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10/08/2007

Paix - II

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Je veux bien poursuivre mon apprentissage de la rumination, mais pas être paisible comme les vaches. La paix dont je parlais hier est une paix de guerrier.

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Hors sujet, mais conforme à vos sujets de prédilections...Cadeau d'un lecteur!

La Littérature et les Arts : écriture des mythes judéo-chrétiens

Yona Dureau (Université Jean Monnet; St Etienne) : Le mythe de la fin du monde et de l'Apocalypse.
I.L'origine de l'expression de la "fin du monde" et l'élaboration du mythe
2.Les sources talmudiques : les deux voies possibles du destin du monde
3.La voie apocalyptique et le choix du monde de pensée chrétien
II.Le mythe de l'Apocalypse : tension ou mort de l'oeuvre
2.La Symphonie Fantastique, le Septième Sceau : danse macabre et fin du monde
L'Apocalypse et le meurtre symbolique des personnages
L'Apocalypse et le meurtre symbolique de l'auteur
b.Le renversement de l'écriture
L'élaboration d'une tension dramatique : Le mythe apocalyptique et la rédemption

Le mythe de la fin du monde naît d'une traduction problématique de deux termes de la Genèse associée à la version la plus pessimiste des avenirs possibles de l'humanité envisagés par le Talmud. On peut considérer que le mythe de la fin du monde est un mythe typiquement chrétien dans la mesure où il ne reflète pas l'eschatologie hébraïque d'origine. Le texte de la Révélation de l'apôtre Jean développe ensuite la vision messianique et eschatologique de ce mythe en associant ainsi de façon durable fin du monde, renversement des ordres de la normalité du monde humain, retour messianique et jugement divin. Ce mythe hante la création artistique, qu'elle soit littéraire, picturale, musicale, ou filmique.


Cet article se propose d'étudier ce mythe dans son origine et son élaboration, avant de considérer les sens ambivalents d'espoir et de peur, de destruction et de rédemption, d'ordre et de renversement qu'il porte en lui. Notre première partie étudiera ainsi l'origine du mythe et ses caractéristiques. Notre deuxième partie se concentrera sur l'utilisation du mythe dans la création artistique et son rôle moteur dans la dynamique de cette oeuvre. La dernière partie sera consacrée à l'étude de l'ambivalence de ce mythe de destruction qui reste associé à un principe de renouveau et de création.

I. L'origine de l'expression de la "fin du monde" et l'élaboration du mythe

1. La Genèse et l'histoire des hommes : l'erreur de traduction et l'élaboration du sens sur l'expression erronée.


L'expression originale "fin du monde" traduit alternativement deux expressions apparaissant dans les textes talmudiques discutant de la venue du messie : "aharit hayamim" et "ketz hamyamim". La tradition exégétique biblique convient de reprendre la première utilisation d'un mot dans la bible pour en comprendre les connotations et sens divers. Il est ici évident que l'expression "aharit hayamim" ("l'après des jours" littéralement) est construite sur l'expression "kets hayamim", et qu'il nous faut considérer la première occurence de "kets hayamim" pour comprendre celle de "aharit hayamim". Or l'expression "kets hayamim" est une expression figée qui ne peut se traduire en prenant séparément chacun des deux termes, et le sens de "kets" n'a signifié "fin" que selon un sens très dérivé, et en hébreu moderne. Sa première occurence apparaît dans le livre de la Genèse (chapitre IV, 3) à un moment qui ne désigne pas précisément la fin du monde mais plutôt le début de l'histoire de l'humanité. La traduction de Jacques Ier, qui est jusqu' aujourd'hui la plus proche du texte hébraïque, traduit à cet endroit l'expression "kets hayamim" par "process of days", le "processus des jours". Le "kets hayamim" désigne donc ce qui est de l'ordre de l'histoire humaine, d'une forme de préhistoire de l'humanité avant que l'homme ne concentre ses forces sur sa vraie destinée spirituelle et que ne commence la véritable histoire de l'humanité, après ces jours identiques les uns aux autres, "aharit hayamim" (Genèse 49:1) . L'avenir de l'humanité n'était donc pas, à l'origine, essentiellement condamné à la destruction.

