28/01/2014
Principe de Noah
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« La décomposition des solidarités locales traditionnelles ne menace pas seulement les bases anthropologiques de la résistance morale et culturelle au capitalisme. En sapant également les fondements relationnels de la "confiance" (tels qu’ils prennent habituellement leur source dans la triple obligation de donner, recevoir et rendre) la logique libérale contribue tout autant à détruire ses propres "murs porteurs", c’est-à-dire l’échange marchand et le contrat juridique. Dés que l’on se place sur le plan du simple calcul (et l’égoïste – ou l’économiste – n’en connaît pas d’autre) rien ne m’oblige plus, en effet, à tenir ma parole ou à respecter mes engagements (par exemple sur la qualité de la marchandise promise ou sur le fait que je ne me doperai pas), si j’ai acquis la certitude que nul ne s’en apercevra. A partir d’un certain seuil de désarticulation historique de l’ "esprit du don" (matrice anthropologique de toute confiance réelle) c’est donc la défiance et le soupçon qui doivent logiquement prendre le relais.
Dans ce nouveau cadre psychologique et culturel, le cynisme tend alors à devenir la stratégie humaine la plus rationnelle ; et "pas vu, pas pris", la maxime la plus sûre du libéralisme triomphant (comme le sport en administre la preuve quotidienne à mesure qu’il se professionnalise et qu’il est médiatisé). Comme souvent, c’est le sympathique Yannick Noah qui a su formuler, avec sa rigueur philosophique habituelle, les nouveaux aspects de cette question morale. Son fils, Joakim, ayant récemment commis, selon les mots de Yannick lui-même, "une petite boulette" (alcool et drogue au volant d’un véhicule sans permis avec, en prime, excès de vitesse), notre héros national a aussitôt tenu à lui rappeler publiquement que l’essentiel, en l’occurrence, aurait été "de ne pas se faire pécho" ; ajoutant au passage, que "ça fait vingt ans que je fais le con et je suis encore populaire parce que les gens pensent que je suis un mec bien. Alors Joakim peut faire la même chose." En hommage à cette belle leçon de pédagogie paternelle, je propose donc d’appeler "principe de Noah" la loi qui tend à gouverner une partie croissante des échanges économiques contemporains (on sait par exemple que la contrefaçon est effectivement devenue l’une des industries les plus florissantes du capitalisme moderne). »
Jean-Claude Michéa, La double pensée
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Comment peut-on être libéral et citer Michéa ?
Écrit par : Fedor | 28/01/2014
Fedor,
Et d'un, il faut savoir penser contre soi... le Libéralisme est une Ecole de Pensée et non pas une idéologie sclérosée et assise ! De deux, ce que dit un Michéa est essentiel, même si les tares qu'il impute au Libéralisme sont à imputer non pas au libéralisme mais à une idéologie gauchiste et festive qui se sert de certains outils du Libéralisme pour faire avancer sa cause !
De trois, tout homme libre s'efforce d'avoir les filtres adéquats quand il lit un livre... et ce Blog est tenu par un homme qui s'efforce d'être libre dans les circonstances qui sont les siennes !
Écrit par : Nebo | 28/01/2014
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