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27/08/2021

L’Etat et le corps, un drôle de vieux couple

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Pour les opposants à la vaccination contre le covid-19, le corps semble être devenu un sanctuaire, sur lequel l’Etat ne doit pas exercer son autorité. Depuis fort longtemps, la question de l’intime face au collectif traverse les sociétés démocratiques.

Par Solange Bied-Charreton pour Marianne (27 août- 2 septembre 2021)

« Le vaccin obligatoire, c’est comme un viol. Une pénétration sans consentement » : c’est ce que l’on pouvait lire sur le compte Instagram de Mickaël Vendetta après l’annonce gouvernementale du 12 juillet à propos de l’extension du passe sanitaire. L’ancien candidat de « La ferme célébrités », émission de téléréalité des années 2000, ose tout, et c’est même à ça qu’on le reconnaît. Au reste, il n’est pas le seul. Nombre de manifestants ayant grossi les rangs du mouvement antipasse sont également de farouches opposants à la vaccinâtion contre le Vovid-19, les uns pointant un manque de recul sur son usage, les autres le fait d’une dictature sanitaire s’imposant aux corps des citoyens impuissants.
Mais attention aux polarisations faciles, aux manichéismes commodes. Si les oppositions entre pro et antivax ou passe se durcissent au fil des samedis de manif, une problématique hautement philosophique demeure : quel droit une autorité politique peut-elle exercer sur le corps de ses administrés ?
 « La souveraineté de l’Etat réside pourtant bien dans sa capacité à dicter la norme, rappelle Raphaël Doan, juriste, auteur du Rêve de l’assimilation (Passé composé, 2021), même s’il est utile de redire que dans les démocraties libérales contemporaines les hautes cours tendent à tempérer cette verticalité, en vue de la préservation des libertés individuelles. » Charge au Conseil constitutionnel d’introduire des garanties qui vont au-delà de la Constitution. Le « principe de fraternité » a, par exemple, vu le jour de cette manière, permettant de censurer une loi qui sanctionnerait l’aide aux migrants clandestins.  »Mais il arrive aussi que le Conseil constitutionnel vienne à renforcer le pouvoir de l’Etat », fait aussi remarquer Doan. Il en va ainsi de l’Objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, brandi maintes fois depuis le début de la crise du Covid-19. Comme si, cette fois, on ne protégeait pas assez les corps, et qu’il fallait mieux veiller dessus. Pas si simple, donc.

Physique et juridique

A l’origine du droit romain, la persona, le « masque », qui n’est précisément pas le corps. C’est à elle, d’abord que s’adressent lois et obligations. Mais, bien souvent, la réalité juridique et la réalité physique sont une seule et même chose.
L’armée, donc l’Etat, peut par exemple recruter des soldats et les envoyer se faire tuer en opération extérieure. N’en déplaise à Mickaël Vendetta ou à Francis Lalanne, son pouvoir s’exerce aussi en matière de vaccination sur les mineurs. Mais pas uniquement : toujours à l’armée, au moment de l’incorporation, on procède à une mise à jour des vaccins ROR (rougeole, oreillons, rubéole), de ceux de l’hépatite B, du DIP (diphtérie, tétanos, poliomyélite + coqueluche), de la grippe et de la méningite. Avant projection (opérations extérieures ou affectations embarquées) s’ajoutent les vaccins de l’hépatite A, de la fièvre typhoïde, de la fièvre jaune. Inapte à l’engagement serait celui qui refuserait la vaccination. Sollicité à ce sujet pour les besoins de notre enquête, l’état-major des armées a botté en touchent estimant qu’elle relève « du domaine politique », une pusillanimité qui vient confirmer le caractère inflammable de la question vaccinale dans l’actualité, alors même que la Grande Muette rend public le calendrier vaccinale des recrues. Politique, le vaccin ?

