04/05/2011
Pour le régal des cochons errants
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« Le monde moderne, las du Dieu vivant, s’agenouille de plus en plus devant des charognes et nous gravitons vers de telles idolâtries funèbres que, bientôt, les nouveau-nés s’en iront vagir dans le rentrant des sépulcres fameux où blanchira, désormais, le lait de leurs mères. Le patriotisme aura tant d’illustres pourritures à déplorer que ce ne sera presque plus la peine de déménager les nécropoles. Ce sera comme un nouveau culte national, sagement tempéré par le dépotoir final où seront transférés sans pavois – pour faire place à d’autres – les carcasses de libérateurs et les résidus d’apôtres, au fur et à mesure de leur successive dépopularisation.
Lorsque Marat eut achevé son ignoble existence, "on le compara", dit Chateaubriand, "au divin auteur de l’Evangile. On lui dédia cette prière : Cœur de Jésus, cœur de Marat ! ô sacré Cœur de Jésus, ô sacré cœur de Marat ! Ce cœur de Marat eut pour ciboire une pyxide précieuse du garde meuble. On visitait dans un cénotaphe de gazon, élevé sur la place du Carrousel, le buste, la baignoire, la lampe et l’écritoire de la divinité. Puis, le vent tourna. L’immondice, versée de l’urne d’agate dans un autre vase, fut vidée à l’égout".
La poésie moderne, devenue l’amie de la canaille, devait finir comme l’Ami du Peuple. Madame se meurt, Madame est morte, Madame est ensevelie, non dans la pourpre ni dans l’azur fleurdelisé des monarchies, mais dans la défroque vermineuse du populo souverain, et voici de bien affreux croque-morts pour la porter en terre. Toute la crapule de l’univers, en personne ou représentée, défilant pendant six heures, de l’Arc de Triomphe au Panthéon.
Il eût été si facile, pourtant, et si simple, de faire la levée de ce cadavre à coups de souliers, de le lier par les pieds avec des câbles de trois kilomètres et d’y atteler dix mille hommes, qui l’eussent traîné dans Paris, en chantant La Marseillaise ou Derrière l’Omnibus, jusqu’à ce que chaque pavé, chaque saillie de trottoir, chaque balustre d’urinoir public eût hérité de son lambeau, pour le régal des cochons errants ! »
Léon BLOY, Le désespéré
15:37 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Signalons en passant que depuis 2010 (-mais elle a mis un temps à être distribuée!) existe l'édition du Désespéré. la plus achevée, la plus complète, de loin la meilleure et qui fera désormais référence. Pour moins de 10 euros (ou volez le à la Fnac!^^), en G.F, vous aurez le premier et à mon sens le plus grand roman de Bloy, plus sublime, plus baroque aussi que la pourtant superbe Femme pauvre. C'est que c'est à peine un roman... Le désespéré est une oeuvre si folle, si hors norme, elle bouscule tous les codes génériques du roman, la voix auctoriale se confond avec celle du personnage, Caïn est Bloy, en tous cas brouille les pistes puisque des textes de Bloy sont donnés comme étant de Caïn. Roman formé d'une rapsodie de textes, roman à clé et roman symbolique où tout doit être compris en parabole, où l'onomastique est capitale, ou tout geste à un sens mystique qui renvoie à l'architectonique symbolique de ce livre des livres qui explique la création - et l'Histoire - comme un livre, (on comprend la fascination de Borges pour Bloy, l'"un de mes trois ou quatre auteurs de chevet dit-il)) mais aussi roman de l'ère moderne, roman qui cite Lautréamont, roman écrit par un homme qui a eu Jarry et Allais pour ami et connu Darien et Marc Stephane, oeuvre d'un Bloy qui fut l'un des collaborateurs principaux de ce laboratoire de nos modernités qu'est le Chat Noir.
Mais je quitte ma route qui est simple : j'ai trois éditions du Désespéré, j'ai du le lire une bonne trentaine de fois, l'édition Glaudes avec ses notes et document ne sera pas dépassée.
http://www.fabula.org/actualites/l-bloy-le-desespere-ed-p-glaudes-gf-flammarion_38281.php
Écrit par : Restif | 05/05/2011
Merci pour l'info, Restif. Mais... question. En quoi cette édition est-elle la plus complète ? Je suis un inculte en la matière. Ce sont les commentaires, les notes qui font la différence ? J'imagine que le texte est le même. Moi j'ai lu l'édition de "La Part commune" avec préface de Joseph Peyronnet.
