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03/10/2012

Dérives

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Pendant cette singulière maladie qui ravage les races à bout de sang, de soudaines accalmies succèdent aux crises ; sans qu’il pût s’expliquer pourquoi, des Esseintes se réveilla tout valide, un beau matin ; plus de toux déracinante, plus de coins enfoncés à coup de maillet dans la nuque, mais une sensation ineffable de bien-être, une légèreté de cervelle dont les pensées s’éclaircissaient et, d’opaques et glauques, devenaient fluides et irisées, de même que des bulles de savon de nuances tendres.

Cet état dura quelques jours, puis subitement, une après-midi, les hallucinations de l’odorat se montrèrent.

Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas, débouché ; il n’y avait point de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans la salle à manger : l’odeur persista.

Il sonna son domestique : — Vous ne sentez rien, dit-il ? L’autre renifla une prise d’air et déclara ne respirer aucune fleur : le doute ne pouvait exister ; la névrose revenait, une fois de plus, sous l’apparence d’une nouvelle illusion des sens.

Fatigué par la ténacité de cet imaginaire arôme, il résolut de se plonger dans des parfums véritables, espérant que cette homéopathie nasale le guérirait ou du moins qu’elle retarderait la poursuite de l’importune frangipane.

Il se rendit dans son cabinet de toilette. Là, près d’un ancien baptistère qui lui servait de cuvette, sous une longue glace en fer forgé, emprisonnant ainsi que d’une margelle argentée de lune, l’eau verte et comme morte du miroir, des bouteilles de toute grandeur, de toute forme, s’étageaient sur des rayons d’ivoire.

Il les plaça sur une table et les divisa en deux séries : celle des parfums simples, c’est-à-dire des extraits ou des esprits, et celle des parfums composés, désignée sous le terme générique de bouquets.

Il s’enfonça dans un fauteuil et se recueillit. »

Joris-Karl Huysmans, À rebours

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