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04/04/2014

Fossile obscène que la frontière, peut-être, mais qui s’agite comme un beau diable

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

 

« Il est pénible de reconnaître le monde tel qu’il est, et plaisant de le rêver tel qu’on le souhaite. Nous préférons tous le Valium à l’angoisse, d’où notre penchant pour le borderless world, cette berceuse pour vieux enfants gâtés. J’y verrais volontiers une fuite en avant, un rêve yeux ouverts, qui, comme son aîné nocturne, vise à satisfaire un désir empêché. Non pas sexuel, mais religieux : le millénium avant l’heure. On cajole une planète lisse, débarrassée de l’autre, sans affrontements, rendue à son innocence, sa paix du premier matin, pareille à la tunique sans couture du Christ. Une terre liftée, toutes cicatrices effacées d’où le Mal aurait miraculeusement disparu. Les nuages atomiques vont dans ce sens : ils se moquent de Terminus, le dieu des confins, auquel Rome rendait un culte sur le Capitole, en plein centre, et au nom duquel on plantait un hermès pour marquer la lisière de son champ. Le VIH-1 non plus n’en a cure. C’est un fait. Il en est un autre, concomitant du premier : des frontières au sol, il ne s’en est jamais tant créé qu’au cours des cinquante dernières années. Vingt-sept mille kilomètres de frontières nouvelles ont été tracés depuis 1991, spécialement en Europe et en Eurasie. Dix mille autres murs, barrières et clôtures sophistiquées sont programmés pour les prochaines années. Entre 2009 et 2010, le géopoliticien Michel Foucher a pu dénombrer vingt-six cas de conflits frontaliers graves entre États. Le réel, c’est ce qui nous résiste et nargue nos plans sur la comète. Fossile obscène que la frontière, peut-être, mais qui s’agite comme un beau diable. Il tire la langue à Google Earth et met le feu à la plaine – Balkans, Asie centrale, Caucase, Corne de l’Afrique et jusqu’à la paisible Belgique. »

Régis Debray, Éloge des frontières

 

 

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