Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/03/2012

Tout ce qui est parfait ne tolère pas de témoins...

=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=

 

« Mes objections contre la musique de Wagner sont des objections physiologiques ; à quoi bon les déguiser encore sous des formules esthétiques. L’esthétique n’est autre chose qu’une physiologie appliquée. — Je me fonde sur le "fait" — et c’est là mon "petit fait vrai" — que je respire difficilement quand cette musique commence à agir sur moi ; qu’aussitôt mon pied se fâche et se révolte contre elle : mon pied a besoin de cadence, de danse et de marche — au rythme du "Kaisermarsch" de Wagner, le jeune empereur lui-même ne réussit pas à marcher —, mon pied demande à la musique, avant tout, les ravissements que procurent une bonne démarche, un pas, un saut, une pirouette. Mais n’y a-t-il pas aussi mon estomac qui proteste ? mon cœur ? la circulation de mon sang ? Mes entrailles ne s’attristent-elles point ? Est-ce que je ne m’enroue pas insensiblement ?... Pour entendre Wagner j’ai besoin de pastilles "Géraudel"... Et je me pose donc la question : mon corps tout entier, que demande-t-il en fin de compte à la musique ? Car il n’y a pas d’âme... Je crois qu’il demande un allégement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effrénés et orgueilleux ; comme si la vie d’airain et de plomb devait perdre sa lourdeur, sous l’action de mélodies dorées, délicates et douces comme de l’huile. Ma mélancolie veut se reposer dans les cachettes et dans les abîmes de la perfection : c’est pour cela que j’ai besoin de musique. Mais Wagner rend malade. — Que m’importe, à moi, le théâtre ? Que m’importent les crampes de ses extases "morales" dont le peuple se satisfait ! — et qui n’est pas "peuple !" Que m’importent toutes les simagrées du comédien ! — On le devine, j’ai un naturel essentiellement anti-théâtral ; au fond de l’âme, j’ai contre le théâtre, cet art des masses par excellence, le dédain profond qu’éprouve aujourd’hui tout artiste. Succès au théâtre — avec cela on baisse dans mon estime jusqu’à ne plus exister ; insuccès — je dresse l’oreille et je commence à considérer... Mais Wagner, tout au contraire, à côté du Wagner qui fait la musique la plus solitaire qu’il y ait, était essentiellement homme de théâtre et comédien, le mimomane le plus enthousiaste qu’il y ait peut-être jamais eu, même en tant que musicien... Et, soit dit en passant, si la théorie de Wagner a été "le drame est le but, la musique n’est toujours que le moyen" — sa pratique a été, au contraire, du commencement à la fin, "l’attitude est le but, le drame et même la musique ne sont toujours que les moyens". La musique sert à accentuer, à renforcer, à intérioriser le geste dramatique et l’extériorité du comédien ; le drame wagnérien n’est qu'un prétexte à de nombreuses attitudes intéressantes ! — Wagner avait, à côté de tous les autres instincts, les instincts de commandement d’un grand acteur, partout et toujours, et, comme je l’ai indiqué, aussi comme musicien. — C’est ce que j’ai une fois démontré clairement à un wagnérien pur sang, — clarté et wagnérisme ! Je ne dis pas un mot de plus. J’avais des raisons pour ajouter encore : "Soyez donc un peu plus honnête envers vous-même ! Nous ne sommes pas à Bayreuth." À Bayreuth on n’est honnête qu'en tant que masse, en tant qu’individu on ment, on se ment à soi-même. On se laisse soi-même chez soi lorsqu’on va à Bayreuth, on renonce au droit de parler et de choisir, on renonce à son propre goût, même à sa bravoure telle qu’on la possède et l’exerce envers Dieu et les hommes, entre ses propres quatre murs. Personne n’apporte au théâtre le sens le plus subtil de son art, pas même l’artiste qui travaille pour le théâtre, — il y manque la solitude, tout ce qui est parfait ne tolère pas de témoins... Au théâtre, on devient peuple, troupeau, femme, pharisien, électeur, fondateur-patron, idiot — wagnérien : c’est là que la conscience la plus personnelle succombe au charme niveleur du plus grand nombre, c’est là que règne le voisin c’est là que l’on devient voisin... »

Friedrich Nietzsche, Nietzsche contre Wagner

14:55 Publié dans Friedrich Nietzsche | Lien permanent | Commentaires (23) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

C'est vrai que passé les Ouvertures, ça devient un peu pénible ... (pardon J.-J. [il se reconnaîtra])

Écrit par : Irina | 28/03/2012

Chère Irina!
Voilà qui aurait peut-être fâché Baudelaire, un des rares poètes de France, sinon le seul, qui avait pressenti en Wagner la formidable tempête qui vibre au fond des coeurs - des coeurs du XIXème siècle déjà affaiblis, déjà rongés par la gangrène des passions pauvres de la "modération"!
Quel beau témoignange que voici: http://www.planetewagner.net/lettre_de_charles_baudelaire.htm

Écrit par : Larkens | 01/04/2012

Très belle lettre de Charles Baudelaire...

Mais...

Qu'aurait pensé Baudelaire de l'oeuvre finale de Wagner, les différentes parties de sa Tétralogie réunies en une célébration pour ainsi dire religieuse dans un théâtre spécialement érigé dans ce but, sur plusieurs jours, devant une foule en état de transe ? Cela m'a toujours interrogé, cher Larkens. Ah, à mon avis il aurait eu son mot à dire le Charles, et il aurait lancé quelques pics vigoureux en chantre réactionnaire qu'il su si bien incarner dans ses "fusées".

Par contre, Nietzsche lui-même qui passait son temps à mettre Wagner en boîte ne manquait pas d'admiration vis-à-vis de son vieil ami et maître et ce jusqu'à la fin de sa vie intellectuelle consciente. Sitôt que paraissait la partition de ses derniers travaux en cours, adaptées pour piano (c'est comme ça que circulait la Grande Musique à l'époque, c'était uniquement une affaire d'initiés), Nietzsche se précipitait pour l'acheter et se mettait au premier piano qu'il trouvait dans son errance pour pouvoir voir de quoi il en retournait. Il était, dit-on, excellent pianiste en plus de n'être pas un mauvais compositeur du tout, Wagner l'ayant découragé fortement de continuer sur cette voie. Jalousie ?

La seule chose digne d'intérêt, selon ma fibre nerveuse, chez Wagner est sa tentative de "Gesamtkunstwerk", directement inspirée de la Tragédie Grecque (ce qui a subjugué le jeune Nietzsche quand il l'a découvert), ce qui aurait pu être véritablement un ferment pour une Allemagne que Nietzsche rêvait de devenir la Nouvelle Grèce pour l'Avenir de l'Europe, tout comme la Grèce dans l'Antiquité l'avait été pour tout notre Continent. Mais Nietzsche a vite perdu ses illusions lorsqu'il a vu que Wagner s'enfermait, au final, dans une vie bourgeoise, reniant presque les errances de sa jeunesse formative, son sens de la Solitude et de l'Exil et se tournant non pas vers un Esprit Européen (plus digne, selon Nietzsche, de la notion romantique de "Gesamtkunstwerk") mais vers le nombril fermé du pan-germanisme et de l'antisémitisme. Nietzsche en bien des endroits de sa pensée, après sa rupture avec Bayreuth, laisse entendre que cette force que Wagner a su capter, en l'enfermant comme il le fait dans les limites de la grandeur allemande, allait à coup sûr engendrer... quelque chose de terrifiant et de néfaste.

