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28/11/2014

Tout travail comporte quelque chose qui ne peut se payer et donne une satisfaction qui se suffit à elle même

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Ce matin en forêt, pour abattre du bois. Je m’y suis pris trop tard dans l’année : les bouleaux saignaient abondamment. Travail fatiguant. Je me suis dit : "Au fond, tu aurais pu envoyer quelqu’un d’autre, en le payant. Pendant ce temps, tu aurais pu gagner chez toi, et confortablement, plusieurs fois ce que tu perdais ainsi."

Réplique : "Oui, mais tu ne te serais pas mis en sueur."

Bien – car dans notre monde, il n’est rien de plus inadmissible que de comparer deux activités en prenant l’argent pour critère. Nous tombons alors au niveau du "times is money", cette devise qui est aux antipodes de la dignité humaine. Au contraire il y a de la vérité dans la réflexion de Théophraste : "Le temps est une dépense précieuse."

Tout travail comporte quelque chose qui ne peut se payer et donne une satisfaction qui se suffit à elle même. C’est sur ce principe que se fonde l’économie véritable du monde, l’équilibre en profondeur du gain et de la dépense, le bénéfice assuré.

S’il en était autrement, le paysan devrait se mettre sous la dépendance du cours de la Bourse, et non de la terre, du soleil et du vent.
L’auteur devrait étudier l’humeur changeante des masses et adapter son œuvre aux lieux communs reçus. Les fleurs disparaîtraient des jardins, et le superflu de la vie. Il n’y aurait plus ni haies, ni bosquets d’agrément, ni ruisseaux serpentants, ni espace vide entre deux champs.

Le travail devient sacré par ce qui, en lui, ne peut être payé. Nés de cette part divine, bonheur et santé se déversent sur les hommes. On pourrait aussi dire que la valeur du travail se mesure à la part d’amour qui s’y dissimule. En ce sens, le travail devient semblable au loisir : au plus haut niveau, l’un et l’autre se confondent. J’ai vu un laboureur derrière ses chevaux ; devant lui, la glèbe se retournait aux rayons du matin et semblait se revêtir d’or. La récolte n’est qu’un revenu tiré de cette opulence. »

Ernst Jünger, La cabane dans la vigne, Journal de guerre, 1939-1948

 

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