2. Les sources talmudiques : les deux voies possibles du destin du monde
Le Talmud, dans les discussions liées à l'advenue des temps messianiques et du "aharit hayamim", envisage en fait deux issues bien distinctes. L'humanité parviendra à une reconnaissance de la divinité et de son caractère unique, et comprendra la complémentarité nécessaire d'Israël et des nations et leurs rôles, et la paix règnera sur terre. Dans le cas inverse, la guerre règnerait entre deux super-puissances, Gog et Magog, et un déluge de feu se répandrait sur le monde. La possibilité apocalyptique existe donc dans le Talmud, mais elle n'est pas présentée comme la seule issue possible. L'arrivée du messie doit même contribuer à éviter le désastre, non à le précipiter. Enfin, l'expression du "monde à venir" est à comprendre dans un sens de présent absolu de "monde qui vient", car d'une part il ne s'agit pas d'un futur, mais d'un présent, et d'autre part, le monde qui doit s'établir après le processus des jours est un monde d'où le temps est absent. L'humanité doit revenir au temps du jardin d'Eden, mais d'un jardin d'Eden conforme à la volonté divine. Ainsi, les arbres-fruits seront à nouveau fruits et non fruitiers, mais ces fruits seront éternellement mûrs, sans besoin du perfectionnement du mûrissement .

3. La voie apocalyptique et le choix du monde de pensée chrétien
En fait la voie apocalyptique catastrophique de la destinée de l'humanité ne se développa que tardivement et sous l'influence essentielle du texte de l'Apocalypse de Jean. L'Apocalypse signifie "le retournement" et, en effet, les temps messianiques selon le Talmud se caractériseraient par de nombreuses formes de mondes inversés. Les jeunes ne respecteraient plus les vieux, les juges ne jugeraient plus mais seraient jugés, la corruption règnerait. Le texte de la Révélation va associer à la notion de monde inversé une série d'images de souffrance, de torture, et de destruction, avec le retour de Jésus et le jugement des âmes. Philippe Aries a pu montrer que le jugement des âmes se confond progressivement avec le jugement dernier au Moyen Age et explique la peur de la Mort gagnant l'Europe à la fin du XVIe siècle. Il est possible de dire que cette confusion produisit aussi un choc en retour en mêlant indistinctement jugement dernier, jugement des âmes, Apocalypse et fin du monde à la notion même de mort. Ainsi le retour du messie, souhaité ardemment les premières décennies, puis les premiers siècles après la mort de Jésus, devint peu à peu un sentiment ambivalent puisque ce retour devait s'accompagner d'une destruction effrayante. Cette ambivalence se retrouve dans un processus dynamique de création et de destruction de l'oeuvre en train de se créer, que ce soit dans la représentation de la vie et de la mort dans l'oeuvre (survie et destruction), dans le rapport du monde humain au divin (résignation et lutte), dans le rapport du lecteur à l'oeuvre (fascination et rejet), comme dans le statut de l'auteur (spectateur et auteur, homme et dieu).

II. Le mythe de l'Apocalypse : tension ou mort de l'oeuvre


Le retour messianique est porteur d'espoir de justice et de rédemption. L'Apocalypse devient progressivement synonyme de mort et de destruction, objet d'horreur et de peur. L'Apocalypse devient ainsi un axe de la tension de l'oeuvre.
1. La lutte contre l'Apocalypse et l'inversion sémantique du divin
L'Apocalypse peut créer une tension dynamique dans une oeuvre de fiction. Elle focalise alors toutes les peurs les plus primitives de destruction. L'oeuvre se construit de façon assez classique comme une lutte contre les forces destructrices, et le héros parvient à sauver l'humanité, acquérant une dimension surhumaine. mais ce faisant, les forces divines de l'Apocalypse sont diabolisées.
Que l'on considère ainsi Independence Day, et l'on conviendra aisément de la ressemblance étonnante des nuages précédant les vaisseaux spatiaux des aliens avec les ciels enflammés des tableaux apocalyptiques de la Renaissance. Les aliens sont porteurs potentiels de destruction universelle et deviennent ainsi des êtres sublimés, mais qui doivent être combattus. Pourtant, dans une logique spirituelle, les porteurs de l'Apocalypse ne devraient pas être combattus mais accueillis. Malville, roman d'anticipation de Merle, envisage la destruction de l'humanité selon une interprétation moderne des fleuves de feu brûlant la corruption de Babylone : la centrale supersonique de Malville a explosé et le feu atomique a remplacé le feu divin. Le monde de quelques survivants abandonnés à leur sort semble bien dépourvu d'espoir messianique après la catastrophe, sinon dépourvu de divinité malgré leurs efforts pour garder une forme de spiritualité. Le Cinquième Cavalier, roman d'anticipation lui aussi se propose de lire des événements modernes selon le texte de l'Apocalypse. La tension du texte, qui s'établit ainsi dans un temps pré-apocalyptique, et non post-apocalyptique comme le précédent, se fonde donc sur une possibilité infime de l'homme, à son échelle, de combattre le divin, le temps divin, et la pré-destinée du monde. Le traitement moderne de l'Apocalypse permet donc l'expression détournée du combat de l'homme contre la divinité que présentent certains mythes grecs.

