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29/04/2019

Pourquoi il faut légaliser les drogues psychédéliques

=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=

 

Un intellectuel australien montre que ces drogues sont interdites alors qu'elles ne sont pas si dangereuses et ont des effets positifs sur la santé mentale. Par Matthew Blackwell* pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)

 


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À écouter ces dernières années les opposants au cannabis thérapeutique, on pourrait presque croire qu'ils n'ont jamais entendu parler de l'utilisation de substances psychoactives en médecine. Ces gens seraient sans doute étonnés d'apprendre qu'en Angleterre, vous pouvez vous faire prescrire un antidouleur appelé diamorphine, l'autre nom sophistiqué de l'héroïne. De même, ils pourraient tomber de leur chaise en découvrant qu'un médicament anti-obésité, le Desoxyn, n'est rien d'autre que de la méthamphétamine en pilule. Et que l'Adderall, un traitement populaire du TDAH, est chimiquement et physiologiquement très similaire à la méthamphétamine. Si vous avez subi une opération de la gorge, des dents ou du nez, l'anesthésiste s'est peut-être servi de cocaïne pour engourdir vos sens, car la substance restreint l'afflux sanguin mieux que tout autre anesthésique local (l'alcaloïde est extrait des feuilles de coca à des fins médicales et les résidus décocaïnés sont ensuite envoyés à Coca-Cola pour aromatiser sa fameuse boisson).

Sauf que personne n'en parle jamais en ces termes. Aucun médecin ne dit à son patient « je vous conseille de prendre de la smack à partir de maintenant » et aucun spécialiste de la perte de poids ne va vous demander si vous avez déjà essayé la meth. Imaginez un dentiste qui prie son patient d'ouvrir grand la bouche pour qu'il puisse lui injecter un peu de coke dans les gencives. Le jargon médical remplace évidemment l'argot de la came pour tracer une frontière nette entre une consommation illicite, grandement stigmatisée, et son analogue pharmacologique et médical. Dans les recommandations qu'il publie en ligne à destination des personnes atteintes du cancer prenant de la diamorphine, l'Institut britannique du cancer a choisi d'omettre complètement le mot héroïne, afin d'occulter tout lien avec l'usage récréatif de la substance.

Des drogues qui vous « ouvrent les portes de la perception »

Malheureusement, camoufler les drogues illégales dans le monde médical a pour conséquence de les rendre extravagantes, voire effrayantes lorsqu'elles sont utilisées dans d'autres contextes. Qu'on ne s'étonne donc pas qu'un récent sondage Vox ait révélé que la plupart des personnes interrogées s'opposaient de manière écrasante à la légalisation de drogues psychédéliques (comme les champignons hallucinogènes) à des fins récréatives et médicales, alors qu'une majorité était favorable à la légalisation de la marijuana. La chose est d'autant moins surprenante que, selon le même sondage, la plupart des gens ne veulent pas que la cocaïne, l'héroïne ou la méthamphétamine soient utilisées à des fins médicales. Des gens qui, là encore, ne savaient donc vraisemblablement pas que ces substances sont déjà utilisées en médecine depuis des décennies. Alors que la lutte pour la légalisation de la marijuana gagne peu à peu du terrain, il y a fort à parier qu'un grand débat sur les psychédéliques soit une prochaine étape. Dans l'Oregon et à Denver, où la marijuana a été légalisée à des fins récréatives, la dépénalisation des champignons magiques – soit deux cents espèces contenant de la psilocine et de la psilocybine, des alcaloïdes hallucinogènes – est soumise au scrutin populaire.

