25/06/2018
L'impression écrasante, définitive, qu'un homme est noyé dans l'humanité
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« D'autre part, au cours de ces interminables queues que nous faisions par millions le long des routes menant aux trop vastes champs de bataille, j'avais reçu pour la première fois de ma vie l'impression écrasante, définitive, qu'un homme est noyé dans l'humanité. Tous les faux-semblants de personnalité, d'originalité, de quant-à-soi, d'exception qui peuvent se multiplier dans le monde illusoire de la paix — qui pouvaient se multiplier dans ces temps tranquilles et rassis d'avant 1914 — se dissipaient et il restait que j'étais une fourmi entièrement engluée dans la fourmilière. Faute de regards pour me dicerner, je devenais indiscernable à moi-même. Cela me ramena tout d'un trait à cette mystique de la solitude, et de la perte à lui-même du solitaire dans la solitude dans sa solitude, et de l'extravasement à l'intérieur du moi de quelque chose qui n'est pas le moi. Puisque j'étais perdu pourquoi ne pas me perdre davantage ? Il n'y avait qu'un moyen de me guérir de la perte que je faisais de moi en tout, et de moi et de tout en rien, c'était de me perdre absolument.. L'ivresse montait, et avec l'ivresse l'envie de boire encore plus, ce désir, qui à certain moment mord l'ivrogne, d'atteindre dans le fond du verre la goutte vraiment ravageuse. »
Pierre Drieu la Rochelle, Récit Secret
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