03/10/2015
De l'amour
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« "On ne peut pas se forcer à aimer, et c’est là précisément l’amour."
Georges Perros
J’ai retardé le plus longtemps possible le moment de quitter ma solitude marine pour regagner Paris et retrouver ce qui rend l’homme non seulement étranger à lui-même mais encore laid – d’une laideur qui pourrait bien être le stade suprême de cette distance par rapport à l’humain dans laquelle vivent les contemporains mondialisés, métissés, aliénés, jetés par le multiculturalisme d’Etat dans l’absolu de l’insignifiance.
Voilà qui explique aussi aux lecteurs qui se sont inquiétés de mon silence pourquoi j’ai délaissé quelque temps cette chronique. Pour dire encore plus vrai : j’ai désespéré des humains, particulièrement des femmes, aucune de celles que j’ai rencontrées ces derniers temps ne se révélant à la hauteur de l’amour comme aventure spirituelle ou, pour parler comme Bataille, comme expérience intérieure - ouverture à ce dehors absolu qu’est autrui. Est-ce à dire qu’il n’y a plus d’amoureuse vraie, non plus que de femme écrivain, compositeur, peintre ? Sans doute se rencontre-t-il des exceptions. Mais n’ai-je pas tort de vouloir le mêler à la dimension la plus exigeante de l’expérience littéraire ? L’amour lui-même n’est-il pas pris, aujourd’hui, dans le processus d’insignifiance générale où ont sombré le courage, l’honneur, la grandeur, la profondeur, et les amoureux ne sont-ils pas devenus insignifiants, l’amour n’étant plus à la hauteur de l’amour, et moi, dès lors, conduit à désespérer davantage de ce qu’on appelle l’humanité, laquelle n’est plus que le lieu, redisons-le, où l’homme ne cesse de se séparer de lui-même ?
C’est ce que je disais à une jeune femme, l’autre nuit, rue de l’Arcade, où il soufflait le premier vent froid de l’automne. Elle me souriait, me répondait que le désespoir est un pain dont je me nourris à l’excès, que vivre au bord de la mer ne me valait rien, qu’il me fallait considérer en face la réalité du monde contemporain, notamment cette immigration que je me réjouissais de n’avoir pas subie pendant plus de deux mois, au bord de la mer (et non "en bord de mer" , comme on le dit dans la nov-langue publicitaire). "Vous n’aimez pas les gens." ajoutait-elle en posant la main sur mon bras. Les gens ne se réduisent pas aux "migrants" et je n’aime pas, répondais-je, ce que m’impose une immigration de masse, programmée, idéologique, clandestine, "migrante", "réfugiée", épithètes désignant la même catastrophe civilisationnelle. J’ai, pendant deux mois, c’est vrai, refusé de lire ni d’écouter aucun organe de la Propagande. Ainsi ai-je manqué le grand orgasme politico-humanitaire qui fut, semble-t-il, le buzz de l’été : l’humaine marée noire résultant d’aberrantes politiques occidentales au Proche-Orient et dont le rebut inonde les nations européennes, déjà ravagées par une crise économique qui se double d’une crise identitaire, voire spirituelle. Autant dire, ajoutais-je, que l’Europe a subi cet été-là un viol migratoire que l’idéologie tente de faire passer pour un consentement amoureux.
La jolie fille riait dans le vent d’automne. Et l’amour ? Je vais tenter de reprendre mes chroniques pour voir, entre autres choses, ce qu’il est devenu, et s’il faut, en ce domaine aussi, continuer à désespérer de l’individu autant que de l’humanité, et si la femme n’est pas également prise dans le grand processus d’insignifiance.
Je tente d’écrire après la maladie, toute maladie se rapportant peu ou prou à l’amour, l’amour comme maladie ou comme maladie de l’amour, ou défaut d’amour. Nous vivons dans ce grand défaut d’amour qu’est le nihilisme narcissique : en ce sens, la femme n’est pas plus clémente que l’homme : mystère de l’indifférence qui rejoint, là aussi, l’insignifiance contemporaine. On peut même dire la femme plus dure dans son refus d’aimer au nom même de l’amour, tout en vivant aisément ce paradoxe qui fait de l’homme plus qu’un perdant : l’abandonné absolu. »
Richard Millet, SOURCE : Site Officiel de l'auteur - Chronique n°: 36
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