La licité de l’obligation vaccinale est un vieux sujet. En pratique, il s’agit de proportionner la liberté individuelle à la réalité et à la gravité d’une maladie. C’est en vertu de ce savoir que l’individu est contraint par le pouvoir, Michel Foucault parlera même de « pouvoir savoir ». A la suite de Marx, le philosophe de la « French Theory » aura conceptualisé une histoire politique des corps traversée par les dominations (bourgeoisie, élite, Etat). Anne Bouillon, docteur en philosophie et auteure de Gilles Deleuze et Antonin Artaud : l’impossibilité de penser (L’Harmattan, 2016), fait la généalogie de cette violence exercée sur les êtres : « La société dont Platon parle est celle qui condamne Socrate, le plus divin des hommes, le plus sage, à mort, pour corruption de la jeunesse. Ironie des ironies, qui ne manquera pas de marquer toute la philosophie occidentale qui semble s’écrire sur son cadavre : le pouvoir politique s’exerce sur les corps pour contrôler les âmes. »
Existent, aujourd’hui, en droit, des principes d’inviolabilité et d’indisponibilité du corps humain : on ne massacre pas, on ne vend pas son corps ou une partie de son corps ou le corps des autres, pas plus qu’on ne saurait oblitérer la valeur du consentement libre et éclairé du soigné, évidemment sollicité dans le contexte de la vaccination contre le Covid et qui implique aussi un droit à l’information sur la nature des effets secondaires fréquents et graves.

Mais cela suffit-il à rendre le corps sacré ? Ce n’est pas évident. « Que nous soyons ou non croyants, notre corps a intégré les déterminismes judéo-chrétiens qui sont l’image du corps dans notre horizon culturel, le corps en gloire du Christ, l’eucharistie. Si le corps n’est pas sacré, déclare Anne Bouillon, il reste quand même difficile à nier que la représentation que nous en avons ne l’est pas. » Elle nous renvoie à Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra » : « Corps je suis tout entier et rien d’autre, et âme n’est qu’un mot pour dire quelque chose dans le corps. » La personne c’est le corps !

 



Biopolitique

«  La notion de dignité de la personne est peut-être ce qui, du point de vue juridique, se rapproche le plus de la sacralisé du corps humain », fait remarquer Raphaël Doan. Et de nous rappeler l’existence de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, du 27 octobre 1995, sur l’interdiction du lancer de nains au nom de la dignité de la personne humaine, comprise ici comme composante de l’ordre public. Reste qu’entre le lancer de nains et la vaccination à ARN messager, il y a un monde. C’est ce que voudrait rappeler Tristan Claret-Trentelivres, ancien élève de l’ENA, qui voit dans la contestation antivaccin une expression exacerbée de l’individualisme contemporain : « Nous n’avons plus idée de ce qu’est la contrainte d’Etat. » Sur les pancartes des manifestants, nous pouvons lire «  Mon corps, mes choix », un raptrochement opportuniste avec les luttes féministes que Tristan Claret-Trentelivres juge pourtant cohérent : « Les droits de l’individu primant, on assiste à une perte de vue de l’intérêt général. Comment parler de dictature sanitaire ? »

Autre interrogatoire : comme il en va de la santé du pays dans son ensemble, la liberté individuelle sans limite n’atteint-elle pas une sorte de contradiction ? : « En cas d’épidémie, et si le vaccin s’avère efficace, c’est la liberté individuelle des personnes non vaccinées qui menace l’intérêt général et non l’inverse. La tentation est trop grande, à l’échelle de l’individu de se constituer passager clandestin et de compter sur une immunité collective. Les mesures coercitives apparaissent donc justifiées », défend Tristan Claret-Trentelivres.
Anne Bouillon, elle, appelle à la vigilance : « Le problème du biopouvoir est qu’il s’intéresse davantage aux manières de renforcer le pouvoir qu’à la vie. Foucault insiste bien sur le caractère technologique de la biopolitique ainsi que sur son exigence de conformité des corps.
C’est là que le noble et louable effort de la science dans l’élaboration des remèdes est dévoyé, il revient à renforcer l’existence du pouvoir. Autrement dit, la vaccination est pervertie quand elle n’est pas le but mais le moyen pour la société de contrôle de se constituer. »

Reste qu’à travers le mouvement antivaccin l’on semble payer, à mesure que l’individu, son corps et sa personne gagnent en sacralité, les conséquences de la désacralisation des institutions (République, armée, Etat, Eglise, Education nationale, autorité parentale).
Qui se souvient du carnet B créé en 1886, contenant les noms des potentiels agitateurs, des personnes à arrêter au moment où surviendrait l’ordre de mobilisation ? Le 2 août 1914, la France entre en guerre et, devant l’évidence de l’Union sacrée, aucun des individus dont le nom figure sur le carnet B n’est finalement inquiété. Le niveau de désobéissance est jugé trop faible ; la loyauté envers le régime est la plus forte ; la République règne. La déclaration de Vendetta n’est-elle pas l’expression dernière de cette érosion de souveraineté ? Un habeas corpus dévoyé, parodique.

 


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23:35 Publié dans Lectures, Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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