Combien les luminosités de Novalis ou de Hölderlin me semblent plus joyeuses et plus solaires que les brumes sombres de Wagner, même lorsqu'elles ont la dureté de la roche et la senteur de l'humus noir de la terre germanique. Mais, cher Larkens, c'est une discussion qu'il nous fera grand plaisir de reprendre en tête à tête très bientôt je pense.

Écrit par : Nebo | 01/04/2012

En effet, très beau témoignage que celui de Baudelaire.
Vous connaissez, cher Larkens, mon amour pour les Romantiques allemands, combien je peux être bouleversée par un Novalis. Combien aussi je suis touchée par des auteurs comme Bernanos ou Bloy (et ces derniers temps, Malaparte), combien ce que dit Armel Guerne de la poésie peut m'émouvoir. Vous savez aussi mon amour pour la musique. Mais justement, en tant que musicienne, je ne peux comprendre et aimer les opéras de Wagner. Sa musique est à l'image de l'homme : schizophrène. Ses ouvertures sont magnifiques, celle de Tannhaüser me transporte et m'arrache des larmes à chaque fois mais une fois passée ce moment de grâce, c'est terminé, tout devient lourd, pesant, désordonné et pathologique ; comme si tout le pathos de Wagner explosait tout à coup. Cet homme qui n'a pas connu son père, qui a perdu son beau-père très vite, qui a connu l'exil, les histoires d'amour tourmentées, qui était à la fois adulé, détesté, et qui a été profondément influencé par la pensée de Schopenhauer, ne pouvait pas retranscrire par la musique autre chose. Je ne nie pas le génie de l'homme et du musicien mais moi qui suis capable d'écouter des opéras entiers, d'en retenir de longs passages, voir des actes entiers, je suis totalement incapable d'écouter un opéra de Wagner du début à la fin et d'en retenir ne serait-ce que quelques mesures. Ses ouvertures je les connais par coeur, ou presque, mais le reste, c'est au-dessus de mes forces.
Dieu sait pourtant que j'aime les oeuvres tourmentées; Mahler par exemple ou même des contemporains comme Ligeti, plutôt difficile à écouter quand on ne le connaît pas mais la différence avec Wagner est l'absence de schizophrénie ou même d'agressivité. Wagner est agressif, désordonné, mal dans sa peau et a une haute opinion de lui-même et tout cela dégouline dans ses notes. Mais il continuera malgré tout de me bouleverser et de m'étonner avec ce contraste merveilleux de ses ouvertures, comme si, il s'était débarrassé, le temps d'un moment de grâce de tout ce pathos qu'il ne pourra ensuite s'empêcher de faire ressortir.
Pour terminer, je ne peux m'empêcher de penser que s'il avait eu une autre vie, s'il avait réussi à aller au-delà de ses frustrations et s'il avait fait preuve d'un peu plus d'humilité, ses opéras auraient été à l'image de ses ouvertures : un miracle de la musique.

Écrit par : Irina | 01/04/2012

Ah les amis, j'entends bien vos réserves et objections!
Hélas, pour vous dire le vrai, je n'ai jamais eu non plus la "force", ni plus jeune ni à l'âge d'homme, de retenir, de contenir, de réfréner ce qu'il faut bien appeler un sentiment de saturation, d'envahissement insoutenable, d'étouffement et de vertige atroce que donnent les interminables et répétitifs mouvements des opéras du Maître de Bayreuth!

Mais....

.... contrairement à vous, peut-être, c'est un sentiment de faiblesse, un pressentiment de légèreté et de frivolité (latine?) qui m'accable - m'accablait: en moi-même résonnaient des reproches, une humilité 'de vaincu' devant plus grand, plus haut, plus achevé que moi. Quelque chose d'indéchiffrable planait au-dessus de mon entendement et j'abdiquais.

Vous savez à quel point "l'âme germanique", dont les ombres gigantesques, la lumière céleste, l'inextricable complexité ont imprégné mon personnage - maladivement sans doute(?) - et combien je bataille pour tenter de rétablir un fragile équilibre entre la perception du monde et ses reflets, ses signes, ses échos, ses voix multiples et insondables, en fonction du lieu d'où l'on me parle et m'invite au 'voyage': sans doute faut-il une adhésion immédiate, instinctive, jaillissante et sans réticences pour embrasser un art aussi 'typé' que l'opéra wagnérien - et j'en suis incapable.
Faut-il être d'Allemagne, et encore d'une 'certaine' Allemagne pour franchir le seuil de l'empathie admirative?
Nos identités sont si tortueuses! De quelles clés dispose l'Art pour y mettre de la passion?...

Les Romantiques, puisque vous les citez, sont certes plus instantanément fraternels - et donc universels. Et encore, ils ont été balayés par le Temps.

Si Dieu le veut, nous irons un jour fouler le sol de Bavière, humer l'air des cîmes, errer dans les sombres forêts, longer de calmes ruisseaux, et nous recueillir en quelque château de Louis II - et là vous serez pris, vous aussi peut-être, par le sentiment inouï d'effleurer le génie d'une terre d'où "l'âme du monde" (la 'Weltseele' qu'Ils ont tous traquée, de Novalis à Hölderlin) se met à respirer doucement - et que seul le Voyageur attentif peut espérer percevoir!