2. La Symphonie Fantastique, le Septième Sceau : danse macabre et fin du monde
Dans la Symphonie Fantastique, Hector Berlioz utilise au coeur du drame musical d'un amour malheureux pour une jeune fille le thème du Dies Irae, Dies Illa, issu de la messe, mais référant directement à l'Apocalypse en termes de punition : "Jour de colère que ce jour-là". Le thème est repris sur un rythme piqué puis à contre-temps, transformant le chant triste et solennel en une danse diabolique, bientôt connotée par la sonnerie de douze coups de cloche qui la transforme ainsi en une danse des morts. Mort individuelle ou collective, épidémique, évoquée par la transmission de la maladie liant par la main malades, vivants et morts. Le film de Bergman Le Septième Sceau, reprend de façon similaire la thématique de la maladie épidémique annoncée par le texte de la Révélation pour l'illustrer par une danse macabre finale où la mort ayant enfin rejoint le cavalier de l'Apocalypse, elle entraîne tous les hommes dans sa danse infernale. L'Apocalypse est, dans ces deux cas, une source de tension, d'angoisse, fondée sur des peurs primitives de mort individuelle et de peur de la maladie. La résignation qui suit la danse macabre dans la symphonie de Berlioz ou le film de Bergman n'est qu'une demi-résignation, celle du spectateur confronté à un destin, mais peu enclin à accepter le sort du personnage disparu sous ses yeux. Ainsi le destin collectif et imaginaire est devenu en quelques associations un destin individuel et inexorable. L'eschatologie atemporelle s'inscrit dans un réel si proche qu'elle suscite à la fois l'identification et le rejet, et par conséquent la fascination morbide. Il est certain que ces deux oeuvres artistiques ont le mérite de refléter ce que devait être la représentation imaginaire du Jugement dernier au Moyen Age, encore enclin à lire le monde comme un livre où s'inscrivaient les signes décrits par les textes, encore porté à ne voir dans la réalité que la mise en scène du sacré, parce que la difficulté quotidienne était déjà génératrice d'angoisse : "[La] panique va projeter les fidèles de l'ancienne religion dans une violence prophétique, violence qui les fera agir avec Dieu, dans Dieu ;[...]" (Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu) . La création artistique, en proposant une expression de ces craintes primaires, propose un sens au non-sens, une expression à l'inexprimable, une structure à ce qui apparaît comme un chaos. Cet apport permet d'expliquer, selon une autre perspective, l'ambivalence entre attraction et crainte du spectateur pour l'oeuvre inspirée par l'Apocalypse.

2. L'Apocalypse et le meurtre symbolique des personnages


Tout auteur, selon Shoshana Fehlman, procède à un meurtre rituel de ses personnages avec la fin du roman. L'Apocalypse contient le meurtre symbolique de l'ensemble, ou presque, des personnages. Ainsi, l'Apocalypse constitue un thème permettant non seulement de procéder à ce meurtre rituel et symbolique, mais de jouer sur l'horizon d'attente établi a priori par un intertexte annonçant cette destruction finale.