Sauf qu'il n'y a pas de distinction nette entre les drogues qui vous « ouvrent les portes de la perception » et celles qui ne le font pas – la marijuana, la kétamine, l'ecstasy et plein d'autres substances peuvent parfois produire des effets hallucinogènes qui n'ont rien à envier à un trip psychédélique. Mais en règle générale, lorsque nous parlons des hallucinogènes, nous nous référons à une quantité limitée de champignons et de plantes – et les substances de synthèse qui en sont dérivées en laboratoire – qui modifient les niveaux de sérotonine dans le cerveau pour produire des hallucinations et altérer la conscience de manière très vive. Et tous ces produits ne sont pas illégaux. La sauge des devins (salvia divinorum) possède de puissants effets psychédéliques sans être interdite dans la plupart des pays extérieurs au Commonwealth britannique. Idem pour des champignons magiques qui peuvent être achetés tout à fait légalement dans certains pays comme la Jamaïque et le Brésil. Une dérogation spéciale existe même aux États-Unis pour permettre aux membres de la Native American Church de consommer un cactus hallucinogène, le peyotl, une législation faisant suite à une plainte de l'Église contre la DEA qui voulait interdire ces plantes utilisées depuis quatre mille ans par les communautés amérindiennes.

Huxley et son goût pour le peyotl

D'ailleurs, c'est peut-être cette dernière drogue – qui n'est pourtant pas le psychédélique le plus couramment consommé – qui a fait le plus et depuis le plus longtemps pour populariser l'usage. Dans les années 1950, le génie littéraire Aldous Huxley allait prendre 0,4 g de mescaline, l'alcaloïde actif du peyotl, et décrire son expérience dans son livre Les Portes de la perception. L'ouvrage sera ensuite d'une grande influence sur Timothy Leary, psychologue un temps affilié à Harvard et comptant parmi les principaux architectes de la grande vague des hallucinogènes dans les années 1960. Leary comme Huxley ont par ailleurs expérimenté une drogue encore plus forte, le diéthyllysergamide – plus connu sous le nom d'acide ou LSD –, substance chimique dérivée de l'ergot de seigle.

Aujourd'hui, des scientifiques se mobilisent pour surmonter la raideur bureaucratique qui étouffe la recherche sur les psychédéliques. Après trois ans de négociations avec le gouvernement britannique, une équipe de chercheurs de l'Imperial College de Londres vient de commencer à étudier la psilocybine issue des champignons magiques pour comprendre ses effets sur certains symptômes dépressifs. Les règles qui leur étaient imposées étaient des plus excessives : chaque dose de psilocybine coûtant des milliers d'euros, elle devait être conservée dans un coffre-fort comme s'il s'agissait de matériel radioactif susceptible d'être vendu à l'Iran. Durant l'expérience, deux doses de psilocybine furent administrées à vingt personnes souffrant de dépression réfractaire et ayant déjà tenté au moins deux autres procédures thérapeutiques. De manière quasi immédiate et durant un suivi de six mois, les scientifiques allaient constater que les symptômes dépressifs avaient nettement diminué dans ce groupe. « Il n'y a tout simplement pas de mots pour décrire ce que j'ai vécu, mais je peux dire que le récit négatif qui constituait auparavant mon existence a complètement disparu », a ainsi déclaré l'un des patients traités à la psilocybine. « Il a été remplacé par un sentiment de chaos magnifique, un paysage d'un chatoiement et d'une beauté inimaginables. »

La psilocybine pour apaiser les cancéreux

Dans une autre étude randomisée en double-aveugle et récemment menée à l'université John Hopkins, 51 patients atteints d'un cancer potentiellement mortel et souffrant de dépression ou d'anxiété relative à la peur de la mort ont reçu une dose importante de psilocybine. Les deux tiers des patients allaient déclarer que l'expérience fut l'une des plus importantes de leur vie. « Quelque part, j'ai été capable de comprendre ce qu'est l'unicité », a ainsi déclaré l'un des malades enrôlés dans l'étude clinique, tandis qu'un autre assurait avoir acquis des connaissances métaphysiques sur la nature de la réalité en ces termes : « Le sentiment que tout est Un. J'ai ressenti l'essence de l'univers. » En outre, 90 % des participants ont consigné une diminution substantielle de leurs symptômes dépressifs et anxieux, et l'un des auteurs de l'étude, Stephen Ross, a expliqué à Scientific American : « Qu'une seule dose d'un médicament produise des résultats aussi conséquents et durables est tout simplement sans précédent dans l'histoire de la psychiatrie. »

