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13/06/2008

Cohorte

=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires"=--=

Parfois, comme ce jour, me reviennent ces lointains souvenirs, telle une cohorte bariolée et sanglante, un défilé de fantômes, mes frères passés d’un instant perdu dans les limbes de la destruction, avec lesquels j’ai partagé des dérives creuses, des naufrages plein des rêves éteints, des espoirs futiles. Stéphane M., Guy D., Kiki (guitariste prometteur), Gauge, Gros Bob, Tifton, Titi (batteur de métal redoutable), Pupuce, Mingo, Milo, David B., Jean-Michel D. (guitariste avec moi au sein d’un groupe de hard rock pendant six mois), et tous ceux que j’ai oubliés qui m’apparaissent, parfois, subreptissement, malgré moi, sans que je saches pourquoi, et, enfin, tous ceux dont j’ai oublié le nom mais dont les visages sont restés gravés sur le celluloïde de ma mémoire. Une bande de pirates nocturnes, d’agités du bocal, de « dingues et de paumés », de déglingués de la vie. Toujours dans des piaules sordides, sombres et sales, humides, puantes et enfumées. Fournaise de joints et aiguilles semeuses d’éclairs. Pilules et buvards. Acides de toutes sortes. Alcools qui rendent fou. Et même tout en même temps. Tous sont morts. Overdose, Sida. La déchéance spectaculaire projetée sur nos écrans argentés étalée dans nos médias vampires ne présente au grand public que la partie visible de l’iceberg de la souffrance. Comment ai-je fait pour survivre à cette longue chute de deux longues années ? 1983-1985. Est-ce ma bonne étoile ? Dieu existe-t-il ? Ai-je été touché par une grâce céleste ? Couché sur des matelas aux tâches douteuses, de sang, de foutre, de sueur et d’urine, tandis que mes compagnons d’infortune refaisaient le monde guère mieux que des piliers de comptoirs, c’est-à-dire capables de s’enterrer dans les plus sordides certitudes avant de briller quelques instants en se surprenant eux-mêmes, moi, de corps présent mais d’âme absente et alors que mes yeux les fixant leur signifiaient mon accord de principe, mon regard, en vérité, basculait progressivement vers les territoires intérieurs où, en secret silence, je radiographiais mes cellules, mes neurones, mon système lymphatique et musculaire, équarrissais mon âme que je suspendais aux crocs de ma boucherie interne. Géographe de mes viscères, de mon foie, de mon cœur, de mes poumons, de ma bite accrochée à mes bijoux de famille. Cartographe de ma colonne. Explorateur de ma moelle. Curieusement je n’ai pas désintégré mon esprit. Mon âme vivante. Je n’ai pas anesthésié mes énergies dans cette longue et éblouissante liturgie personnelle. Hallucinante théologie. Cosmogonie écarlate. Quel outrage que cette comète qui fut la mienne. Six heures du matin, quatorze heures : sommeil profond. Après-midi entières passées à la bibliothèque à lire comme un pèlerin possédé par le Verbe. En début de soirée un unique repas de la journée : des pâtes et des œufs au plat. Ma mère me faisant la guerre ne faisait plus aucune course. Les meubles de la cuisine étaient désespérément vides mais je me débrouillais. Il y a prescription. À partir de 20h, la nuit une fois installée, je m’enfonçais dans la jungle des fièvres futuristes et antiques avec mes frères de défonce. À la maison vers 2 ou 3h du matin, j’écrivais jusqu’à ce que l’exorcisme et la catharsis réduisent mes forces à néant. Alors je sombrai comme un cadavre au fond de mes abysses. Mais au réveil je trouvais sur la table de ma chambre les feuilles et les cahiers dans lesquels gisaient des quartiers de viandes : mes mots concrets que je pouvais sentir, toucher, sucer, mâcher et même vomir jusqu’aux larmes. Bah ! Que les souvenirs demeurent mais que la chasse se poursuive.

07:00 Publié dans Humeurs Littéraires | Lien permanent | Commentaires (4) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Ô sombres héros de la blanche amère... 1986-1996... la vie/la mort... à nos frères de galères...

Écrit par : Scheiro | 21/06/2008

10 années Scheiro !!! ? Moi j'en serais mort. Je ne t'en souhaite qu'une vie bien plus savoureuse l'ami...

Écrit par : Nebo | 21/06/2008

Mort ? Mais ça faillit se produire plus d'une fois, mon cher Nebo. Heureusement que nous avons en France d'excellents médecins et un SAMU avec des ambulances qui ne tombent pas souvent en panne ;-)) Malheureusement, comme tu le notes dans ton billets les ambulances arrivent parfois trop tard, dans mon entourage ce fut une véritable hécatombe. J'en garde le souvenir :
http://www.flickr.com/photos/scheiro/1308148142/

C'était déjà très savoureux à l'époque, mon ami, maintenant je ne fais que déguster. J'ai même arrêté les Craven A cette hiver, alors que je ne bois plus une goutte d'alcool et ne fume plus de zentla depuis des lustres déjà. Une vie sans aucune prise de psychotropes est une drôle de vie...
....... Bien à toi et à Marie .......

Écrit par : Scheiro | 21/06/2008

Ma prochaine note sera pour ta pomme, Scheiro...

Écrit par : Nebo | 22/06/2008

Les commentaires sont fermés.