Dans Malville. les personnages hissés au statut de héros par leur survie au cataclysme sont ensuite décimés par des incidents dérisoires. Le chef de la colonie meurt ainsi d'une appendicite, parce que l'ordre de la société précédente a eu pour conséquence une répartition élitiste des connaissances vitales de l'humanité, désormais perdues. L'ordre divin est combattu, mais la société humaine n'en est pas pour autant grandie, et la fin des héros s'avère dérisoire, inutile. La tension de l'oeuvre s'exerce alors entre l'espoir et sa déception de voir les héros survivre malgré tout à un destin écrit d'avance. La destinée apocalyptique des personnages de Malville rejoint la tragédie grecque où l'homme se bat en vain contre un avenir préétablit.


Malville illustre ainsi la tentation de l'auteur de finir une oeuvre en en terminant avec ses personnages par un meurtre symbolique. Après que le thème de l'Apocalypse ait été abordé, les survivants ne bénéficient d'un sursis que pour ensuite connaître une fin comparable à celle du massacre final de Hamlet : l'Apocalypse est alors autant la fin prévue dans l'ordre divin que la conséquence de la bêtise humaine.

2. L'Apocalypse et le meurtre symbolique de l'auteur
L'Apocalypse serait une histoire qui se raconterait toute seule, une histoire déjà racontée dont le texte se réalise dans la réalité. L'ordre d'écriture et de lecture entre monde et fiction est donc symboliquement inversé et l'auteur disparaît derrière un texte suprême qui l'engloberait symboliquement. Ce faisant, l'auteur n'est plus qu'un conteur, et il est significatif que le narrateur de Malville soit un des survivants. La seule alternative possible est celle de la position de l'auteur omniscient, position que la langue anglaise qualifie sciemment de "god-like writer". Le regard de la caméra de Independence Day ou de Armageddon surplombe la scène des affaires humaines par des vues panoramiques, des plongées et contre-plongées qui donnent au spectateur le sentiment de participer à la contemplation de l'auteur démiurge. Le cadrage du Septième Sceau est plus subtile, mais nous sommes évidemment dans un "hors-cadre" qui permet une observation muette et passive semblable à celle à laquelle nous convie l'auteur démiurge. L'Apocalypse ne donne pas le sentiment d'un artifice de ce regard puisqu'elle en établit la condition. Le spectateur et l'auteur se situent imaginairement dans la position de spectateur, en renversant ainsi symboliquement une hiérarchie implicite de l'ordre de la lecture. L'auteur disparaît et meurt symboliquement dans le cataclysme qu'il décrit et qui le dépasse.

3. L'Apocalypse et l'ordre du renversement
a.Les mondes inversés et les périodes d'attente millénariste
Le thème du renversement de l'ordre des choses était présent, nous l'avons vu, dans l'évocation des temps messianiques dans le Talmud. Avec le développement de l'apocalyptique chrétienne, ce thème va se voir confondu avec celui de l'approche de la fin du monde, puisque les temps messianiques se confondent dans l'eschatologie chrétienne avec le jugement dernier et la fin du monde.
Ainsi, la fascination exercée à certaines époques par les mondes inversés, que ce soit dans les oeuvres littéraires ou dans les oeuvres iconographiques, peut s'expliquer par un développement implicite du thème de l'Apocalypse et par l'association elle aussi implicite du thème du retournement avec celui du jugement, de la justice . Le développement de cette thématique peut se lire dans une perspective historique comme une tentative de certaines époques politiquement ou religieusement troublées, pour réétablir du sens dans ce qui était perçu comme un bouleversement eschatologique, social, et psychologique. Lorsque la France subit les

guerres de religion et les affrontements entre plusieurs prétendants au trône, lorsque l'Angleterre est gouvernée par une reine et devient le théâtre d'affrontements religieux, les représentations de mondes inversés se multiplient, ainsi que les prédictions de fin du monde.
On peut émettre l'hypothèse que la dynamique du renversement établit au sein de l'oeuvre une tension dramatique anxiogène parce qu'incontrôlable et parce qu'elle engendre plusieurs directions sémantiques contradictoires. Simultanément ces contradictions constituent l'expression même de l'angoisse eschatologique qui pousse son auteur à écrire ou à peindre.
Dans l'exemple de monde inversé que nous avons reproduit ici, il est significatif que les renversements concernent essentiellement les ordres de l'autorité. L'homme n'a plus autorité sur la femme, ce qui constitue son cadre d'autorité intime, il ne domine plus le règne animal, ce qui constitue son cadre d'autorité plus général et naturel. Il est battu par ses enfants, ce qui constitue un retournement de l'ordre générationnel de la relation d'autorité. La première image présente les deux Atlas en fous du roi tenant le monde à l'envers et la dernière image est une représentation d'une ville dans les nuages surplombant le soleil et la lune : à ce point, les retournements ont quitté l'ordre de la Cité pour atteindre une échelle cosmique. Ces deux images nous fournissent la clé du lien entre l'image des mondes inversés a priori ludique, et celle de l'Apocalypse et des bouleversements angoissants qu'elle annonce. Le monde inversé serait lui-même une inversion du drame cosmique en comédie cosmique.