J'avoue être sceptique quant à la médicalisation de l'expérience psychédélique dont fait écho ce commentaire. Si vous prenez le cas des opioïdes ou du cannabis thérapeutique intégré au traitement de l'épilepsie ou de la douleur, les drogues ont un niveau d'action qui n'exige pas nécessairement que le patient subisse leurs effets psychoactifs, qui ne sont qu'un épiphénomène de leur action médicale. Une étude révèle cependant que, concernant les psychédéliques, l'histoire est tout autre : « Les effets thérapeutiques de la psilocybine ne sont pas qu'un simple produit d'une action pharmacologique isolée, mais sont bien plutôt dépendants de l'expérience. » Lorsque les personnes n'expérimentent pas de bouleversement psychédélique profond, elles ne constatent pas d'amélioration de leurs symptômes. Ce qui signifie que ce sont plutôt la modification radicale de l'état de conscience et les nouvelles perspectives offertes sur la vie qui génèrent l'amélioration émotionnelle, plutôt que d'autres actions pharmacocentriques de la substance. Mais tout comme il serait impropre de qualifier de « médicament » une visite de l'archange Gabriel, cela n'a aucun sens de qualifier de « médicament » une expérience bouleversant votre vision du monde ou ce que vous pouviez penser de la structure métaphysique de l'univers. Il serait sans doute plus juste de voir dans les traitements psychédéliques une « expérience particulièrement profonde et merveilleuse de chambardement de l'âme », susceptible de libérer certains individus des chaînes de l'anxiété et de la dépression. Mais si la psilocybine n'était légalisée que pour « traiter » la dépression et l'anxiété, cela reviendrait à dire que seules les personnes dépressives et anxieuses ont le droit de vivre ces expériences « particulièrement profondes et merveilleuses ». Comme s'il valait mieux assimiler les psychédéliques à des « médicaments » qui ne seraient admissibles que pour des « malades », au lieu d'admettre que leurs mécanismes d'action peuvent être tout aussi positifs pour d'autres populations...

« Amélioration de la conscience »

Matériellement, que se passe-t-il ? Dans la seule étude de ce type, il a été observé que la psilocybine et le LSD augmentaient la diversité des signaux neuronaux, ce qui pouvait générer une « amélioration de la conscience ». Reste qu'il est difficile de savoir précisément ce que cette diversité augmentée de nos signaux neuronaux peut signifier au quotidien. À l'évidence, vivre un trip psychédélique ne se traduit pas d'une manière positive sur le plan de la mesure ordinaire de l'intelligence. Comme le déclarait le psychologue Arthur Kleps devant le Congrès américain en 1966 : « si je devais vous faire passer un test de QI pendant l'administration de la substance, alors qu'un des murs de la pièce s'ouvre pour vous donner un aperçu de la splendeur des soleils galactiques et qu'au même moment, c'est votre enfance qui commence à se dérouler devant votre œil intérieur comme un film en technicolor, il y a fort à parier que cela soit un échec ».

Reste que la résolution de problèmes ou la survenue d'idées créatives sous LSD sont bien connues. Le chimiste et Prix Nobel Kary Mullis, inventeur de la réaction en chaîne par polymérase – processus permettant aux scientifiques de reproduire rapidement de nouvelles copies d'ADN –, en est un consommateur. « Cela fut certainement bien plus important que tous les cours que j'ai pu suivre », a ainsi déclaré Mullis, attribuant sa découverte à un trip sous LSD. « Je pouvais fixer une molécule d'ADN et voir les polymères se succéder ». Selon Richard Kemp, Francis Crick, co-découvreur de la structure de l'ADN, lui aurait un jour confié avoir conçu cette structure sous l'influence du LSD. Les inventeurs, architectes, musiciens et autres artistes sont nombreux à expliquer la force de leur imagination par l'usage de drogues psychédéliques. C'est le cas de Steve Jobs, fondateur d'Apple, qui avait dit du LSD consommé dans sa jeunesse : « C'est la chose la plus profonde qu'il me soit jamais arrivé. »

Les portes de l'enfer ou du paradis ?