Écrit par : Larkens | 01/04/2012

Quelle belle réponse Larkens, oui, quelle belle réponse !
Ceci dit, je vous oppose un argument en réponse à votre sentiment de "faiblesse" face à plus grand que vous : si en matière de musique je place quelqu'un très haut, c'est Mozart. Et pourtant...
Un des plus grands sinon le plus grand quand il compose un opéra, une symphonie ou une messe. Je ne laisse passer aucune note, elles me pénètrent toutes et j'ai ce sentiment d'euphorie de comprendre chacune de ses mesures. Son "Cosi" me fait sourire et me rend joyeuse, sa messe en ut mineur (la Grand Messe) m'impose silence et solitude, la symphonie 40 me transporte.
Vous voyez, je suis peu de chose, et pourtant, un Mozart me parle et je le comprends.
Wagner n'est donc pas "trop grand" pour vous, cela je ne le pense pas une seconde, il y a tout simplement trop de Wagner dans la musique de Wagner, trop de pathos, je le répète.
On peut être tourmenté (et je pense qu'être artiste c'est être tourmenté) en face d'un paysage comme celui que regarde "Le voyageur contemplant une mer de nuages" de Caspar David Friedrich ou en se promenant dans la campagne de Bavière (oui, nous nous y rendrons un jour) ou bien en admirant une pleine lune à travers les arbres de la forêt. Rétablir un rapport intime avec la nature nous rend forcément tourmenté, j'en suis pleinement convaincue. En revanche, ce que je tiens à préciser c'est que le sens que je donne au mot "tourmenté" n'est pas négatif, c'est atteindre un état de méditation et de questionnement sur soi, sur notre rapport avec la nature, avec Dieu, ce que la majorité des hommes ont perdu aujourd'hui. Il est nécessaire et quasi obligatoire de ne jamais oublier d'où l'on vient et à quoi nous appartenons. Nous appartenons à un tout et ce tout doit transcender notre petite personne. L'artiste a cette chance incroyable de pouvoir rendre hommage à ce tout avec une poésie, un roman, un tableau, une sculpture ou une symphonie même si il y a eu beaucoup de douleur en amont de ce travail.
Je me souviens, et je terminerai avec ce souvenir, du jour où je suis allée à l'expo permanente des Nymphéas de Monet à l'Orangerie. Plus j'avançais dans les salles et plus la taille des tableaux augmentait, jusqu'à la dernière salle où les toiles recouvrent les murs ovales sur 2 m de hauteur, pouvant aller jusqu'à plus de 15 m de long. Lorsque je suis entrée dans cette salle j'ai suffoqué et ai du m'asseoir car ce que j'étais en train de regarder me submergeait à un point que cela m'a quasiment asphyxiée. Et j'ai commencé à avoir la gorge nouée, les yeux humides, j'ai senti la douleur du peintre, sa douleur d'artiste, ses tourmentes, comme si ces Nymphéas me parlaient, comme si Monet lui-même me montrait toute sa douleur à accoucher de ces oeuvres. J'ai mis du temps à partir, à quitter cette salle, comme si ces toiles avaient encore quelque chose à me dire. Je suis sortie, j'ai pleuré, longtemps, j'étais réellement bouleversée.

Écrit par : Irina | 01/04/2012

Quel bel échange de qualité ! Cela me rappelle ceux que vous aviez avec Restif !

Écrit par : Rex | 02/04/2012

Restif nous manque (enfin, me manque) et j'espère qu'il sera bientôt de retour en ces lieux.

Écrit par : Irina | 02/04/2012

Bel échange mais arrêté aux réalisations XIXe siècle. ce n'est pas une critique. Il y a peu de suites vraiment intéressantes dans les réalisations des théories "Naissance de la tragédie" "Art total". Dans les théories il y a Antonin Artaud en France et ses efforts pas toujours aboutis.

Mais c'est curieux (ou bien?) d'écrire comme Nietzsche : "mes objections contre la musique de Wagner..." puis d'enchaîner des idées ??? Puis de débattre d'idées, idées sur idées. Wagner a réussi son projet.
Qu'est-ce qu'on peut répondre à une oeuvre d'art sinon une autre oeuvre d'art?

Peut-être ceci, plus serré, concentré, riche d'harmonie neuve, connaissez-vous, Harawi?
http://www.youtube.com/watch?v=FjjrxrUGOIY

mais ça reste de la musique.


Plus serré, découverte! théâtre de texte mais de corps autant, Adonis?
http://www.youtube.com/watch?v=DxCMi2pM6SQ

Bravo pour ce blog riche intéressant!
Gloria

Écrit par : Gloria | 21/04/2012

Dans ces deux oeuvres proposées, je ne pourrais tenir au-delà de 5 minutes. C'est exagéré jusque dans le pathos pur, affecté et clinique. C'est très très curieux ce monde qui se satisfait de la mise en scène de ses pathologies. Cela ne m'émeut pas, ne m'interroge aucunement et, plus que tout, je ne parviens pas à y voir la beauté espérée, le questionnement incisif. Il n'y a, au final, que de la forme "dérangée". Je n'arrive pas à suivre la trame. Je ne parviens pas à être emporté. Mais peut-être que ça n'est pas le but d'oeuvres de ce type ?

Je préfère, de loin, de très très loin, revenir à du bon vieux blues... ^^ ...en écoutant "le sens de la terre"... et être dans l'affirmation et l'acceptation de ce que nous sommes ici-bas, plutôt que dans la torsion nerveuse et épileptique et de présenter cela comme une norme nouvelle.

Je ne fais qu'exprimer ce que ce type de création provoque en moi.

Écrit par : Nebo | 21/04/2012

Bien sûr, et moi comme une autre, je ne peux exprimer sur les oeuvres que des sentiments locaux, réduits aux mots qui essaient de les exprimer. Déjà que les mots de Nietzsche sur Wagner m'étonnent (besoin de donner son opinion sur un homme qui transpire sur ses partitions!) au moins c'est un philosophe qui parle par métier de parler. Mais moi ... ^^

Si je disais que je n'aimais guère Baudelaire mon jugement ne jugerait que moi. il faut être naïf pour se choquer de l'opinion d'une quidam! Après je peux essayer d'expliquer pourquoi je ne l'aime pas trop Baudelaire mais ça ne retire rien à sa grandeur partout reconnue! ça reste le sentiment d'une personne sans pouvoir de changer concrètement les choses. (Si, à la rigueur, je peux essayer le prosélytisme pour convaincre une foule de me rejoindre! mais ce n'est pas gentil pour le poète ou l'artiste dont l'oeuvre est surtout une tentative de communion censée apporter du plaisir et ouvrir à des formes élargies..)

"C'est très très curieux ce monde qui se satisfait de la mise en scène de ses pathologies." Je ne pense pas que les auteurs et metteurs en scène des oeuvres proposées ni le monde qui les reçoit s'en "satisfassent"! Apparemment Harawi comme Adonis ont coûté cher de travail à leurs auteurs (en temps d'effort de composition) ce qui prouve au moins l'insatisfaction de ce qui est. Les artistes souffrent généralement d'un manque, leurs oeuvre essaient de le combler. Ces oeuvres s'adressent à leurs frères et soeurs de soif ! ... qu'elles ne rencontrent pas toujours,
et aussi aux curieux

Mais c'est vrai que j'ai choisi deux moments très tendus de ces oeuvres. Elles sont longues et composent arsis et thesis, tension et aussi détente.. En revanche leur tension et l'espèce de décloisonnement salle-scène (elles ne parlent pas d'un sujet extérieur mais elles nous montrent et nous disent ce qui se passe sous nous yeux en temps réel) me semble répondre en partie à une exigence ou à un souhait d'Artaud ou de Nietzsche (aesthetischer Zuhörer)

Le blues aussi bien sûr! (je ne suis pas spécialiste mais "le" blues couvre des centaines de modes de blues un peu différents les uns des autres

En voici un complètement hérétique de 1927! N'accablez pas l'auteur il a mis 5 ans à finir cette pièce :)
http://www.youtube.com/watch?v=rvadPqgZc2A

Écrit par : Gloria | 28/04/2012

Ah mais ça, c'est autre chose, Ravel, voyez-vous ? ça c'est évocateur d'autre chose que de simples crispations nerveuses, c'est une déformation "synesthésique" de la réalité. On dirait la déambulation d'un homme ivre dans une cité nocturne animée. Et en plus je trouve la pièce très belle et merveilleusement exécutée. Et les clins d'oeil américains sont réussis. ^^

Écrit par : Nebo | 28/04/2012

"Ah mais ça, c'est autre chose, Ravel, voyez-vous ? ça c'est EVOCATEUR d'autre chose que de simples crispations nerveuses"

je vous cite parce que vous écrivez le mot "évocateur", n'est-il pas le point central de toute réception, de toute sensibilité artistique ?