b.Le renversement de l'écriture
Plusieurs renversements essentiels du sens de l'écriture dans le rapport au réel ont lieu dans le cas de l'Apocalypse. Il y a tout d'abord un renversement temporel. La fiction ne prétend pas d'ordinaire précéder la réalité mais la représenter, c'est-à-dire la présenter à nouveau . Dans le cas de l'Apocalypse et de toutes les oeuvres qu'elle a inspirées, c'est le monde qui re-présente le texte (de l'Apocalypse) et non l'inverse. Le signifiant n'est plus le signifiant du texte mais celui du monde, et le signifié est constitué par le texte, qui se présente comme en adéquation avec la Parole divine.
Cette conception de l'écriture dans son retour aux sources de l'exégèse biblique est rendue plus aisée dans son élaboration par la communauté de son discours mystique avec les sources littéraires de ce même discours. La Bible, dans son texte original hébraïque, présente la création du monde par dix "paroles", puisque le mot "davar" signifie à la fois "chose", "mot", et "parole". L'Apocalypse annonce le bouleversement du monde, mais ce faisant elle crée potentiellement un monde qui réalisera ses paroles. Dans ce contexte, on comprend mieux les phénomènes de manifestations collectives à l'approche des temps craints et désirés, interprêtés comme contemporains de la fin du monde. Parce que l'imaginaire biblique est conçu comme une histoire vécue, une "mise en scène du temps divin" (Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu), il ne s'agit pas pour tous d'attendre la fin des temps et l'Apocalypse. Certains s'emparent de cette chronique d'une violence annoncée pour la réaliser. La violence de l'époque actuelle dans les pays de renouveau religieux n'est qu'une réactualisation de ce retournement du sens.



III. L'élaboration d'une tension dramatique : Le mythe apocalyptique et la rédemption
La tradition chrétienne a repris le thème apocalyptique pour l'associer au retour messianique, de sorte qu'une tension s'établit très souvent dans l'oeuvre entre l'espoir de rédemption annoncée par l'Apocalypse et la crainte de la destruction associée à la fin du monde.
Dans le texte de La Révélation de Jean, les cinq cavaliers de l'Apocalypse viennent frapper l'humanité de plaies et d'épidémies, puis après le passage de l'Antéchrist et la destruction de Babylone, cité de la corruption, le Messie revient pour juger les vivants, condamner les incroyants à l'enfer, récompenser les fidèles par le paradis éternel, et ressusciter les morts. Le bouleversement cosmique, accompagné par des destructions et souffrances effrayantes qui précèdent, selon le texte, le retour messianique et le jugement irréductible final, ont fait de ce texte un pôle d'ambivalence sémantique entre la rédemption et la destruction. Cette ambivalence constitue un outil d'une intensité dramatique exceptionnelle, et nous allons considérer tout d'abord une pièce ayant repris cette double valeur de l'Apocalypse.

1. The Tempest : de l'Apocalypse à la rédemption
La pièce de Shakespeare, La Tempête, commence par une scène où les marins se battent contre l'océan lors d'une tempête de "dimension cataclysmique" selon Miranda qui assiste à la scène.
[...]The sky, it seems, would pour down stinking pitch,
But that the sea, mounting to the welkin's cheek,
Dashes the fire out. (The Tempest, Acte I, scène 2)

