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05/11/2013

Kleist, l’éternel exagérateur, ranime de son souffle puissant le feu caché de sa résolution

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« La vie ne l’avait que trop bien préparé : elle l’avait déçu, humilié, asservi, piétiné. Mais, avec une énergie magnifique, il se redresse une dernière fois et fait de sa mort une tragédie héroïque. L’artiste qu’il y a en Kleist, l’éternel exagérateur, ranime de son souffle puissant le feu caché de sa résolution ; son coeur bondit d’allégresse et de félicité depuis qu’il est sûr de mourir quand il voudra, depuis qu’il est, comme il dit, "tout à fait mûr pour la mort", depuis qu’il sait que ce n’est plus la vie qui le commande, mais lui qui commande à la vie. Et celui qui, à l’opposé de Goethe, n’a jamais accepté franchement l’existence, consent à présent librement, joyeusement au trépas : son accent est sublime et pour la première fois tout son être vibre sans dissonance, avec la pureté de son d’une cloche. Toute raideur, toute matité a disparu ; désormais chaque mot qu’il prononce, qu’il écrit résonne magnifiquement sous le marteau du destin. Déjà il respire, le jour ne lui fait plus mal, déjà son âme épanouie reflète l’infini ; l’offensante vulgarité des choses s’efface, l’illumination de son être devient son univers et il réalise avec ravissement les vers d’Hombourg, attendant sa fin :

Désormais, immortalité, tu m’appartiens tout entière !

L’éclat multiple de ton soleil

Traverse le bandeau qui couvre mes yeux.

Je sens des ailes me soulever,

Mon esprit s’élance dans les calmes espaces éthérés ;

Et comme le navire emporté par le souffle du vent

Voit s’effacer à l’horizon le port bruyant,

Toute ma vie s’enfonce dans un crépuscule :

Tantôt j’en distingue encore les formes et les couleurs,

Tantôt tout disparaît sous moi dans un brouillard.

L’exaltation qui n’a cessé de l’entraîner dans les fourrés de la vie lui réserve à la fin une félicité. Au dernier moment cet être déchiré se ressaisit, son conflit s’apaise dans la grandeur du sentiment. À l’instant où, froidement, volontairement, il entre dans les ténèbres, son ombre le quitte : le démon de sa vie s’échappe de son corps meurtri comme la fumée d’un foyer et se dissout dans l’éther. À la dernière heure le fardeau et la douleur de Kleist disparaissent et son démon se change en musique. »

Stefan Zweig, Le Combat avec le Démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche


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