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30/01/2015

Le monde nous quitte bien avant qu’on s’en aille pour de bon

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Au fond, j’étais devenu de plus en plus comme Baryton, je m’en foutais. Tout ça qu’il me racontait Robinson de son aventure à Toulouse n’était plus pour moi du danger bien vivant, j’avais beau essayer de m’exciter sur son cas, ça sentait le renfermé son cas. On a beau dire et prétendre, le monde nous quitte bien avant qu’on s’en aille pour de bon.
Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s’y mettre. On en a bien marre de s’écouter causer... On abrège... On renonce... Ça dure depuis trente ans qu’on cause... On ne tient plus à avoir raison. L’envie vous lâche de garder même une petite place qu’on s’était réservée parmi les plaisirs… On se dégoûte… Il suffit désormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus qu’on peut sur le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de l’intérêt trouver de nouvelle grimaces à exécuter devant les autres… Mais on n’a plus la force de changer son répertoire. On bredouille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mystérieuse qu’une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n’avoir pas trouvé le temps pendant qu’il vivait encore d’aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s’est éteinte à jamais un soir de février. C’est tout ce qu’on a conservé de la vie, ce petit regret bien bien atroce, le reste on l’a plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On n’est plus qu’un vieux réverbère à souvenirs au coin d’une rue où il ne passe déjà presque plus personne. »

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

 

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