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04/04/2014

Le monde a changé de base, mais pas comme les révoltés d’antan l’imaginaient

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« Mutation brusque ? Virage de l’âme ? Renversement de toutes les valeurs ? Ériger en connaissance de soi l’expérience du conflit mondial contraint l’homme occidental à cette conversion sans retour que les philosophes grecs et les chrétiens à leur suite nomment metanoia : les croyances anciennes ne tiennent ni ne retiennent, la planète entre en convulsions, l’âge du fondamental (Malraux) revient, autrement dit les “fondements” font partout défaut. Si une kyrielle de guerres et de révolutions témoignent du vide alors apparu, on aurait tort de réduire à d’aussi spectaculaires secousses des métamorphoses qui affectent plus durablement encore nos façons de vivre, d’aimer et de mourir. Les violences rudes et crues du "Lansquenet" ("faire main basse sur une poignée de jouissances") marquent combien la mesure des choses et des êtres change. L’espace perd ses bornes, les citoyens se délocalisent - avant 1914, 80% des Français décédaient sur leur lieu de naissance. Le temps, au contraire, rétrécit. Chaque nouveau déraciné s’accroche aux instants, il ne table plus sur la reconnaissance des générations futures, il entend jouir ici et maintenant. Le monde a changé de base, mais pas comme les révoltés d’antan l’imaginaient.

La société de consommation qui prend alors son envol est une société de consumation. Elle naît au sortir des tranchées et au milieu des tombes. Jünger : "Plus la guerre durait plus fortement elle imposait son empreinte à la vie sexuelle… l’honorabilité bourgeoise était à des années-lumières…" Keynes, ces mêmes années, explicite les conséquences économiques de l’expérience intérieur : "La guerre a dévoilé, à tous, la possibilité de la consommation et, à beaucoup, l’inanité de l’abstinence… Les classes laborieuses peuvent ne plus vouloir pratiquer un si large renoncement. La classe capitaliste, ayant perdu confiance dans l’avenir, peut chercher à jouir le plus complètement de ses possibilités de consommation tant qu’elles dureront…" Les effets démographiques, sociologiques sentimentaux n’ont pas fini de suivre. »

André Glucksmann, Préface de "La guerre comme expérience intérieure" d'Ernst Jünger

 

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