30/10/2007
Assommons les pauvres !
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
Afin d'entrer en résonance avec la dernière note d'XP... et de rire un peu... voici un texte politiquement incorrect de Charles Baudelaire, dont j'avais déjà évoqué le Dandysme, par un texte de Michel Onfray, il y a tout juste un mois.
Savourez...
"Assommons les Pauvres !
Pendant quinze jours je m'étais confiné dans ma chambre, et je m'étais entouré des livres à la mode dans ce temps-là (il y a seize ou dix-sept ans); je veux parler des livres où il est traité de l'art de rendre les peuples heureux, sages et riches, en vingt-quatre heures. J'avais donc digéré, - avalé, veux-je dire, toutes les élucubrations de tous ces entrepreneurs de bonheur public, - de ceux qui conseillent à tous les pauvres de se faire esclaves, et de ceux qui leur persuadent qu'ils sont tous des rois détrônés. - On ne trouvera pas surprenant que je fusse alors dans un état d'esprit avoisinant le vertige ou la stupidité.
Il m'avait semblé seulement que je sentais, confiné au fond de mon intellect, le germe obscur d'une idée supérieure à toutes les formules de bonne femme dont j'avais récemment parcouru le dictionnaire. Mais ce n'était que l'idée d'une idée, quelque chose d'infiniment vague.
Et je sortis avec une grande soif. Car le goût passionné des mauvaises lectures engendre un besoin proportionnel du grand air et des rafraîchissants.
Comme j'allais entrer dans un cabaret, un mendiant me tendit son chapeau, avec un de ces regards inoubliables qui culbuteraient les trônes, si l'esprit remuait la matière, et si l'oeil d'un magnétiseur faisait mûrir les raisins.
En même temps, j'entendis une voix qui chuchotait à mon oreille, une voix que je reconnus bien; c'était celle d'un bon Ange, ou d'un bon Démon, qui m'accompagne partout. Puisque Socrate avait son bon Démon, pourquoi n'aurais-je pas mon bon Ange, et pourquoi n'aurais-je pas l'honneur, comme Socrate, d'obtenir mon brevet de folie, signé du subtil Lélut et du bien avisé Baillarger?
Il existe cette différence entre le Démon de Socrate et le mien, que celui de Socrate ne se manifestait à lui que pour défendre, avertir, empêcher, et que le mien daigne conseiller, suggérer, persuader. Ce pauvre Socrate n'avait qu'un Démon prohibiteur; le mien est un grand affirmateur, le mien est un Démon d'action, un Démon de combat.
Or, sa voix me chuchotait ceci: "Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir."
Immédiatement, je sautai sur mon mendiant. D'un seul coup de poing, je lui bouchai un oeil, qui devint, en une seconde, gros comme une balle. Je cassai un de mes ongles à lui briser deux dents, et comme je ne me sentais pas assez fort, étant né délicat et m'étant peu exercé à la boxe, pour assommer rapidement ce vieillard, je le saisis d'une main par le collet de son habit, de l'autre, je l'empoignai à la gorge, et je me mis à lui secouer vigoureusement la tête contre un mur. Je dois avouer que j'avais préalablement inspecté les environs d'un coup d'oeil, et que j'avais vérifié que dans cette banlieue déserte je me trouvais, pour un assez long temps, hors de la portée de tout agent de police.
Ayant ensuite, par un coup de pied lancé dans le dos, assez énergique pour briser les omoplates, terrassé ce sexagénaire affaibli, je me saisis d'une grosse branche d'arbre qui traînait à terre, et je le battis avec l'énergie obstinée des cuisiniers qui veulent attendrir un beefteack.
Tout à coup, - ô miracle! ô jouissance du philosophe qui vérifie l'excellence de sa théorie! - je vis cette antique carcasse se retourner, se redresser avec une énergie que je n'aurais jamais soupçonnée dans une machine si singulièrement détraquée, et, avec un regard de haine qui me parut de bon augure, le malandrin décrépit se jeta sur moi, me pocha les deux yeux, me cassa quatre dents, et avec la même branche d'arbre me battit dru comme plâtre. - Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l'orgueil et la vie.
Alors, je lui fis force signes pour lui faire comprendre que je considérais la discussion comme finie, et me relevant avec la satisfaction d'un sophiste du Portique, je lui dis: "Monsieur, vous êtes mon égal! veuillez me faire l'honneur de partager avec moi ma bourse; et souvenez-vous, si vous êtes réellement philanthrope, qu'il faut appliquer à tous vos confrères, quand ils vous demanderont l'aumône, la théorie que j'ai eu la douleur d'essayer sur votre dos."
Il m'a bien juré qu'il avait compris ma théorie, et qu'il obéirait à mes conseils."
