aussi bien de Dieu que de l'âme humaine. Une sorte de force autonome, qui se pense à travers nous et qui nous pense. Cette théorie trouve alors écho à la Sorbonne auprès d'un certain nombre de théologiens catholiques de l'époque, et saint Thomas se dresse contre en disant que l'homme est un être pensant, un être libre. Pour moi, le monopsychisme, c'est le point d'ancrage en Occident du nihilisme, le moment où ça va déraper. Ça va donner ce que j'appelle les "fausses lumières", puisque pour moi, les vraies lumières ont lieu au Moyen-Age. Ça va se confirmer avec l'émergence des idéologies modernes, à partir de la Renaissance, c'est-à-dire le libéralisme, le nationalisme, la destruction de l'Europe, les guerres de religion, la Révolution française, le stupide XIXème siècle, comme disait Léon Daudet, les guerres mondiales, le XXème siècle, et puis là où on en est maintenant. » Maurice G. Dantec
Humeur du moment : Actif dans la Pensée... Pensif dans l'Action...
19:35 Publié dans Humeurs Littéraires | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Tombé sur ton site par hasard. Beau style. Dans mes favoris aussitôt. Bloy, Dantec et Rock & Roll, références précieuses.
Je reviendrai
Écrit par : Gregory | 02/02/2009
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