Écrit par : Nebo | 05/05/2011
Milles excuses pour mon retard de réponse, j'en suis confus Nebo, résolument confus. On remet, on remet, et les jours s'effilochent comme pour mieux souligner avec quelle rapidité se défait la trame de notre vie et combien irréelle est sa substance. J'ai d'abord essayé de dire en quoi cette édition était incontestablement supérieure pour la compréhension même du livre, ce non seulement par les notes si fouillées, (un boulot prodigieux) fruits d'un travail de 25 ans, auxquelles s'ajoute l'aide de nombreuses personnes, mais aussi par ses documents et par l'établissement de son texte même. Finalement c'est ce passage de Glaudes (voir plus loin) qui m'a paru résumer le mieux ce que cette édition apportait et qui manque aux autres. Déjà, Il faut savoir que Bloy a d'abord dû faire éditer son texte chez Soirat après le refus de Stock, au dernier moment, de publier, ce alors qu'il ne restait qu'à brocher les exemplaires, refus d'un Stock tétanisé d'effrois et surtout cédant aux pressions de certains des portraiturés du déjeuner chez Beauvivier (et à sa propre lâcheté). Puis, voyant que l'édition Soirat ne déclenchait pas les foudres de la justice, et le coup étant tiré, Stock, sans la permission de Bloy, imprime la première version, un peu différente - Bloy ayant changé légèrement son texte pour l'édition Soirat (qui bien que parue avant est donc seconde par rapport au texte édité par Stock).
Enfin parait une nouvelle édition, en 1913, chez Cres, édition remaniée par Bloy, qui par exemple change le nom du dédicataire (ce qui est embêtant : le vrai dédicataire étant Louis Montchal, le portrait vivant de Leverdier. Bloy se montre là bien ingrat, mettant son changement au compter de l'athéisme de Montchal, athéisme qui ne l'a pourtant pas gêné des années durant, années où Montchal se saignait pour Bloy). Puis in fine, nouvelle et dernière édition : celle du Mercure, reprise de l'édition Crès mais AVEC des corrections et quelques modifications de Bloy.
L'édition Glaudes, basée sur ce dernier texte, donne en notes toutes les variantes des différentes éditions. Et -dans la section "documents" - la préface de Bloy à l'édition Crès de 1913, préface fort importante .S'y ajoutent des documents passionnants qui éclairent l'oeuvre : sources, genèse du livre, clé des personnages. Voici donc ce qu'écrit Pierre Glaudes :
"Nous donnons ici le texte de cette édition du Mercure de France, souvent altéré dans les éditions ultérieures, par de nombreuses coquilles reproduites au fil des éditions reprises par de paresseux éditeurs. Nous avons conservé la ponctuation et l'orthographe de Bloy (qui écrit par exemple "Jésabel, "vagon", "naguères"). Nous indiquons en note la totalité des variantes à l'exclusion de celles qui ne concernent que la ponctuation. Il nous a semblé utile de garder la trace de la numérotation des chapitres qui disparaissent à partir de l'édition Crès. Cette numérotation est indiquée entre crochets au début des subdivisions que Bloy a conservé à l'intérieur de chaque partie."
Encore toutes mes excuses pour un tel retard à te répondre Nebo.
Écrit par : Restif | 14/05/2011
Ah ! Restif, merci pour ces précisions. Je vais me procurer cette édition GF, donc, histoire, à l'occasion d'y voir plus clair.
Sur mon exemplaire édité par "La Part commune"...
http://www.ombres-blanches.fr/Visuels/667/9782844180667_1_75.jpg
... la dédicace dit :
"AD FRATRES IN EREMO : Jacques-Christophe Maritain et Pierre-Mathias
Van Der Meer Walcheren, mes filleuls bien aimés
L.B. "
Pas d'inquiétude, Restif, pour tes retards ou oublis... nous avons tous nos devoirs et obligations dans la vie réelle... ^^
Écrit par : Nebo | 15/05/2011
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