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23/06/2014

Que voulez-vous ? la guerre les amuse !

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Un guetteur s'écroule tout d'une masse, ruisselant de sang. Balle dans la tête. Les copains lui arrachent de sa capote le paquet de pansement et le bandent. "C'est plus la peine Willem ! - Mais quoi, vieux, y respire encore !" Arrivent les brancardiers pour l'emporter au poste de secours. La civière cogne rudement contre les traverses disposées en chicane. A peine a-t-elle disparu que tout reprend son cours habituel. On jette quelques pelletées de terre sur la flaque rouge, et chacun retourne à ses occupations. Seul, un bleu s'appuie encore, tout blême, au revêtement de bois. Il essaie de comprendre ce qui s'est passé. Tout a été si soudain, si affreusement surprenant, un attentat d'une indicible brutalité. C'est impossible, cela n'a pu avoir lieu. Pauvre type, tu en verras d'autres...

Mais souvent aussi, tout se passe joyeusement. Nombre de nos hommes y mettent une ardeur de Nemrod. Ils contemplent avec un volupté de connaisseurs les effets de l'artillerie sur la tranchée adverse : "Mon vieux, il est bon comme la romaine. - Bon Dieu, regarde comme ça gicle ! Pauvre Tommy ! Sortez vos mouchoirs !" Ils aiment tirer des grenades à fusil et des mines légères contre les lignes ennemies, au grand mécontentement des timorés. "Laisse donc tes c...ies, on dérouille déjà assez comme ça." Mais cela ne les empêche pas de réfléchir constamment à la meilleure manière de projeter des grenades avec une espèce de catapulte de leur invention, ou de rendre des approches périlleuses  au moyen d'une quelconque machine infernale. Ils peuvent, par exemple, ouvrir une brèche étroite dans un obstacle, en face de leur créneau, pour attirer au bout de leur fusil un patrouilleur séduit par un passage aussi facile ; une autre fois, ils rampent jusqu'à l'autre côté et attachent aux barbelés anglais une clochette qu'ils agitent de leur propre tranchée, au bout d'une longue ficelle, pour affoler les guetteurs anglais. Que voulez-vous ? la guerre les amuse. »

Ernst Jünger, Orages d'acier

 

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