16/01/2014
Au milieu des orages de son âme
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« Cette façon de s’arrêter court, au milieu des orages de son âme, pour faire des additions, c’était toute sa vie. Dans le métro, les gens la regardaient : la tristesse se voit sur vous comme un vêtement. Elle se sentait pleine de pitié, toute bonté et faiblesse et abandon ; elle offrit sa place – réflexe inconscient, car elle ne voyait rien – à un vieillard resté debout. Elle changea de métro dans un état d’égarement, horrifiée par ces dédales, ces courses vers un portillon automatique qui se referme sous un bétail, comme si vous étiez un troupeau de porcs qui sériaient des machines, dans une usine d’Amérique ; et elle crut s’évanouir en descendant de la voiture : la fatigue sans nom, la tension d’esprit, la nuit blanche, et elle n’avait pas déjeuné : il lui semblait qu’elle n’était soutenue que par la force des battements de son cœur. Ses paupières étaient douloureuses. Toute son inquiétude, et son trouble, semblaient s’être concentrés dans cette douleur des globes des yeux. Au comptoir d’un bistrot, elle se fit servir un café, malgré sa peur d’être prise pour une grue. Des ouvriers étaient massés contre le comptoir. Elle dut rester derrière eux, allongeant le bras, entre deux hommes, pour saisir son verre. Mais il fallait cela : elle s’imaginait que, sans ce café, elle n’eût pu rester debout. Soudain, un des ouvriers lui sourit, et ce sourire fit tomber sa peine. Cela ne dura qu’un instant : dehors, sa peine se regonfla. »
Henry de Montherlant, Les jeunes filles
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