Pourquoi devant une même oeuvre, le même jour, X est-il horrifié, Y indifférent et Z en larmes ?

Pouvez-vous concevoir qu'une oeuvre qui n'entre pas dans votre champ de résonance sensible, donc qui - soit n'évoque rien pour vous, - soit n'évoque pour vous que de "simples crispations nerveuses"
soit vous énerve, soit vous déplaise,
entre en revanche dans le champ d'émotion d'autres spectateurs, qui puissent contrairement à vous les trouver "très émouvantes" ?

Je ne cherche pas à défendre quoi que ce soit. Mais chacun sait que la culture et la génétique comptent autant l'une que l'autre dans la sensibilité esthétique. En fait si, j'avoue que je défends le droit à certaine réserve de jugement (dans l'expression) devant le travail des artistes. "Cette oeuvre ne me touche pas", c'est déjà dur à recevoir pour un artiste qui a travaillé longtemps pour essayer de partager une soif, un désir, un effort vers quelque beauté. Après on n'est pas obligé de balayer tant de travail par trois mots tels "de simples crispations nerveuses" ni parler d' "épilepsie" ou de "pathologie". Je crois que l'artiste fait ce qu'il peut, s'il rate son coup il ne faut pas lui en vouloir.
(N'arrive-t-il pas que le critique rate son coup lui-même, et se trompe, quelquefois ?)

On n'est pas obligé non plus d'y revenir. Mais pourtant parfois, on peut voir son premier sentiment, sa première impression, revue et corrigée.. (Mais rares ceux qui acceptent ce retour sur soi.)

Je me suis demandé ce que vous penseriez de Ravel en tant qu'amateur de blues, parce que beaucoup de "puristes" rejettent ce mouvement de sa sonate comme n'étant pas du "vrai" jazz. Vous n'en avez cure et tant mieux pour Ravel qui a essayé de faire une chose belle et émouvante.

Pour vous ce blues est EVOCATEUR car vous êtes (si j'en crois votre réaction et votre commentaire) prédisposé aux images que véhicule ce style - connotations whisky cigarette au bec ironie, les yeux qui piquent, néon fumée couché à pas d'heure, tendance Chicago^^ :)

Evidemment moi aussi !

Mais Harawi et Adonis me donnent la chair de poule PAREIL ! Ne m'eng.... pas !! Quel mystère que les êtres humains ne soient pas tous semblables, n'aient pas tous les mêmes références..

Une réflexion qui m'amène un sourire de totale sympathie pour votre façon d'entendre Ravel, chez qui vous voyez "une déformation "synesthésique" de la réalité."

Je pense que Ravel était en effet synesthète bien qu'il n'en ait jamais expressément parlé à ma connaissance, ses raffinements harmoniques le prouvent.

En revanche que dire de l'auteur de Harawi et de l'auteur d'Adonis?? Tous les deux Messiaen et Latourre sont d'authentiques synesthètes !! ils voient des couleurs l'un dans les accords de sons musicaux l'autre dans les enchaînements de voyelles "couleurs phoniques"!! et ils composent par ce chemin

http://theatreartproject.com/soncouleur.html

Indulgence requise pour ces brutes surexcitées !! ^^ (Allez, soyez gentil..)

Écrit par : Gloria | 28/04/2012

Eh ! "Cette oeuvre ne me touche pas !" Certes ! Mais que dois-je faire ? Être hypocrite ? Brosser l(artiste dans le sens du poil ? Un véritable artiste face à "cette oeuvre ne me touche pas" ne mouftera même pas.

Moi, voyez-vous, je crois qu'un artiste, la plupart du temps, commence par se soigner lui-même avec ses oeuvres. On appelle ça des oeuvres de jeunesse. Puis, par la suite, il atteint à la maturité et au détachement. Et s'il rate son coup selon mes critères de valeurs, je ne lui en voudrais pas, je ne juge pas l'être humain, je juge l'oeuvre et c'est mon droit... car si nous supprimons la Hiérarchie, fut-elle totalement subjective... nous en venons vite à considérer que Tout se vaut... ce qui me dérange bien d'avantage. Il est des artistes qui condensent toutes les étapes dans une sorte d'oeuvre massive et définitive... je songe, par exemple, à Rimbaud, car c'est plus mon domaine.

Bon, pour le reste... ma foi, chacun voit midi à sa porte, pour ma part je n'irai pas interdire les oeuvres que je n'aime pas... je suis très conciliant. Mais je ne les écouterais pas ni n'achèterais leurs disques. C'est aussi simple que ça.

En fait, je suis un enfoiré de libéral, voyez-vous ? Je passe mon temps à dire, par exemple, à ceux qui critiquent les USA, qu'en Amérique rien ni personne ne nous interdit de vivre à l'écart, avec la Winchester accrochée au mur, à écouter l'Intégrale de Bach en lisant "La Somme Théologique" de Saint Thomas d'Aquin, plutôt que de boire du Coca en écoutant Michael Jackson. Moi je suis pour que chacun respire comme il veut sans venir me dire ce qui est bien et ce qui est mal en matière philosophique, religieuse, artistique, à partir de là... Harawi, Adonis... grand bien leur fasse de se crisper dans leurs noeuds nerveux... ^^

Mon indulgence ne s'arrête que là où commence la bêtise des autres. Je suis très très tolérant, Gloria... jusqu'à un certain point.

Écrit par : Nebo | 28/04/2012

"à écouter l'Intégrale de Bach en lisant "La Somme Théologique" de Saint Thomas d'Aquin, plutôt que de boire du Coca en écoutant Michael Jackson."

On peut alterner l'un et l'autre, n'est-ce pas? Puisque vous citez la libéralité américaine, tous les étudiants de Berkeley le savent.

Sans mélanger confondre créer - ni détruire - de hiérarchie arbitraire, il n'est pas mauvais de savoir que Messiaen nourrit toute son oeuvre de la pensée de Saint Thomas, et que Michael Jackson tient le Prélude à l'Après-midi d'un Faune pour la plus belle musique du monde.. Rien n'est simple. Quincy Jones le papa culturel de Michael a fait ses études au Conservatoire de Paris avec Nadia Boulanger. Je ne vous apprends rien.

Il est des gens qui aiment un cheese burger Coca au McDo un jour, et qui le lendemain ne dédaignent pas un bourguignon avec un verre de Chambertin^^ . (Moi par exemple ! mais je ne confonds pas. En revanche je connais les deux et je n'insulte aucun.. Libérale moi aussi, mais sans insulte^^) (ça peut sembler bizarre?)

On sait qu'il est très mal vu de donner des leçons à notre époque. On se fait vite traiter de "moralisateur" et c'est devenu une grave faute que de moraliser.

