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09/11/2013

Cette hypersensibilité fatale et presque démoniaque des nerfs

=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=

 

 

« Cette hypersensibilité fatale et presque démoniaque des nerfs de Nietzsche, que les nuances les plus fugitives, ne franchissant pas chez autrui le seuil de la conscience, ébranlent douloureusement, est la seule racine de ses souffrances et aussi la source de sa géniale capacité d’appréciation des valeurs. Chez lui il n’est pas nécessaire, pour que son sang frémisse sous l’effet d’une réaction physiologique, qu’il y ait quelque chose de tangible ou une affection réelle. Peut-être n’a-t-il jamais existé d’intellectuel aussi atrocement accessible à toutes les tensions et oscillations des phénomènes météorologiques, lui qui est dans tout son corps un manomètre, un véritable mercure, la sensibilité même : entre son pouls et la pression atmosphérique, entre ses nerfs et le degré d’humidité de la sphère paraissent exister de secrets contacts électriques ; ses nerfs enregistrent aussitôt chaque mètre d’altitude, chaque pression de la température, sous forme de douleurs dans les organes, et ils réagissent par une rébellion concordante à chaque bouleversement de la nature. La pluie, un ciel assombri dépriment sa vitalité : "Un ciel couvert m’abat profondément. " Il ressent presque dans ses intestins l’influence d’un ciel chargé de nuages ; la pluie réduit son "potentiel", l’humidité l’affaiblit, la sécheresse l’anime, le soleil lui rend la vie, l’hiver est pour lui une espèce de tétanos et de mort. L’aiguille frémissante du baromètre de ses nerfs oscillant comme une température d’avril ne reste jamais immobile : ce qu’il lui faut, c’est les hauts plateaux de l’Engadine que ne trouble aucun vent. Et, tout comme l’effet de la moindre charge et de la moindre pression dans le ciel physique, ses organes inflammables ressentent aussi l’effet de toutes les charges, de tous les troubles et de toutes les libérations atmosphériques dans le ciel intérieur de l’esprit. Car, chaque fois que frémit en lui une pensée, elle fulgure, comme un éclair, à travers les nœuds tendus de ses nerfs : l’acte de la pensées’accomplit, chez Nietzsche, avec un enivrement si extatique, avec un tressaillement si électrique qu’il agit toujours sur son corps à la manière d’un orage et que, à chaque explosion de sa sensibilité, un clin d’œil, au sens le plus strict, suffit pour modifier la circulation de son sang. Le corps et l’esprit le plus vital de tous les penseurs sont liés si intimement aux choses de l’atmosphère que pour Nietzsche les réactions intérieures et extérieures sont identiques : "Je ne suis ni esprit, ni corps, mais une tierce chose. Je souffre pour tout et partout." »

Stefan Zweig, Le Combat avec le Démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche



Erwin Rohde, Carl von Gersdorff & Friedrich Nietzsche

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