Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/09/2013

Les hommes se sont papaïsés

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Fatiguée après une mauvaise nuit, Chantal sortit de l'hôtel. En route vers le bord de mer, elle croisa des touristes de week-end. Leurs groupes reproduisaient tous le même schéma : l'homme poussait une poussette avec un bébé, la femme marchait à côté de lui ; le visage de l'homme était bonasse, attentif, souriant, un peu embarrassé et toujours prêt à s'incliner vers l'enfant, à le moucher, à calmer ses cris; le visage de la femme était blasé, distant, suffisant, parfois même (inexplicablement) méchant. Ce schéma, Chantal le vit se reproduire en diverses variantes : l'homme à côté d'une femme poussait la poussette et portait en même temps, dans un sac spécial, un bébé sur le dos; l'homme à côté d'une femme poussait la poussette, portait un bébé sur les épaules et un autre dans un sac sur le ventre ; l'homme à côté d'une femme, sans poussette, tenait un enfant par la main et en portait trois autres sur le dos, sur le ventre, et sur les épaules. Enfin, sans homme, une femme poussait la poussette ; elle le faisait avec une vigueur inconnue des hommes, si bien que Chantal qui marchait sur le même trottoir dut au dernier moment faire un saut de côté.
Chantal se dit : les hommes se sont papaïsés. Ils ne sont pas pères mais juste papas, ce qui signifie : pères sans autorité de père. Elle s'imagine flirter avec un papa qui pousse la poussette avec un bébé et en porte encore deux autres, sur le dos et sur le ventre ; profitant d'un moment où l'épouse se serait arrêtée devant une vitrine, elle chuchoterait un rendez-vous au mari. Que ferait-il ? L'homme transformé en arbre d'enfants pourrait-il encore se retourner sur une inconnue ? Les bébés suspendus sur son dos et sur son ventre ne se mettraient-ils pas à hurler contre le mouvement dérangeant de leur porteur ? Cette idée lui paraît drôle et la met de bonne humeur. Elle se dit : je vis dans un monde où les hommes ne se retourneront plus jamais sur moi. »

Milan Kundera, L'Identité

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.