Le premier homme à sauter à l'eau et abandonner le navire est le fils du roi Ferdinand, qui s'écrie que l'enfer est vide, et que tous les démons sont là : "Hell is empty /And all the devils are here" (scène 2). Le monde catastrophique de la tempête se double ainsi d'un monde où l'ordre des éléments spirituels est perturbé, ce qui est la caractéristique de l'Apocalypse avant le jugement des démons par Jésus.
Quand les rescapés du naufrage se réveillent sur l'île, ils entendent le chant d'Ariel, l'esprit, et alors qu'ils pensent être dans un monde divin, ils apparaissent comme des esprits à Miranda (Acte I, scène 2). Le monde de l'île de Prospero se caractérise donc par une tension entre enfer et paradis, ce qui reflète la tension de l'Apocalypse entre retour messianique et jugement dernier. Mais de plus, les personnages vont percevoir le monde qui les entoure en fonction de leur degré de spiritualité. A la scène 2 du premier acte, Ariel entre en scène en jouant une musique que Antonio, Gonzalo et Francisco perçoivent, puisqu'elle les endort. Mais Alonso et Sebastian, eux, ne s'endorment pas, et conçoivent un complot contre Gonzalo, qui est l'héritier potentiel du trône. Ariel intervient à nouveau pour éveiller Gonzalo et le sauver. Cependant, la totalité de l'échange verbal entre Sebastian et Antonio reprend les métaphores liées au sommeil, et ils conviennent que leur esprit est "endormi":
Sebastian What a strange drowsiness possesses them!
Antonio It is the quality o' the climate.
Sebastian Why does it not then our eyelids sink? I find not
Myself disposed to sleep.
Antonio No I; my spirits are nimble.
They fell together all, as by consent;
They dropp'd, as by a thunder-stroke. What might,
Worthy Sebastian? O, what might? ------ ----_ No more:_
And yet methinks I see it in thy face,
What thou shouldst be : the occion speaks thee, and
My strong imagination sees a crown
Dropping upon thy head.
Sebastian What, art thou waking?
Antonio Do you not hear me speak?
Sebastian I do; and surely
It is a sleepy language and thou speak'st
Out of thy sleep. What is it thou didst say?
This is a strange repose, to be asleep
With eyes wide open; standing, speaking, moving,
And yet fast asleep. (Acte II scène 1, v. 199-215)

Ceux qui ne dorment pas du sommeil "du juste" sont spirituellement endormis, insensibles aux charmes de l'île. Seuls les êtres éveillés spirituellement sont en phase avec elle, sereins, réellement endormis.
Ce qui est rêve pour les uns est un cauchemard éveillé pour les autres. Ce qui est paradis pour les uns est enfer pour les autres : le thème du jugement dernier est ici en filigrane, soutenu par la métaphore de la magie opérée par Prospéro sur les êtres et les éléments. Celui-ci nous dit, dès la scène 2 de l'Acte I, qu'il ne dispose que de six heures pour accomplir son oeuvre répératrice.
Prospero Ariel, thy charge
Exactly is perform'd: but there's more work.
What is the time of the day?
Ariel Past the mid season.
Propero At least two glasses. The time 'twixt six and now
Must by us be used mot preciously. (v. 236-241)
A l'acte V, scène 1, Prospéro s'enquiert à nouveau de l'heure, et Ariel lui répond que la sixième heure est atteinte et que leur oeuvre doit cesser . Ariel est un esprit dont le nom fait traditionnellement référence au lion de Judée (Ariel : lion de Dieu), qui correspondait à l'emblème de la tribu de Judah dont devait descendre le messie. Les six heures sont une transposition habituelle en heures des six millénaires séparant la création du monde du retour messianique. Prospéro est devenu "lord" de son île déserte en y débarquant avec sa fille, et le terme signifie simultanément seigneur et Dieu. Qu'il soit une représentation anthropomorphique de la divinité ou bien celle d'un cabbaliste évoquant les esprits pour hâter la venue du monde à venir, il est clair que la pièce lui donne un rôle central dans un travail de réparation du monde et des êtres qui échoit ordinairement aux personnages messianiques. Prospéro n'a pas cherché vengeance, il a cherché à éveillé le repentir de ceux qui l'avaient déchû de son trône . Il se décrit lui-même comme ayant permis la résurrection des morts:
[...] graves at my command
Have waked their sleepers, oped, and let them forth by my potent art. But this rough magic
I here abjure, and, when I have required
Some heavenly music, which even now I do,
[...] I'll break my staff. (Acte V, scène 1,v. 48-52)

La tempête devient donc elle-même une métaphore du bouleversement cosmique devant avoir lieu lors du jour du jugement. La pièce, après avoir joué de la tension dramatique entre destruction et rédemption, a choisi la rédemption, et Prospéro quitte sa magie pour restaurer l'ordre habituel du monde humain.
D'autres créations artistiques ont repris la tension dramatique de l'Apocalypse, mais en insistant d'avantage sur le jugement inhérent à la scène finale. C'est le cas de la Peseuse de perles, tableau de Vermeer de Delft qui dépasse la dimension d'une scène intimiste pour mettre en scène la condition de l'homme selon le croyant.

