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20/03/2014

Le soir venu, je retourne à la maison et j'entre dans mon étude...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Je me lève le matin avec le soleil, et je m’en vais dans un de mes bois que je me fais couper, où je reste deux heures à revoir le travail fait la veille et passer le temps avec les bûcherons qui ont toujours quelque dispute en cours, entre eux ou avec les voisins (…). Quittant le bois, je m’en vais à une fontaine, et de là à un de mes affûts d’oiseleur. J’ai sur moi le livre, ou Dante ou Pétrarque, ou un de ces poètes mineurs, comme Tibulle, Ovide et autres. Je lis les récits de leurs passions amoureuses et de leurs amours ; je me rappelle les miennes ; je me complais un bout de temps à y penser. Puis je me transporte sur la route, à l’auberge : je parle avec ceux qui passent, je leur demande des nouvelles de leur pays, j’entends diverses choses, note la variété des goûts et la diversité des humeurs des hommes. Arrive sur ces entrefaites l’heure du déjeuner, où, avec mes proches, je mange de ces nourritures que me permettent mon pauvre domaine et mon maigre patrimoine. Après le repas, je retourne à l’auberge ; il y a là l’aubergiste et, d’ordinaire, un boucher, un meunier et deux chaufourniers. Avec eux je m’encanaille tout le restant de la journée à jouer aux cartes, au trictrac, et de ces jeux naissent mille contestations et d’innombrables disputes ponctuées de paroles injurieuses ; la plupart du temps, on se bat pour un sou, et pourtant, on nous entend crier jusqu’à San Casciano. C’est ainsi, vautré dans cette pouillerie, que je me dérouille la cervelle et que je laisse s’épancher la malignité de mon sort, acceptant qu’il me piétine de la sorte pour voir s’il ne finira pas par rougir.

Le soir venu, je retourne à la maison et j'entre dans mon étude : à l'entrée, j'enlève mes vêtements de tous les jours, pleins de fange et de boue, et je mets mes habits de cour royale et pontificale. Et, vêtu décemment, j'entre dans les cours anciennes des hommes anciens où, reçu aimablement par eux, je me repais de cette nourriture qui seule est la mienne et pour laquelle je suis né : je n'ai pas honte de parler avec eux et de leur demander les raisons de leurs actions et, à cause de leur humilité, ils me répondent. Pendant quatre heures de temps, je ne sens aucun ennui, j'oublie tout mon chagrin, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne m'apeure pas ; je me transfère totalement en eux. »

Nicolas Machiavel, lettre à Francesco Vettori, 10 décembre 1513

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