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24/07/2014

L'Art est rentré dans l'Ordre

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« Si on veut établir une distinction décisive, il ne s’agit pas d’établir une distinction psychologique entre l’art crée dans la joie et l’art crée dans la peine, entre la santé et la névrose, il faut établir la distinction qui sépare la réalité artistique et la réalité sociale. La rupture avec la réalité sociale, la transgression rationnelle ou magique est une qualité essentielle de l’art, fût-il le plus positif ; [il] se tient à distance du public même auquel il s’adresse. Quelques proches et familiers qu’aient pu être le temple ou la cathédrale pour ceux qui vivaient autour, ils exprimaient un contraste terrifiant ou sublime avec la vie quotidienne de l’esclave, du paysan, de l’artisan – avec celles de leurs maîtres également, peut-être.

Ritualisé ou non, l’art contient la rationalité de la négation. Dans ses positions extrêmes, il est le grand Refus – la protestation contre ce qui est. […].

Il a continué à vivre sous cette forme, en dépit de toute démocratisation et de toute popularisation, à travers le XIX siècle et au début du XX. La « culture supérieure » qui cultive cette aliénation de l’art, a ses propres rites et son propre style. Le salon, le concert, l’opéra, le théâtre sont là pour créer et évoquer une autre dimension de la réalité. Ils ont les mêmes caractères que la fête ; ils transcendent l’expérience journalière et tranchent sur elle.

 Actuellement cette distance essentielle entre les arts et l’ordre de tous les jours est peu à peu abolie par les progrès de la société technique. Le grand Refus est refusé. L’ « autre dimension » est absorbée par le monde prévalant des affaires. Les œuvres de la distance sont elles-mêmes incorporées dans cette société et elles circulent comme parties et fragments du matériel qui orne et psychanalyse le monde prévalant des affaires, ainsi elles se commercialisent – elles se vendent, elles réconfortent ou elles excitent. Les défenseurs de la culture de masse trouvent ridicule qu’on puisse protester contre l’emploi de Bach comme musique de fond dans la cuisine, contre la vente des œuvres de Platon, de Hegel, de Shelley, de Baudelaire, de Marx et de Freud, au drugstore. Ils insistent sur le fait que les classiques ont quitté le mausolée et sont revenus à la vie, sur le fait qu’ainsi le public est éduqué. C’est vrai, mais s’ils reviennent à la vie comme classiques, ils revivent comme autre qu’eux-mêmes, ils sont privés de leur force antagonique, de leur étrangeté qui était la dimension même de leur vérité. Le but et la fonction de ces œuvres ont donc fondamentalement changé. Si à l’origine elles étaient en contradiction avec le statut quo, cette contradiction a maintenant disparu. »

 

H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel, (1964) 

 

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