"Moi je suis pour que chacun respire comme il veut sans venir me dire ce qui est bien et ce qui est mal en matière philosophique, religieuse, artistique, à partir de là... "

Nous sommes exactement pareils vous et moi! Nous ne disons à personne ce qui est bien ce qui est mal! La relecture de notre échange en convaincra tout lecteur de ce blog où vous m'accueillez si patiemment!

Nos critères de valeurs ne manifestent que l'étendue et les limites de notre culture, de notre sensibilité.. Je me répète parfois - pour me tenir à ma place - que les 1000 et quelques années de musique occidentale de tradition écrite représentent..2% de la musique du monde! (rapport ethno-musicologique).

Quand je connaîtrais tout Bach (ce qui est déjà quantativement monstrueux) tout Corelli tout Scarlatti tout Ravel tout ... Henri Rabaud (!) etc. il me resterait 98% à découvrir!

Musiques du monde, que de choses à apprendre. Un vrai CMMJ (Conservatoire de Modestie en Matière de Jugement) et de prudence, car si comme vous le dites "tout ne se vaut pas", il n'est pas mauvais - vous en serez d'accord - de bien connaître bien pratiquer les genres esthétiques avant de mettre à la poubelle de nos mépris.. ou sur l'autel de nos Idoles!

Mais sans doute tout ce que je dis là ne vaut-il que pour moi. Nos jugements ne jugent que nous-mêmes, je ne dirai pas exactement que "mon indulgence ne s'arrête que là où commence la bêtise des autres" ; car mon jugement, sévère ou indulgent, est inconséquent; et surtout j'ai déjà trop à faire avec ma propre bêtise, comme vous le voyez en me lisant!!

Quand aux artistes en revanche, je crois que leur "ouverture d'esprit" concerne surtout l'ouverture sur les constructions nouvelles possibles, qu'ils entrevoient, dont ils ont soif.. Qu'ils sont seuls à soupçonner, qu'il vont peut-être souffrir pour amener au jour, puis pour faire admettre par le public cramponné à ses valeurs.

Sinon l'ouverture d'esprit n'est bonne que pour ceux qui n'ont rien à défendre.

Écrit par : Gloria | 29/04/2012

[serais-je censurée? Pas moyen d'envoyer mon passionnant commentaire :( ^^]

"à écouter l'Intégrale de Bach en lisant "La Somme Théologique" de Saint Thomas d'Aquin, plutôt que de boire du Coca en écoutant Michael Jackson."

On peut alterner l'un et l'autre, n'est-ce pas? Puisque vous citez la libéralité américaine, tous les étudiants de Berkeley le savent.

Sans mélanger confondre créer - ni détruire - de hiérarchie arbitraire, il n'est pas mauvais de savoir que Messiaen nourrit toute son oeuvre de la pensée de Saint Thomas, et que Michael Jackson tient le Prélude à l'Après-midi d'un Faune pour la plus belle musique du monde.. Rien n'est simple. Quincy Jones le papa culturel de Michael a fait ses études au Conservatoire de Paris avec Nadia Boulanger. Je ne vous apprends rien.

Il est des gens qui aiment un cheese burger Coca au McDo un jour, et qui le lendemain ne dédaignent pas un bourguignon avec un verre de Chambertin^^ . (Moi par exemple ! mais je ne confonds pas. En revanche je connais les deux et je n'insulte aucun.. Libérale moi aussi, mais sans insulte^^) (ça peut sembler bizarre?)

On sait qu'il est très mal vu de donner des leçons à notre époque. On se fait vite traiter de "moralisateur" et c'est devenu une grave faute que de moraliser.

"Moi je suis pour que chacun respire comme il veut sans venir me dire ce qui est bien et ce qui est mal en matière philosophique, religieuse, artistique, à partir de là... "

Nous sommes exactement pareils vous et moi! Nous ne disons à personne ce qui est bien ce qui est mal! La relecture de notre échange en convaincra tout lecteur de ce blog où vous m'accueillez si patiemment!

Nos critères de valeurs ne manifestent que l'étendue et les limites de notre culture, de notre sensibilité.. Je me répète parfois - pour me tenir à ma place - que les 1000 et quelques années de musique occidentale de tradition écrite représentent..2% de la musique du monde! (rapport ethno-musicologique).

Quand je connaîtrais tout Bach (ce qui est déjà quantativement monstrueux) tout Corelli tout Scarlatti tout Ravel tout ... Henri Rabaud (!) etc. il me resterait 98% à découvrir!

Musiques du monde, que de choses à apprendre. Un vrai CMMJ (Conservatoire de Modestie en Matière de Jugement) et de prudence, car si comme vous le dites "tout ne se vaut pas", il n'est pas mauvais - vous en serez d'accord - de bien connaître bien pratiquer les genres esthétiques avant de mettre à la poubelle de nos mépris.. ou sur l'autel de nos Idoles!

Mais sans doute tout ce que je dis là ne vaut-il que pour moi. Nos jugements ne jugent que nous-mêmes, je ne dirai pas exactement que "mon indulgence ne s'arrête que là où commence la bêtise des autres" ; car mon jugement, sévère ou indulgent, est inconséquent; et surtout j'ai déjà trop à faire avec ma propre bêtise, comme vous le voyez en me lisant!!

Quand aux artistes en revanche, je crois que leur "ouverture d'esprit" concerne surtout l'ouverture sur les constructions nouvelles possibles, qu'ils entrevoient, dont ils ont soif.. Qu'ils sont seuls à soupçonner, qu'il vont peut-être souffrir pour amener au jour, puis pour faire admettre par le public cramponné à ses valeurs.

Sinon l'ouverture d'esprit n'est bonne que pour ceux qui n'ont rien à défendre.

Écrit par : Gloria | 29/04/2012

Allez on pose le remington, on dénoue ses neuds nerveux,
sa cravate..


"Calme, calme,
Reste calme..
Connais le poids d'une palme
Portant sa profusion"

.
on débouche un montrachet


on se détend :)

http://www.youtube.com/watch?v=ioOf_i1enOw

http://www.youtube.com/watch?v=oJtnUfjEa-g


On aime ce qu'on peut^^!

Écrit par : Gloria | 29/04/2012

Non je ne vous censure, il n'y a pas de raison que je le fasse. Pour l'instant en tout cas.

"il n'est pas mauvais - vous en serez d'accord - de bien connaître bien pratiquer les genres esthétiques avant de mettre à la poubelle de nos mépris.. ou sur l'autel de nos Idoles!"

