26/01/2015
Ce monde de traîtrise, de violence et de luxure où sa propre ignominie était tout à fait insignifiante
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Mais l’homme ne voulait pas se taire. Le prêtre se rappela une source de pétrole que des prospecteurs avaient découverte un jour près de Concepción : le terrain n’était pas assez riche pour justifier de plus grands travaux, mais pendant quarante-huit heures, un jet noir, perçant le sol stérile et marécageux, avait jailli vers le ciel, pour l’écouler ensuite et s’infiltrer dans la terre, à raison de deux cent mille litres par heure. Tel est chez l’homme le sentiment religieux, qui s’élance brusquement vers le ciel, en une colonne noire de fumée et de scories, puis se perd à jamais.
"Voulez-vous que je vous dise ce que j’ai fait ? C’est votre métier de m’écouter. J’ai pris de l’argent aux femmes, en échange de... vous savez quoi, et j’ai donné cet argent à de jeunes garçons...
-Je ne veux rien entendre.
-C’est votre métier.
-Vous vous trompez.
-Oh ! Mais non. Vous n’arriverez pas à me donner le change. Ecoutez. J’ai entretenu de petits jeunes gens... vous savez ce que je veux dire. Et j’ai mangé de la viande le vendredi."
Un horrible mélange du trivial et du grotesque coulait entre les crocs jaunes, et la main qui serrait la cheville du prêtre ne cessait de trembler de fièvre.
"J’ai menti. Je n’ai pas jeûné pendant le carême depuis je ne sais combien d’années. Il m’est arrivé de posséder deux femmes à la fois... Je vais vous raconter comment j’ai fait..."
Il avait un sentiment démesuré de sa propre importance : il était incapable d’imaginer ce monde dont il n’était qu’un détail banal, ce monde de traîtrise, de violence et de luxure où sa propre ignominie était tout à fait insignifiante. Combien de fois le prêtre avait-il entendu cette même confession ? Les hommes sont si limités : ils n’ont même pas l’habileté d’inventer un vice nouveau : les animaux en savent autant qu’eux. Et c’est pour ce monde que le Christ est mort ; plus l’on voit de corruption autour de soi, plus la gloire qui entoure sa mort resplendit. C’est trop facile de mourir pour ce qui est bon ou beau, son foyer, ses enfants ou la civilisation... il fallait un Dieu pour mourir afin de sauver des hommes lâches et corrompus. »
Graham Greene, La Puissance et la Gloire
00:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.