19/11/2022
Oh ! la mort
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=--=Publié dans la Catégorie "Ô Mort... Ô Mort..."=--=
« — Oh ! la mort des aimés! Oh ! cette misère, avant ! ce pauvre corps sculpté par la douleur, ces yeux caves, cette parole qui s'éteint ! Puis ce silence, cette nuit, cette poussière! Avec quelle brutale insistance nous est fournie la preuve de notre néant ! Quelle fureur d'effacer jusqu'à nos traces ! Afin qu'il soit bien entendu qu'il ne reste rien de nous et de notre espérance. Même quand tout paraît fini, la démonstration continue et s'acharne. Aux vivants, tout crie : Tu es poussière ; aux morts, la tombe le ressasse. Après cela, que nous reste-t-il, si ce n'est les yeux pour pleurer ?
L'AMI. — Dans vos larmes vit l'espérance. Le désespoir même qui ne pleure plus est une forme de l'espérance qui ne peut mourir. Désespérer, c'est avoir vu son étoile se voiler. Au delà du voile, elle brille.
Vous avez l'espérance tenace. Les puissances de destruction ont beau faire abonder leurs témoignages ; leur victoire sur vous est de celles qui se crient si fort, parce qu'elles sont douteuses. Il est des morts qu'il faut tuer. Vous en êtes. Mais que peut-on contre eux ? Leur répéter qu'ils sont morts ? Cela ne prouverait-il pas au contraire qu'ils sont vivants ?
Elle est vieille comme le monde, la leçon de choses qui affirme et proclame votre incurable néant. Mais malgré tout ce qu'elle vous a fait souffrir, vous ne l'avez pas retenue. Votre néant, vous n'y croyez pas, puisque vous êtes toujours là. Si vous aviez ajouté foi à la révélation de mort écrite à travers la création, flamboyante dans les rougeurs d'incendie, hurlante dans la tempête, béante dans le gouffre, il vous serait arrivé selon votre foi. Convaincus de néant, vous seriez rentrés dans le néant. Mais que vous viviez encore, après avoir été consumés par mille fournaises mortelles, cela provient de votre foi à la vie. D'où vous vient-elle ? De cette grande mécanique universelle qui vous broie ? Non, Elle vous vient de Dieu. Elle est, en vous, son inef- façable signature. Ne la protestez pas vous- mêmes ! Dieu vit en vous, voilà votre secret. Vous êtes de sa race. Sa pensée s'agite sous votre poussière. Vous êtes une espérance de Dieu.
— Comment ce qui n'est plus serait-il encore ? Comment, dévorés et digérés par la tombe, subsisterions-nous ? Notre vie est effacée comme s'efface sous le coup d'épongé une écriture sur le tableau.
L'AMI. — On peut effacer l'écriture, mais non pas l'esprit, le sens de l'écriture. Que la matière fragile, où s'est incarnée pour un temps une pensée divine, s'oblitère et s'évanouisse sous le coup d'épongé du temps, l'espérance qui est en vous, la pensée divine qui anime votre poussière, demeure. De par l'esprit éternel besognant en vous, vous êtes esprit. En Dieu est votre vie, votre identité garantie. Son souvenir, où rien ne meurt, entretient votre souvenir. As-tu médité parfois la profondeur limpide et infinie de cette vieille parole de psaume ? Par sa lumière, nous voyons la lumière.
Si par notre aspect extérieur et visible nous vivons dans le temps et l'étendue, c'est-à-dire dans l'éphémère, par notre aspect intérieur, invisible, nous vivons en Dieu, dans l'éternel, par conséquent. A sa lumière, nous voyons la lumière. Aveugles et morts serions-nous, malgré la perfection de cet organisme, si rien de divin ne le pénétrait. Cette merveille ne serait qu'une lettre morte. Or, c'est un verbe vivant. Que la lettre s'efface, l'esprit subsiste. Ne t'embarrasse pas dans les ruines de ce qui est passé, comme passera la figure de ce monde ! Lève tes regards vers la lumière ! Ils ne sont pas là, dans l'ombre et la poussière, ceux que tu pleures. Ils sont en Dieu, comme toi aussi ; par l'esprit qui t'anime, tu es en Dieu. Le lien n'est pas rompu.
Ne consens pas à leur néant ! Ceux qu'on aime ne meurent point. La tendresse qui les suit, devient, pour notre espérance, le pont jeté de ces bords mortels vers le rivage impérissable. Tu reverras tous ceux que tu as aimés. Tu les reconnaîtras. Les as-tu connus ici dans l'argile sous laquelle palpitait leur âme ? Non. Tu les connaissais uniquement par la forme et la vie imprégnée à cette argile. Et parfois tu soupirais de je ne sais quel mur de séparation entre eux et toi, les cherchant, et tenu à distance par ce qui n'était pas eux, tout en faisant partie d'eux, matériellement. Au grand revoir l'obstacle sera tombé. Plus rien de passager ne nous séparera. La soif d'union qui tourmente ici toute âme ferme et pure sera enfin apaisée. Ne te confonds pas avec ce qui n'est pas toi ! Connais-toi mieux ! Cet univers mécanique et tout ce qu'il contient, comparé à toi n'est qu'un symbole, une fragile similitude, où s'enveloppe une pensée immortelle. Saisis-toi dans ce que tu signifies ! car en cela tu demeures vraiment. Pleure ! tout ce qui est simplement et sincèrement humain est bon. Les larmes sont la rosée de cette fleur des cieux, nommée l'espérance. Pleure, mon fils, mais espère ; ose espérer ! De tous les courages c'est le plus beau. Tu ne l'auras jamais assez. On ne saurait trop attendre de Dieu. Toute attente sera infiniment dépassée. La plus pure clarté qui, pour nos âmes, éclaire l'au-delà, le pressentiment du plus heureux revoir, ne sont qu'une pauvre image, un lointain et pâle crépuscule en compa- raison de l'immortel matin.
— Oh ! merci, répète-le-moi, encore, toujours ! je suis le voyageur couvert de poussière ; tu es l'oasis. Je suis la soif ; tu es la source. Ne taris pas ! Loin de toi je doute ; près de toi je crois, et l'antique parole s'accomplit : mes brebis entendent ma voix ! »
Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs
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