Si vous le dites... ^^ ...pour ma part, si une oeuvre ne me saisit pas spontanément dés la première confrontation il y a peu de chance qu'elle me saisisse un jour. Je ne dis pas que ce sera impossible, je dis qu'il y a "peu de chance". Et peut-être suis-je trop hédoniste mais je n'aime pas me faire violence. Une oeuvre peut exiger mon attention et m'obliger à me focaliser sur elle, mais il faut qu'elle soit en mesure de m'attirer d'une manière ou d'une autre dés le début, dés le premier choc. Si elle me repousse je ne ferai pas d'effort, un peu comme avec une femme. ^^

Nous auront beau tenter de trouver des expressions nouvelles, des constructions originales, le trou que nous creusons est le même depuis que l'homme a dessiné sur les parois des grottes. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ici ? Où allons-nous ? Qu'est ce que l'amour ? La haine en vaut-elle la peine ? L'Homme ne mérite-t-il pas la fraternité ? La Pensée nous vient-elle de Dieu ? Dieu se moque-t-il de nous ? L'Art peut-il accoucher de Valeurs Nouvelles et, de ce fait, être un Guide ?

"Sinon l'ouverture d'esprit n'est bonne que pour ceux qui n'ont rien à défendre."

Lorsque vous dites cela je songe, c'est plus fort que moi, à "l'ouverture d'esprit" de nos nains post-modernes qui sont bien capables de dire que Benabar vaut Mozart.

Oui, sinon, on peut alterner en passant du coq à l'âne. Je suis de ceux-là. Ma pente naturelle me poussera vers la musique Rock de qualité et l'appréciation d'une certaine légèreté Pop occidentale. Mais Mahler me ramène à la dure réalité de notre condition "humaine trop humaine" et les larmes peuvent poindre.

De nos jours nous nous faisons traiter de "moralisateur" par pires "moralisateurs" que nous. Par des abrutis qui s'interdisent littéralement de penser.
Moi, je serai tout de même un peu plus radical que vous dans mes jugements. Je dirais volontiers à quelqu'un qu'il écoute ou lit de la "merde", mais j'ajouterai aussitôt "Grand bien te fasse camarade !" Je ne crois plus du tout en une éducation généralisée au plan de la multitude bien que je conçoive aisément qu'une civilisation digne de ce nom se doit d'avoir des institutions éducatives efficientes qui serviraient de premier filtre pour faire ressortir des "personnalité" exceptionnelles afin de procéder à une "sélection". Le Grand Nombre pourra toujours apprendre à compter, lire, calculer, connaître sa Géographie, son Histoire, avoir quelques notions de Philosophie et d'Art, c'est très bien, cela aide à la soudure sociale en même temps que civilisationnelle des membres d'une société, au même titres que la pratique de moeurs, traditions et morales communes. Cependant, c'est juste un Petit Nombre qui est en mesure de comprendre et saisir la moelle d'une oeuvre, le destin d'un artiste ou d'un penseur.

Adonis et Warami, là : (--Soupir--)

^^

Écrit par : Nebo | 29/04/2012

Oui oui, j'ai bien remarqué que vous utilisiez des termes radicaux pour fustiger l'erreur esthétique! Et même des gros mots espèce de malpoli! ^^

"Cependant, c'est juste un Petit Nombre qui est en mesure de comprendre et saisir la moelle d'une oeuvre, le destin d'un artiste ou d'un penseur. "

Un petit nombre, le fameux "happy few" dont bien sûr, il est bien évident que nous fassions partie (?) ^^ Vous j'en suis sûre..

Pour ma part j'en doute. (Je n'entre pas dans le détail de mes goûts et de mes dégoûts, d'ailleurs vous avez bien vu que j'aimais ce qu'il ne fallait pas - Adonis, Harawi !)

Rassurez-vous je ne vous servirai pas le couplet relativiste. Nous ne l'aimons trop ni vous ni moi. Toutefois philosophie, histoire de l'art.. L'enseignement scolaire et universitaire apparaît aujourd'hui bien réducteur. Il se maintient dans un eurocentrisme artificiel. Artificiel en ceci qu'il néglige l'étude profonde, sinon l'étude tout court, des formes de pensée et d'esthétique millénaires du monde extra-européen que l'ouverture via les techniques de diffusion médiatique modernes met sous les yeux de nous tous, sans nous donner aucun code d'accès, nulle clef de déchiffrage.

Je ne fais pas partie du Petit Nombre capable d'apprécier la substantifique moelle d'un tas de genres esthétiques au sein desquels il faut être né pour accéder à l'essence.

(Messiaen en revanche oui, je suis née bercée de sa musique, puis mon père m'a ouverte à ses références esthétiques - système harmonique, rythmique - études du plain chant des modes grégoriens rythmes de l'Inde et de l'ancienne Grèce - et à sa pensée théologique de Saint Thomas d'Aquin à ... Urs von Balthazar! mais que c'est barbant :( ... à mon modeste sentiment!! :)

Mais c'est un fatras culturel dont je n'ai aucun besoin.. Ses Huit Préludes de jeunesse se branchent directement sur Debussy et Ravel.. Son amour de la nature, sa quête inlassable des chants d'oiseaux me parlent bien davantage.

http://www.youtube.com/watch?v=cV-e59MaVlI

je connais sa bio par coeur, c'est instructif et émouvant - pour moi pour moi je vous rassure!)

Mais j'aime beaucoup deux mots de Debussy - (et Dieu sait combien Debussy en a matériellement artistiquement socialement physiquement bavé - comme d'autres, certes) - donc voici les deux mots de Debussy que je crois comprendre... A défaut de saisir la moelle de son oeuvre et son destin (encore que...):

- "Il faudrait arriver à faire l'oeuvre qui empêche les gens de formuler quoi que ce soit qui ressemble à une opinion"

Et :

- "Et si ma musique allait ne pas plaire à Dieu ?"

Le sourire cache beaucoup de souffrance. Ce que je crois comprendre c'est ce qui a amené Debussy à s'exprimer ainsi.

J'apprécie aussi ce sentiment de Valéry :
- "L'intelligence consiste à reconnaître sa bêtise."

Parfois je me sens faire partie du Petit Nombre HAPPY FEW ! capable de reconnaître sa bêtise. Mais non..non je retombe.
je ne suis pas géniale tous les jours hélas!! Et vous?

Merci pour votre patience avec moi, c'est sincère car vous êtes très accueillant sous des dehors, des dehors... hem...

un peu... bourrus :)

PS. J'apprécie beaucoup ce que vous dites ici :
"le trou que nous creusons est le même depuis que l'homme a dessiné sur les parois des grottes. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ici ? Où allons-nous ? Qu'est ce que l'amour ? La haine en vaut-elle la peine ? L'Homme ne mérite-t-il pas la fraternité ? La Pensée nous vient-elle de Dieu ? Dieu se moque-t-il de nous ? L'Art peut-il accoucher de Valeurs Nouvelles et, de ce fait, être un Guide ?"

Je ne crois pas que vous le lirez, mais les articles de Latourre - Ardéchois né à côté de la Grotte Chauvet - avec leurs questions "Qu'est-ce que parler" "Qu'est-il possible à l'homme d'exprimer" "D'où vient à la vie ce besoin d'être" ne vous auraient peut-être pas tant déplu que ça. C'est une remise en cause – modeste, prudente - de l'essence et de la nature de nos questions..

http://theatreartproject.com/


Quant à sa pièce Adonis.. "Les larmes que versa Myrrha en mettant Adonis au monde sont l’origine de la myrrhe - l’or se doit aux rois, l’encens aux dieux ; la myrrhe : à l’homme.
Du sang qu’Adonis répand sur la terre mourant naîtra l’anémone – du grec anemos : le vent."