Le premier bad trip au LSD a été expérimenté par son inventeur même, le chimiste Albert Hoffman, qui est aussi le premier scientifique à avoir isolé et nommé la psilocybine. En 1943, trois jours après avoir connu par hasard le premier trip sous LSD de l'histoire, il allait en prendre sciemment 250 microgrammes. Hoffman dira avoir eu l'impression d'étouffer, d'avoir un goût métallique dans la bouche, que ses membres étaient plus lourds que des poutres d'acier. Autour de lui, les visages lui apparurent grimaçants et son champ visuel se déforma alors qu'il criait et gémissait des « paroles incompréhensibles », comme « à moitié fou ».

Avec des drogues comme l'alcool ou l'héroïne, la consommation se fait au moins avec une certaine prévisibilité et régularité en termes d'effets. Timothy Leary mettait en garde contre la fluctuation du « paysage » d'un trip sous acide, susceptible de changer du jour au lendemain chez un même individu tant l'expérience dépend de son état émotionnel et psychologique. Dès lors, nous ne savons jamais vers où le « trip » nous mènera, vu qu'il s'élabore à partir des régions les plus profondes de l'esprit.

Décrivant dans son livre LSD, mon enfant terrible l'histoire du LSD depuis son invention jusqu'en 1979, Hoffman faisait part de ses profondes réserves quant aux abus qui pouvaient être faits avec le LSD, tout en exprimant par ailleurs son optimisme vis-à-vis du potentiel de la substance. Hoffman voulait faire comprendre à ses lecteurs que le LSD était une drogue altérant profondément l'âme et la conscience, et qu'elle n'était donc pas recommandée dans les fêtes, les discothèques ou les raves. « À ce jour, l'histoire du LSD démontre largement combien les conséquences peuvent être catastrophiques lorsque la profondeur de ses effets est mal évaluée et que la substance est confondue avec une drogue récréative », alertait ainsi Hoffman. « Une préparation interne et externe spéciale est nécessaire et, avec elle, la consommation de LSD peut devenir une expérience édifiante. Mais à cause d'une utilisation incorrecte et impropre, le LSD est devenu mon enfant à problèmes ».

Les hallucinogènes peuvent-ils vous cramer le cerveau ?

En 2010 et 2015, deux équipes de recherche indépendantes (dont l'une était composée de quarante scientifiques) ont mené une « analyse de décision multicritères » visant à classer les drogues les plus courantes en fonction des dégâts que leur consommation causait aux utilisateurs et à leur entourage. Ces rapports examinaient la nocivité des drogues selon seize critères différents – notamment : mortalité par toxicité, mortalité par blessure, lésions corporelles spécifiques à la drogue, lésions corporelles liées à la drogue, niveau de dépendance, déficience mentale due à l'intoxication, déficiences dues à des causes secondaires liées à la drogue, effets sur la qualité de vie (via, par exemple, une perte d'emploi ou une chute des résultats scolaires) et sur les relations sociales. Ces deux équipes allaient aboutir à des conclusions quasiment identiques : les drogues psychédéliques sont parmi les drogues les moins nocives aujourd'hui consommées. Elles le sont même considérablement moins que le cannabis et les champignons magiques sont la drogue la moins nocive de toutes les substances passées au crible. Quant à l'autre côté du spectre, l'analyse multicritères de 2015 conclut que : « Les données confirment clairement que l'alcool doit être considéré comme la drogue la plus dangereuse de toutes ». (Pour le comprendre en détail, il faudrait un autre article).

