Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/06/2018

Erdogan aime la France, par Kamel Daoud

=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=

 

 

L’écrivain Kamel Daoud explique les raisons pour lesquelles le dictateur turc a choisi la France comme ennemie, jusqu’à en faire la cible favorite de son expansion.

Le vrai architecte d'un état islamique futur est Erdogan. Il fera la guerre pour le construire, tôt ou tard.

Pourquoi Erdogan a-t-il besoin de la France comme ennemie ? Les raisons sont multiples. D’abord ce pays incarne, dans la littérature islamiste, l’antithèse utile : sa laïcité est le contraire du califat. Autrefois, l’ennemi des peuples émancipés était « l’Amérique impérialiste », aujourd’hui, l’ennemi de l’islam, c’est la France, selon la propagande en vogue. On est passé, lentement, des harangues sur le socialisme des opprimés et ses supposées vertus à l’islamisme des exclus et ses « droits ». Au sud du monde, dans la planète d’Allah, le mot « laïcité » est synonyme d’athée, de mécréant, d’agent de l’Occident, de traître. Des années auparavant, la propagande islamiste a même réussi son premier attentat étymologique sur ce mot, et les défenseurs de la liberté dans le monde dit arabe passent désormais pour des agents de la main étrangère. Attaquer la France, c’est donc exacerber cette opposition et se faire passer pour l’avocat des musulmans contre ceux qui veulent leur voler leurs âmes, c’est-à-dire leur religion. Erdogan le sait et en use. Sans la France laïque, le califat turc manquera de passion et de cible.

Erdogan a aussi besoin de la France comme ennemie, car c’est le cœur de la question communautaire en Occident. Si la France trouve une solution pour ses Français exogènes et ses communautés musulmanes, l’Occident suivra. Si la France réussit à imposer des lois républicaines malgré les radicalismes, l’Europe suivra. Le dictateur turc sait que les communautés sont le cœur de ce pays, sa faiblesse, son angoisse, son échec et sa possibilité de dépasser ses crises. Exacerber les tensions, récupérer les exclus, se faire passer pour l’avocat des communautarismes et le héros de la réparation de leur « humiliation » est un puissant levier. Erdogan joue sur la carte des musulmans d’Europe en Allemagne, mais c’est en France qu’il peut espérer un échec et mat symbolique sur cette question. Les Maghrébins sont orphelins de figures fortes, en rupture avec les régimes de leur pays d’origine, déçus ou frustrés ? Le Turc s’y présentera comme l’homme fort de leur faiblesse.

Erdogan a aussi besoin de la France car il peut y jouer sur la mémoire du trauma colonial. Rien de mieux que la France pour parler de colonisation et donc recruter les décolonisés, leurs fils et arrière-petits-fils à qui on a transmis, dans l’indistinct, le souvenir collectif. Les Ottomans ont affaibli le Maghreb, l’ont spolié, l’ont saccagé et taxé, ils l’ont soumis, mais c’est de la France coloniale qu’Erdogan aime discourir quand il veut parler de l’Algérie. Tout autant que les islamistes algériens qui le voient comme protecteur et se représentent le saccage ottoman comme le souvenir d’une heureuse soumission à un autre musulman. Le dictateur use de cette mémoire pour contrer celle du génocide arménien, il en use pour répondre aux présidents français, pour se faire moqueur, donneur de leçons, magnanime libérateur et décolonisateur rétroactif.

Erdogan aime la France parce que ce pays ne sait pas quoi faire avec ses musulmans, qui sont nombreux. Alors il vient leur parler de colonisation pour les rassembler, d’islam pour les recruter et de la laïcité pour qu’ils se sentent différents et attaqués.

L’homme a su tirer profit de trois autres segments de recrutement internationaux : le financement des mosquées, que l’Arabie tend à délaisser pour raisons internes ; la cause palestinienne, dont il fait commerce en convoquant les « musulmans » du monde selon ses besoins, usant des morts comme on use de petite monnaie ; l’internationale des « frères musulmans » qu’il a su récupérer et contrôler.Au final ? Pour parler de « l’Etat islamique », on parle tous de Daech, ses vidéos, ses massacres et horreurs. Pourtant, cela reste un spectacle. Le vrai architecte d’un Etat islamique futur est Erdogan. Il fera la guerre pour le construire, tôt ou tard. Son projet n’est pas le délire sanguinaire de groupes armés en Irak et en Syrie, mais une lente construction, une mainmise sur une partie du monde. Ses « brigades » peuvent vous attaquer en Algérie si vous en dites du mal et il peut aller haranguer ses foules en Allemagne et en Bosnie. Un jour, ces « brigades » seront armées et la guerre sera « sainte ».

------------------------------------------

SOURCE : Le Point du 7 Juin 2018

------------------------------------------

 

07:00 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.