Mais bon, votre jugement est fait, des 12 ans de travail, en une seconde!! Méchant happy few, qui n'avez pas même pris la peine de visionner les deux courts extraits vidéo de mon commentaire précédent, un Adonis dolcissimo, et un Harawi entre potes de bistrot hyper relax.. ^^

Écrit par : Gloria | 29/04/2012

Oui... j'utilise les mots qu'il faut, Gloria, car je ne suis pas un tiède ! Je mets ma peau sur la table avec tous les risques que ça comporte. Je ne censure que lorsque le Pathos devient envahissant car je n'ai pas de temps et d'énergie (matière précieuse) à perdre ! ^^

Je ne sais pas si je fais partie des "Happy Few", ce délicieux mot de Baudelaire (qui se servait de l'anglais en traducteur de Poe) mais je m'efforce de l'être ne parvenant pas à me satisfaire de cette vie à la petite semaine qui me demande déjà beaucoup d'effort (je suis magasinier pour une société réputée de distribution de biens de consommations culturels) mais que je parviens à conjurer car j'ai une vie en dehors de mon banal travail. Tout le drame (et le bonheur ?) de ma vie s'étant résumé à une guerre constante pour tenir ma tête hors de l'eau de la quotidienneté pour avoir part à quelque chose de plus grand et de plus élevé, avec toutes les difficultés que cela comporte pour un franc-tireur et autodidacte comme moi.

La supériorité de l'Europe sur le Tiers Monde, par exemple et le Moyen-Orient, c'est que chez nous, dés le XVIIIème Siècle, Montesquieu écrivait, avec un réel intérêt, "Comment peut-on être Persan ?", dés le XIXème Siècle les hascischins et Orientalistes s'intéressaient fortement à l'altérité. Je doute que vous trouviez en Arabie Saoudite une Société Littéraire étudiant les Symbolistes Français ou le Romantisme Allemand.
Alors je veux bien que nous soyons "eurocentrés"... mais l'Eurocentrisme (à supposer que nous puissions appeler ça ainsi ???) à mes yeux, c'est ça : une ouverture qui ne se désavoue ni ne se renie !

Je ne pense pas qu'il faille être né au sein d'un contexte national pour en savourer toute l'étendue des saveurs culturels et artistiques. Il y a tant d'endormis à l'heure de la mondialisation et j'ai rencontré des arabes qui ne connaissaient pas Oum Kalthoum alors que moi je frémis à l'écoute de sa musique...

Vous avez un parcours intime qui pèse son poids en matière de formation musicale et c'est gratifiant, car cela fait sens. J'ai tenté d'écouter ce qui était écoutable... mais n'y suis pas parvenu jusqu'au bout, dans les liens que vous m'avez communiqués. A votre tour de ne pas les estimer importants : nous finirons tous par mourir et, personnellement, je ne vous tiendrais aucune rigueur si vous n'aimiez pas ce que le porte au pinacle. ^^

Être des "happy few" c'est un combat de tous les jours, même pas pour chercher à briller, juste pour tenir sa tête en dehors de la merde ambiante qui est très envahissante. Je cherche constamment à être non pas au-dessus... MAIS EN DEHORS !

J'ai des dehors "un peu bourrus" mais mon accueil devrait prouver que je ne suis pas si bourru que ça.

Écrit par : Nebo | 30/04/2012

J'apprécie beaucoup votre accueil!

Et merci, ce que vous me dites me touche et aussi ce que vous voulez bien me raconter de vous.

Sans aucun lien avec cette courte et brillante introduction^^, mais pour continuer un peu notre échange.. Je me dis souvent quand j'entends quelqu'un dire des choses opposées à ce que je sens: "Qu'est-ce qui peut l'amener à penser ça?" (Je ne me dis pas a priori que c'est un idiot pas du tout!^^ sûrement pas..)

J'ai réfléchi que lorsqu'on disait quelque chose c'était un résultat, une surface, un résumé; et que si on pouvait voir tout le mouvement qui amène la personne à dire ce qu'elle dit - vous, moi... chaque être humain ! - déjà ce serait très intéressant! et ensuite on se fâcherait beaucoup moins! Mais il faudrait tellement de temps d'attention et de patience, qu'on préfère se débarrasser d'un mot de ce qui nous heurte, surtout que la vie banale quotidienne ordinaire souvent nous fatigue déjà suffisamment comme ça! Les nerfs prennent le dessus. La patience devient un luxe!

On pense "Quel idiot! je sais par coeur tout ce qu'il va me servir! Il est bien comme tous ces crétins qui..." etc. :)

Puis je me suis aperçue que parfois ce que nous disons n'était pas de nous! Il y a des mots dans l'air qu'on reprend par mimétisme sans y faire attention, avec les idées qu'ils entraînent. Parfois ce qu'on dit c'est: répéter le journal, la télé, les mots d'un parti politique..

Mais si je dis de quelqu'un "c'est un imbécile" ou d'une oeuvre "c'est nul" ça montre toujours (pour moi !) de la fatigue et de l'impuissance. Car ces gros mots me semblent quand même.. vides! (Là c'est moi qui juge!) Selon moi ils n'expliquent rien ne déplient rien, ils empaquettent et étouffent la pensée mort-née de celui qui les prononce.. Parce qu'ils ne disent pas le pourquoi. Et après si celui qui les reçoit n'a pas d'humour ça tourne vite à la colère à la bagarre à l'émeute!

En politique.. (je ne suis pas trop compétente! je n'en suis pas fière. J'aime bien la formule de Valéry au sujet des partis politiques: "Ils retirent pour subsister ce qu'ils promettaient pour exister.")
En art (qui m'intéresse beaucoup) je me suis demandé s'il ne pourrait pas exister certaine objectivité des critères en matière de jugement de valeur..

Mais l'art touche le domaine fluctuant de la sensibilité, et quelque quantité de travail qu'un artiste mette dans son oeuvre, quelque qualité que lui-même lui croie et que les autres lui trouvent, l'équation n'est pas si précise.. On peut trouver que c'est heureux! Mais personnellement si c'est pour se disputer au sujet de choses censées réunir les hommes et les émouvoir, je le déplore quand même!