Ne soyez pas surpris par le score de risque ridiculement bas attribué au LSD et aux champignons hallucinogènes. Comme l'écrit David Nutt, neuroscientifique et ancien conseiller principal du gouvernement britannique sur les drogues : « À notre connaissance, les psychédéliques sont parmi les drogues les plus sûres. La surdose mortelle est quasiment impossible, ils ne causent aucun préjudice physique et ils semblent même empêcher l'addiction ». Trois raisons peuvent expliquer pourquoi les psychédéliques sont considérés comme l'un des rares types de drogues non dépendantogènes. Dans son classique sur la question publié en 1984, le pionnier de la recherche scientifique sur les drogues, Norman Zinburg, décrivait l'ennui que causait rapidement la consommation d'hallucinogènes. Contrairement à d'autres substances génératrices de sensations intrinsèquement agréables, la plupart du temps, la profondeur et l'agrément d'un trip psychédélique sont relatifs à la nouveauté de l'expérience. Et la nouveauté n'est pas un phénomène durable : la première fois que vous regardez dans un kaléidoscope, vous pouvez être fasciné par la gamme de couleurs que vous y verrez, sauf que peu de gens voudront passer le reste de leur vie à le faire tous les jours. Deuxièmement, les psychédéliques ne provoquent aucun effet de manque. Troisièmement, et c'est là peut-être la raison la plus importante, le cerveau développe rapidement une tolérance aux substances psychédéliques, ce qui fait que ces drogues perdent de leur effet si elles sont consommées trop souvent.

Si nous comparons les risques sanitaires des psychédéliques à ceux de l'obésité, se taper du LSD pourrait être moins nocif qu'un hamburger, mais quid des conséquences sur la santé mentale  ? Autant le dire tout de suite : la crainte de se retrouver « coincé » dans un trip psychédélique ne repose à peu près sur rien. Personne ne continue à ressentir les effets d'un hallucinogène lorsque le corps a éliminé la substance, mais il existe un problème rare, le « syndrome post-hallucinatoire persistant » (SPHP) dans lequel des individus peuvent être gênés par des bruits et des tâches de lumière ou de couleur des semaines voire des mois après une expérience psychédélique. Selon un article de Vice, certaines personnes rapportent même ces soucis durant des années. Mais la journaliste de Vice s'emmêle les pédales lorsqu'elle décrit le syndrome post-hallucinatoire persistant comme « une maladie mal comprise que vous ne pouvez contracter que si vous avez consommé des drogues hallucinogènes ». En réalité, de nombreuses études montrent que ces mêmes symptômes peuvent se manifester spontanément et à la même fréquence chez des gens qui n'ont jamais consommé de psychédéliques, ce qui laisse entendre que l'ensemble du phénomène pourrait être une erreur de diagnostic, et le SPHP une maladie rare possiblement sans lien avec les hallucinogènes. Une analyse groupée de huit études à double aveugle contrôlées par placebo révèle que, sur 110 personnes, les doses cliniques de psilocybine ne permettent pas d'attester du moindre problème de santé mentale, y compris le SPHP.

Des études de cas observent des effets indésirables du LSD, comme des crises de panique ou autres troubles anxieux. Mais vu que 10 % de la population américaine essaiera du LSD au cours de sa vie et que 3 % de cette même population souffrira un jour de problèmes de santé mentale, certains chercheurs estiment que ces études ne font que révéler l'endroit où les courbes des risques de consommation de substances hallucinogènes et d'incidents psychotiques se rejoignent. Dans une étude publiée en 2017, seize personnes ont pris du LSD pour la première fois de leur vie. Douze mois plus tard, les chercheurs ont demandé à leurs sujets ce qu'ils pensaient de leur expérience. Aucun n'allait consigner d'effet négatif et quinze personnes sur les seize enrôlées allaient la décrire comme l'une des expériences plus positives et édifiantes de leur vie. Conformément à d'autres études, les chercheurs ont conclu que l'utilisation de LSD précédait une amélioration à moyen et à long terme de la santé psychologique. Une étude beaucoup plus conséquente financée par le Conseil norvégien de la recherche et portant sur 21.979 consommateurs de LSD, de champignons magiques et de mescaline montre que la consommation d'hallucinogènes n'est pas corrélée à une augmentation du risque de SPHP, mais qu'elle s'associe à une incidence un peu inférieure à la normale de problèmes de santé mentale. Un même constat a été fait chez les Navajos consommateurs de peyotl.

