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07/11/2013

Serviteur indéfectiblement pieux de la sainte nécessité

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Jusque dans son dernier souffle, Hölderlin loue encore la destinée – serviteur indéfectiblement pieux de la sainte nécessité. Jamais, chez Hölderlin, le poète, le grand créateur n’a été aussi près du monde grec que dans cette tragédie qui, avec son dualisme de sacrifice et d’exaltation solennelle, atteint avec plus de force et plus de pureté que n’importe quelle autre tragédie allemande la hauteur de l’héroïsme antique. L’homme solitaire défiant les dieux et le destin et se soulevant contre eux d’un élan d’amour, la souffrance fondamentale du génie dans la vulgarité et le morcellement de ce monde sans ailes, tel est le conflit élémentaire dans lequel Hölderlin a triomphalement exprimé sa propre oppression. Ce que Goethe n’a pas réussi dans sa tragédie du Tasse, parce qu’il s’est borné à montrer le tourment du poète dans les difficultés de la vie bourgeoise, dans le ressentiment de la vanité, de l’orgueil de caste et d’un amour exalté jusqu’au délire, Hölderlin l’a rendu mythiquement vrai par la pureté de l’élément tragique : Empédocle est, en tant que génie, tout à fait dépouillé de sa personnalité, et sa tragédie n’est rien que la tragédie de la poésie, de la création poétique. Pas un grain de poussière, pas la moindre tache de vain épisode ou d’enflure théâtrale ne dépare l’harmonieux déploiement des draperies de cette action dramatique. Aucune femme n’entrave d’une intrigue érotique la marche en avant, ni serviteurs, ni valets n’interviennent mal à propos dans ce terrible conflit de l’esprit solitaire avec les dieux bien aimés. Comme chez les pieux créateurs de poésie, Dante, Calderon et les tragiques de l’antiquité, un immense espace est étalé religieusement au-dessus du destin individuel, et ainsi tout se déroule sous le grand ciel de l’éternité. Aucune tragédie allemande n’a autant de ciel au-dessus d’elle, aucune ne sort aussi naturellement des planches du théâtre pour rejoindre l’Agora, la place publique, la fête et le sacrifice solennel : dans ce fragment le monde antique a été ressuscité une nouvelle fois par la volonté passionnée de l’âme. Édifice de marbre, aux colonnes sonores, Empédocle est comme un temple grec, égaré dans notre siècle, création en apparence inachevée et pourtant oeuvre parfaite. »

Stefan Zweig, Le Combat avec le Démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche


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