Vous savez que je suis complètement fermée et obtuse?
Oui, si! Regardez, voici un sculpteur qui me semble le meilleur des meilleurs depuis que les hommes s'amusent à sculpter! Enfin, dans certaines oeuvres.. Là par exemple comment peut-on sortir d'une chose aussi dure et froide que du marbre une telle délicatesse sensuelle..

http://www.mundodececi.com/wp-content/rapt_de_prosperpine_bernin_2.jpg

C'est mon champion de sculpture!
Bon mais si on rejette si on préfère une installation de carton ou un Giacometti beaucoup plus sec je regarde, j'écoute, je ne me fâcherai jamais! Si "l'autre" me dit que "Le Bernin c'est tout caca" je trouverai ça drôle car quand même, objectivement, le gars capable de faire ça en marbre est très fort
et ensuite le caca n'a pas du tout ni cette consistance ni cette température :)


Je me demande si le dégoût du "pathos" voire de la virtuosité (tous excès contre quoi certaine idéologie actuelle prévient le public) rend aveugle au mouvement, au rythme, à l'émotion de ces tissus dansants.

http://www.univ-montp3.fr/pictura/Images/NePasOuvrir/3/A3586.jpg

(Le Bernin a même ménagé dans la chapelle où est cette "Bienheureuse Louisa Albertoni" d'étroites ouverture qui l'éclairent de sorte à la rendre encore plus vaporeuse)

Vous voyez moi aussi j'ai des préférences!
Je me suis renseignée sur Le Bernin. J'ai appris par exemple que dans l'Angleterre du XIXe siècle on le considérait comme le pire exemple du plus mauvais goût du monde! Mais voyez les automatismes de jugement:
on dit "l'Angleterre victorienne puritaine"
comme on dit "Rebondir" "franchouillard" etc. tous ces mots qui ne sont pas de nous.

C'est peut-être ça, les voir, les éviter, qui "maintient la tête hors de l'eau" pour reprendre votre idée?

Mais de toute façon on est assujetti à la parole, à ses formes, à ses automatismes. Moi je bois la tasse plus souvent qu'à mon tour!!

Écrit par : Gloria | 01/05/2012

Et si, cher Gloria, nous nous contentions de savourer notre position esthétique individuelle sans chercher l'aiguille dans la meule de foin ? Peut-être qu'en effet ce que l'on proclame, esthétiquement, ne peut apparaître que comme une surface, un résumé rapide, un raccourci, qui peut souvent paraître lapidaire... mais, franchement, quelqu'un qui vous tiendrait un discours radicalement opposé au vôtre, cela vous empêcherait-il de poursuivre votre chemin intime, intérieur, selon la pente qui est la vôtre ? J'en doute et c'est signe de santé.

Pour ma part, le détachement me semble essentiel, une légèreté sans qu'elle ne soit frivole, une désinvolture en même temps qu'elle soit concernée. En une courte phrase : faire les choses très sérieusement sans rien prendre au sérieux. Gage de liberté authentique et de poilante déconnade face aux gens très sérieux qui ont des leçons à donner. Car si la patience est un luxe, vous avez raison, elle devient bien souvent une faiblesse qui nous fait perdre du temps. Il faut, comme disait Céline, "mettre sa peau sur la table"... quoi qu'il nous en coûte afin de demeurer nous-mêmes. ;-)

Si vous voulez... je ne suis pas égoïste, mais assurément individualiste, et lorsque je suis confronté à une oeuvre qui me déplaît, je ne perd pas de temps... je trace.

Mais j'ai remarqué une chose, il est des oeuvres qui ne me laissent pas indifférent et sur lesquelles je ne sais pas me prononcer. Il est des oeuvres que je n'accrocherais pas dans mon salon ou ma chambre...

ça par exemple :

http://uploads5.wikipaintings.org/images/jean-michel-basquiat/boxer.jpg!Blog.jpg

...mais dont le parcours de l'émergence me fascine...

Ou alors, il est des oeuvres purement conceptuelles, que je n'achèterais pour rien au monde si j'étais milliardaire. Mais dont j'aime ce qu'elles disent... chez Andy Warhol, par exemple.

Pourtant, voyez-vous, un Georges Mathieu en parvient à me toucher profondément... mais peut-être est-ce parce que je connais son fond moral et éthique que je fais miens. Tendance royaliste, intérêt vif pour l'Histoire tout comme pour l'ésotérisme, refus de la bourgeoisie mollassonne, amour de la vitesse et du risque ! Appel à un soulèvement de la jeunesse 1 an avant Mai 68... Figure paradoxale.

http://www.museefernetbranca.org/iso_album/photos_g_mathieu_0071.jpg

et puis...

http://www.modenarte.com/images/opere/mathieu/mathieu_01.jpg

et puis...

http://www.ilgiornaledipachino.com/wp-content/uploads/2011/11/Les-Philistins-marchent-sur-Gigal-olio-su-tela-cm.-81x130.jpg

Objectivité ou subjectivité... ce dont je suis sûr c'est que l'on juge les oeuvres à l'aulne de ce que l'on est et n'est pas. Si l'on est quelqu'un connaissant le prix des choses et des êtres et de leurs actes, cela aura une incidence sur notre hiérarchisation et notre discrimination, car il s'agit bien de ça. Si nous ne sommes qu'axés sur le relativisme culturel (tout se vaut, chacun est un artiste, chacun son choix, chacun son droit de dire, faire, créer...) nous risquons la mièvrerie. Or c'est un peu notre époque, hein ?, que le relativisme culturel, où l'on nous fait passer Grand Corps Malade et son Slam à la rime facile pour un équivalent de Rimbaud ou Apollinaire.

On ne peut pas luter contre Bernin... ces doigts pénétrant la chair indiquent toute la beauté et le mystère de notre Carne et Malévitch avec ses rectangles, en comparaison, me laisse... de marbre, c'est le cas de le dire. ^^

Vous savez, pour parler de "caca"... ça a beau ne pas avoir la consistance de la formulation figurée de quelqu'un qui vous dirait que "Bernin c'est tout caca"... il n'empêche que la merde a été miise en boîte depuis longtemps par nos zamis zartistes contemporains... ^^

http://fr.wikipedia.org/wiki/Merde_d'Artiste

Si le Pathos a toujours joué un rôle essentiel dans l'émergence d'un artiste (qui devient artiste parce qu'il est un dilemme à lui tout seul), l'Art authentique, à mon humble avis, si je me trompe la vie me rappellera à l'ordre, fut-il de nature entièrement conceptuelle, plus classique ou abstraite, est lorsque l'artiste s'efforce de se guérir en guérissant les autres, lorsque sa création pose des questions et s'efforce si ce n'est de trouver des réponses d'indiquer les bonnes questions. Lorsque l'Art n'est que cynique, lorsqu'il ne cherche qu'à nous faire macérer dans nos aigreurs, lorsqu'il n'élève pas nos coeurs et nos âmes vers la beauté, vers la Force, vers les cimes, lorsqu'il nous tasse et nous rend satisfaits de nos bassesses, de nos douleurs, de nos hystéries, de nos névroses... choses qui se sentent facilement... et bien est-ce de l'Art ?

Il est des artistes qui bouleversent des postures morales, mais ils ne doivent pas être que ça... ils doivent indiquer une profondeur. Choquer pour choquer ne sert à rien. Il faut que le Scandale parle.

Voyez Finky :

http://incarnation.blogspirit.com/archive/2008/03/14/vous-avez-dit-art-contemporain.html

et aussi ce lien-ci, avec notamment une émission de "Canal Académie" en fichier mp3, en fin d'article que je vous conseille de télécharger :

http://incarnation.blogspirit.com/archive/2008/03/17/vous-avez-dit-art-contemporain-ii.html

Bien à Vous, Gloria...

Écrit par : Nebo | 06/05/2012

Les commentaires sont fermés.