Des données qui ne cadrent pas très bien avec la théorie des hallucinogènes liquéfiant la cervelle, qui semble bien plutôt tenir de la légende urbaine.

Très bien, mais qu'en est-il des crises de panique et autres accidents survenant durant un bad trip ? Après tout, le phénomène peut être si effrayant que des gens se retrouvent à l'hôpital ou à courir nus sur l'autoroute. Lors d'une expérience scandaleuse de la CIA en 1953, le scientifique Frank Olson allait consommer sans le savoir du LSD dissout dans une bouteille de Cointreau et plonger quelques jours plus tard dans une profonde dépression. Raison pour laquelle il se serait jeté du dixième étage d'un immeuble de New York. En 2015, le fils du musicien Nick Cave, Arthur Cave, est décédé des suites d'une chute alors qu'il hallucinait sous LSD. Il va sans dire qu'il n'est pas recommandé de droguer des personnes à leur insu ou de se promener le long d'une falaise en consommant des hallucinogènes. Sauf que des gens ivres se jettent par la fenêtre ou tombent de leur balcon tous les jours, et que les cas où seule la consommation de psychédéliques, sans alcool ni autre substance, peut clairement être considérée comme la cause de telles tragédies sont quasiment introuvables dans la littérature scientifique.

La plupart des gens ne feront pas de bad trip en consommant des psychédéliques et même chez ceux à qui cela arrive, la chose n'est en réalité pas si terrible. Une étude sur les effets à long terme d'un bad trip a été menée auprès de 2 000 personnes ayant un jour vécu une telle expérience avec des champignons magiques. Sur ces 2 000 personnes, 3 avaient souffert de symptômes psychotiques et 3 autres avaient tenté de se suicider. Et seuls 2 % des personnes interrogées allaient déclarer que l'expérience avait eu un effet très négatif sur leur vie – contre 84 % pour qui ce « bad trip » avait en réalité amélioré leur bien-être. « L'incidence des comportements à risque ou des cas de détresse psychologique persistante est extrêmement faible », conclut ainsi l'étude. Selon son auteur principal, Roland Griffiths, « une expérience difficile, parfois décrite comme une catharsis, s'ouvre souvent sur une issue à la signification personnelle positive ou spirituelle ». Pour le dire plus simplement, la plupart des « mauvais voyages » finissent par être bons, même si dans un très petit nombre de cas, cela peut être extrêmement préjudiciable.

Les hallucinogènes dans un monde injuste

En Australie, le rapport 2018 sur les overdoses du Pennington Institute ne mentionne à aucun endroit de ses 53 pages les mots « LSD », « champignon » ou « psychédélique », pas même pour nous informer qu'aucun décès lié à ces drogues n'est survenu en Australie cette année-là. En 2006, lors d'une session conjointe entre la commission parlementaire britannique sur les sciences et les technologies et le conseil consultatif du gouvernement britannique sur l'abus de drogues (ACMD), il a été constaté que, dans toutes les archives disponibles, un seul décès attribuable à la consommation de champignons magiques était consigné. Ce qui a surpris ce comité, vu que les champignons hallucinogènes sont considérés comme une drogue de classe A en Grande-Bretagne ayant, comme l'héroïne et le crack, un « potentiel d'abus élevé ». Michael Rawlins, président de l'ACMD, allait déclarer : « Je ne sais pas ce qui a pu passer dans la tête de ceux qui l'ont classé ainsi en 1970 et 1971 ». Mais aucun changement législatif n'a été depuis opéré.

