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16/06/2011

Une bonne leçon de réalisme

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« La puberté, dit-on, est l’âge ingrat. Or, l’âge vraiment ingrat commence bien au-delà de la puberté, à dix-sept, à dix-huit ans plutôt. Un garçon de quinze ans est un enfant. On ne peut se choquer de ses insanités (actes et paroles). D’ailleurs il ne s’occupe ni d’idées, ni de morale, ni de politique, ni de femmes, et cela seul garantirait que sa bêtise est anodine. Un être humain qu’il est impossible de traiter d’imbécile, quel repos ! A partir de dix-huit ans, ce même garçon est la proie de prétentions, de jugements, de « pensées », d’« amour », le tout sur un fond d’ignorance exactement égal à celui de sa quinzième année. On commence de le prendre au sérieux, au moment qu’il ne mérite plus de l’être. Dans aucun de ses âges, l’homme ne contient autant de bêtises qu’entre dix-huit et vingt ans.

J’ajoute que ce qui précède se rapporte à la bourgeoisie. Il n’y pas d’âge ingrat chez les travailleurs. [...].

La cause principale de la bêtise du jeune bourgeois, c’est le monde de fantômes intérieur où il vit. Dans la bourgeoisie, le garçon de dix-huit ans est plus éloigné des réalités que le gamin de quatorze. En France – non aux colonies, où il arrive que des imberbes de seize ans jouent un rôle de chef, - et en temps de paix, par quels moyens un « secondaire » de dix-huit à vingt ans peut-il combattre ses fantômes, en se posant comme homme, et en se connaissant tel qu’il est (l’une et l’autre de ces démarches impliquent l’action) ? Il en a deux : la maîtresse et le sport. La maîtresse, surtout la première maîtresse d’un jeune-homme, signifie d’ordinaire un abaissement de l’intelligence et du caractère. Un garçon, pour sa promotion à l’homme, n’aurait pourtant que la maîtresse, s’il n’y avait pas le sport : solution qui immunise un peu contre l’autre, et quelques fois même permet de s’en passer.

Le jeune animal idéaliste, disons mieux, le sublime imbécile que j’étais à dix-neuf ans se fit donner sur le plateau du Parc des Princes une bonne leçon de réalisme, avant de recevoir celle du front, une année plus tard. Voici X. qui m’est inférieur et voici Y. qui m’est supérieur. Tout cela sans contestation possible. Voici ce que je dois atteindre : ceci et non autre chose, et non au-delà. Voici un univers extrêmement net, et coupant, et pur, et intelligible, sous un ciel grandiosement vide, où je m’efforce jusqu’au bout de ce que je peux. [...].

Tel fut le monde auquel j’accédai en mai 1915, sortant de cet autre monde, confus et frénétique, claustré et démesuré – le monde de mon âme – où je me débattais à ce moment. Le mal de mon âge ingrat (du vrai), je ne dis pas qu’il en fut complètement estourbi : j’en ai trainé des séquelles jusqu’à la trentaine environ. Mais quand même il en avait reçu un bon coup. Première acquisition par le sport : tenir compte de la réalité. »

Henry de MONTHERLANT, Préface, Les Olympiques, (1938), Paris, Gallimard, Pléiade, 1959, p. 222-223.

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