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28/11/2013

Sentir sans posséder, c’est conserver, parce que c’est extraire de chaque chose son essence

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L’amour, le sommeil, la drogue et les stupéfiants sont des formes d’art élémentaires, ou plutôt, des façons élémentaires de produire le même effet que les siens. Mais amour, sommeil ou drogues apportent tous une désillusion particulière. L’amour lasse ou déçoit. Après le sommeil, on s’éveille, et tant qu’on a dormi, on n’a pas vécu. Les drogues ont pour prix la ruine de l’organisme même qu’elles ont servi à stimuler. Mais, en art, il n’y a pas de désillusion, car l’illusion a été admise dès le début. En art il n’est pas de réveil, car avec lui on ne dort pas — même si l’on rêve. En art, nul prix ou tribut à payer pour en avoir joui. Le plaisir que l’art nous offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous n’avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par des remords. Par le mot art, il faut entendre tout ce qui est cause de plaisir sans pour autant nous appartenir : la trace d’un passage, le sourire offert à quelqu’un d’autre, le soleil couchant, le poème, l’univers objectif. Posséder, c’est perdre. Sentir sans posséder, c’est conserver, parce que c’est extraire de chaque chose son essence. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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