13/01/2014
Marginalité sociale intégrée
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Intéressante analyse de Michéa, sauf que ça n'est pas le Capitalisme ni le Libéralisme qui sont les responsables de cette sinistre situation, mais bel et bien une idéologie souterraine gauchiste qui s'appuierait sur n'importe quel système porteur afin de faire aboutir ses idées "progressistes", quitte à utiliser des éléments du libéralisme et du capitalisme pour toucher aux buts qui sont les siennes.
« À la question posée, il convient donc de répondre clairement que si la Caillera est, visiblement, très peu disposée à s'intégrer à la société, c'est dans la mesure exacte où elle est déjà parfaitement intégrée au système qui détruit cette société. C'est évidemment à ce titre qu'elle ne manque pas de fasciner les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu'il existe une façon romantique d'extorquer la plus-value. Une telle fascination intellectuelle pour la "fièvre généreuse du délinquant" (Foucault) serait, cependant, difficile à légitimer sans le concours bienveillant de la sociologie d'Etat. Cette étrange sociologie, en effet, afin de conférer aux pratiques, légales et illégales, du système qui l'emploie cette couleur "rebelle" qui les rend à la fois politiquement correctes et économiquement rentables, recourt à deux procédés principaux qui, quand on y réfléchit, sont assez peu compatibles.
Tout d'abord, elle s'efforce d'inscrire ce qu'Orwell nommait "le crime moderne" dans la continuité des délits et des crimes d'autrefois. Or ce sont là deux univers très différents. Le bandit d'honneur des sociétés traditionnelles (le cas des pirates est plus complexe) puisait sa force et sa légitimité historique dans son appartenance à une communauté locale déterminée ; et, en général, il s'en prenait d'abord à l'État et aux divers possédants. Le délinquant moderne, au contraire, revendique avec cohérence la froide logique de l'économie pour "dépouiller" et achever de détruire les communautés et les quartiers dont il est issu. Définir sa pratique comme "rebelle", ou encore comme une "révolte morale" (Harlem Désir) voire, pour les plus imaginatifs, comme "un réveil, un appel, une réinvention de l'histoire" (Félix Guattari), revient, par conséquent, à parer du prestige de Robin des Bois les exactions commises par les hommes du Sheriff de Nottingham. Cette activité peu honorable définit, en somme, assez bien le champ d'opérations de la sociologie politiquement correcte.
Quant au second procédé, il consiste à présenter l'apparition du paradigme délinquant moderne - et notamment son rapport très spécifique à la violence et au plaisir qu'elle procure - comme l'effet mécanique de la misère et du chômage et donc, à ce titre, comme une réponse légitime des exclus à leur situation. Or s'il est évident que la misère et le chômage ne peuvent qu'accélérer en retour la généralisation du modèle délinquant moderne, aucun observateur sérieux - ou simplement honnête - ne peut ignorer que ce modèle a d'abord été célébré dans l'ordre culturel, en même temps qu'il trouvait ses bases pratiques dans la prospérité économique des "trente Glorieuses". En France, par exemple, toutes les statistiques établissent que le décollage des pratiques délinquantes modernes (de même que la constitution des mythologies de la drogue) a lieu vers 1970, tandis qu'en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas il est perceptible dès 1964-1965. Expliquer le développement de la délinquance moderne (développement qui, dans un premier temps - on s'en souvient - avait été tenu par la sociologie officielle pour un pur "fantasme" des classes populaires) comme un effet conjoncturel du chômage est évidemment une procédure gagnante pour le système capitaliste. D'une part, elle conduit à présenter la "reprise économique" - c'est-à-dire l'aide accrue de l'État aux grandes firmes - comme la clé principale du problème ; de l'autre, elle dispense d'interroger ce qui, dans la logique même du capitalisme de consommation, et la culture libérale-libertaire qui lui correspond, détermine les conditions symboliques et imaginaires d'un nouveau rapport des sujets à la Loi. »
Jean-Claude Michéa, L'enseignement de l'ignorance
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