En 2008, le gouvernement des Pays-Bas a chargé ses propres scientifiques de fournir un rapport sur les méfaits des champignons psilocybiques, jusqu'alors légaux dans ce pays. Le rapport conseillait au ministre de la Santé de maintenir le statut juridique des champignons magiques en concluant que : « l'utilisation de champignons magiques conduit rarement (voire jamais) à une dépendance physique ou psychologique, [ses] effets indésirables aigus et chroniques sont relativement rares et en général légers [ses] effets sur la santé publique et l'ordre public sont très limités et (…) la criminalité liée à l'utilisation, la production et le trafic de champignons magiques est quasi inexistante ». Sauf que le ministre de la Santé est allé dans la direction opposée et les champignons magiques sont interdits aux Pays-Bas depuis 2008.

L'interdiction des psychédéliques est un microcosme de la guerre contre la drogue menée de par le monde et ne fait qu'exposer l'exhibitionnisme moral des politiciens qui veulent à tout prix montrer qu'ils sont plus saints que leurs adversaires. Cela n'a rien d'un exercice de protection des individus ni d'une tentative de promotion du bien-être humain. Et cette invasion de nos libertés fait que nous avons au moins quarante ans de retard en matière de traitement de la dépression, de l'anxiété et peut-être même de tout un éventail d'autres troubles médicaux et socio-spirituels.

Dans cet article, je me suis concentré sur les avantages empiriquement mesurables des psychédéliques et je n'ai pas exploré le phénomène émergent du microdosage : la consommation de substances psychédéliques en quantités infimes, en deçà du seuil de l'expérience psychoactive et ce afin de soulager le stress ou de favoriser la concentration et l'imagination. Je n'ai pas non plus décrit d'autres pistes intéressantes que nous n'avons pas encore testées ou comprises. Dans La Constitution de la Liberté, F.A. Hayek écrivait « il sera toujours possible de mettre en avant les avantages tangibles et immédiats qui résulteront d'un empiétement sur la liberté, alors que les bienfaits auxquels on renonce seront, par leur nature, toujours indéfinis et incertains ». Dans le débat sur les drogues psychédéliques, qu'on se rappelle qu'en matière de réduction des maux, les promesses de la prohibition doivent être pondérées par tous les bienfaits que ces substances sont susceptibles nous apporter – et ce qu'ils soient connus ou incertains.

*Matthew Blackwell est un écrivain australien, diplômé de l'université du Queensland en économie et en anthropologie.

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** Cet article est paru dans « Quillette ». « Quillette » est un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d'idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. « Quillette » aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme.

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SOURCE : Le Point

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Commentaires

Je suis convaincu que les drogues pures prises par des adultes informés à des doses prescrites ne tuent pas. Ce sont les produits de coupe, ces poisons utilisés par les trafiquants et les conditions de vie liées à la recherche de produits illégaux qui laminent l'usager. Je suis partisan de la dépénalisation et de la légalisation des drogues qui devraient pouvoir être obtenues sur ordonnance par le consommateur.

Écrit par : Paglop | 03/05/2019

La répression est un échec reconnu au plan international. Depuis des années, un groupe d'experts planchent sur le sujet. Parmi eux, il y a l'ancien monsieur anti-dope de Richard Nixon devenu favorable à la politique de dépénalisation et de légalisation contrôlée et Ruth Dreifuss, l'ex-conseillère nationale helvétique en charge des questions de drogues qui a su sensibiliser les Suisses au problème sans le diaboliser. C'est en partie grâce à ses efforts que la Confédération a ouvert des centres de distribution d'héroïne (inspirés d'une expérience britannique dans les années 70 et 80) à des intoxiqués profonds. Son bilan est positif et le peuple s'est prononcé il y a quelques années pour la poursuite du programme.
La consommation avertie de stupéfiants devrait être un choix individuel du citoyen adulte. La distribution de drogues propres devrait être garantie par l'Etat. Utopie ? Je ne crois pas car je le répète, c'est le deal et le mode de vie qu'il implique qui tuent les consommateurs. (empoisonnement, surdoses, infections, marginalisation,...)

Écrit par : Paglop | 03/05/2019

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