Vermeer de Delft La Peseuse de perles
Schéma des correspondances de tons mettant aussi en évidence
les parallélismes de composition des lignes entre la scène du jugement
et celle de la pesée

2. Vermeer de Delft La Peseuse de perles : Apocalypse, jugement dernier, et engendrement du fils de l'homme
Le tableau de Vermeer de Delft présente au premier plan une jeune femme enceinte en train de peser des perles face à une fenêtre déversant sa lumière sur elle. La scène est paisible, les tons doux et chauds, et l'attention de la peseuse évoque la lenteur du geste, tandis que son doigt tendu en parallèle au-dessus du bras de la balance exprime la minutie. Le spectateur qui s'approche alors de ce tableau assez petit (une cinquantaine de centimètres carrés) découvre au second plan un tableau dans le tableau, qui loin de répéter la première scène, semble tout d'abord contraster violemment avec elle. Des âmes sont jugées par une divinité en majesté et certaines se voient déjà condamnées aux flammes dont les tons rouges, oranges et jaunes renvoient aux tons chauds du premier plan alors que le fond du tableau est sombre et contraste fortement avec la lumière émanant de la fenêtre. Et pourtant les droites du tableau souligne de leurs parallèles l'écho des deux scènes. Le bras de la jeune femme pesant les perles poursuit la parallèle du bras divin tendu. Le cadre de la fenêtre renvoie au cadre du tableau.
Les tonalités du tableau et sa composition graphique insistent sur les échos entre les deux scènes, alors que le cadre de la fenêtre renvoie implicitement à un monde extérieur qui reprendrait en miroir les deux scènes, puisque tous les cadres -dont celui du tableau, celui du tableau de l'Apocalypse, et celui de la fenêtre- les placent symboliquement en équivalence. La condition humaine est donc celle d'un jugement perpétuel, quotidien, voire intimiste, renvoyant au jugement final de âmes. L'engendrement du fils de l'homme dépend lui aussi de l'histoire humaine et de l'histoire des générations, comme le suggère la femme enceinte. Enfin la sérénité de la jeune femme est en contrepoint de la pesée délicate et fragile, des plateaux de la balance qui peuvent à tout instant pencher du côté redoutable.
Ainsi, tableau du monde, scène intime et cosmique se répondent pour prendre un sens dépassant l'individu. La jeune femme enceinte pèse des perles comme elle pèse peut-être en elle ses actions passées, comme celles-ci apparaissent déjà pesées dans un temps apocalyptique. L'enfant qu'elle porte reflète l'espoir d'un avenir non encore déterminé, et le thème messianique du fils de l'homme, né des engendrements et de l'évolution du "kets hayamim" (du processus des jours) insiste sur la tonalité d'espoir liée au retour messianique.
Le mythe de l'Apocalypse et de la fin du monde constitue un réseau de significations ambivalentes qui sont dangereuses dans la mesure où elles mettent en jeu des pulsions puissantes issues des craintes primitives de destruction de soi. Ce réseau d'ambivalences se double d'une série d'inversions dynamiques qui explique comment le mythe peut très rapidement devenir réalité, comment la fiction peut mener au passage-à-l'acte, comment les thèmes de création, confondus avec leur contraire par les craintes de destruction, peuvent composer une réaction en chaîne ancrée dans une réalité terrifiante. Pour toutes ces raisons, le mythe de la fin du monde, fondé sur un contresens, n'en doit pas moins être pris au sérieux, surtout à l'approche de l'an 2000.

Écrit par : xp | 10/08/2007

Merci de ce cadeau, même s'il ne m'était pas destiné , xp.
:-)

Écrit par : astrale | 11/08/2007

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