Charles Baudelaire (Le Spleen de Paris - Repris en 1864 sous le titre Petits poèmes en prose)
22:30 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : Pauvreté, Sans abris, Charles Baudelaire, aumône | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Sublime, en effet! Merci pour la "correspondance", cher Nébo!
Écrit par : XP | 30/10/2007
et assommons les pauvres types assommants !
Écrit par : Oui ! | 30/10/2007
Voyons ça de plus près dame l'écrivaine... tentez votre chance que je vous fesse...
Écrit par : Nebo | 30/10/2007
Coucou,
Merci de voter pour ma petite Floriane pour quelle gagne le concours. Rendez vous sur mon blog www.loicmanac.fr C’est très important.
Écrit par : Loic | 31/10/2007
Oui... je confirme... assommons les pauvres !
Écrit par : Nebo | 31/10/2007
Dieu merci j'ai toujours été riche, et généreuse. Feuilletée en esprit d'amour, donnant la vie. Sinon, la mort.
Écrit par : Rrose | 31/10/2007
Salut Nebo,
Ben voilà, je relisais, comme ça, un soir de déprime, mon blogue, et suis tombé par hasard sur ton commentaire (je les zappe souvent) qui m'avait alors échappé, au sujet d'un copié/collé que j'avais fait le 19 septembre dernier sur AgoraVox, d'un article relatif au 11/9.
C'est tout de même incroyable, cette volonté fanatique du premier venu à tenir fidèlement le rôle du dernier des cons - cette manière au fond sans surprise des esclaves, d'emboucher systématiquement le clairon de leurs maîtres chanteurs. "C'est tout de même la confusion de la Fosse à purin de Babel..." Tel fut ton commentaire mal intelligible.
C'est drôle, ou triste, je veux dire lamentable : à croire qu'à tous, vous échappe délibérément l'évidence newtonienne - comme vous dérange inconsciemment la classique abomination shakespearienne...
Alors je te prie de clarifier ton opinion sur ce sujet. Assez de métaphores, elles ont par trop l'arrière-goût des périphrases journaleuses. A joyeux vol au dessus du nid de coucou, noyage impuni du poisson antéchristique...
Merci de me répondre directement par mail, ça me ferait plaisir.
Guillaume
Écrit par : Guit'z | 02/11/2007
Soit dit en passant, l'heure approche où les mendiants vérifieront la théorie du poète à nos dépens de blogueurs fort théoriciens, mais eux-mêmes fort peu pratiquants, ni d'ailleurs vérificateurs rossés de quoi que ce soit.
Écrit par : Guit'z | 02/11/2007
"C'est drôle, ou triste, je veux dire lamentable : à croire qu'à tous, vous échappe délibérément l'évidence newtonienne - comme vous dérange inconsciemment la classique abomination shakespearienne..."
Ah c'est sûr, ça c'est par contre intelligible et net. Non ? Vous pratiquez soudain ce que vous dénoncez. Voilà.
Alors que moi... mon commentaire fut précis... :"C'est tout de même la confusion de la Fosse à purin de Babel..." en rapport avec votre article en copier/coller... Du 9/11, voyez-vous, je ne sais quoi penser entre les victimes, les conspirationnistes, la CIA, l'administration Bush... ben oui, c'est la confusion... Babel quoi ... Non ? J'ai dit une bêtise ?
Écrit par : Nebo | 02/11/2007
J'ai toujours taillé un bâton pour ma faire battre. Je peux rendre ainsi la monnaie de la pièce.
Écrit par : nina de zio peppino | 02/11/2007
Hello Nebo,
D'abord, vous avez raison : je me suis un peu enflammé, et puisque vous tenez au vouvoiement, c'est aussi bien.
- "Evidence newtonienne" : Les deux tours (de 420 m) les plus SOLIDES jamais construites n'ont physiquement pas pu s'effondrer à la vitesse de la gravité, c'est incontestablement démontré, le tout est d'avoir les bonnes sources. Point à la ligne. - Si toutefois vous me concédez que les Médias nous mentant sur tout, pourquoi devrait-on leur faire confiance sur ce point, qu'ils ont du reste traité avec la plus louche obscénité.
- "Classique abomination shakespearienne" : notre époque est mal avec le tragique ; alors la tragédie shakespearienne de la politique ou l'oncle assassine le roi, en un mot où le pouvoir est mensonge et une trahison constant...
S'agissant de votre commentaire, euh ben oui, en fait c'est moi qui suis un peu con-con... J'avais compris autre chose (pas seulement déprimé, mais un peu saoul aussi...)
Toujours aussi cordialement
Écrit par : Guit'z | 02/11/2007
Oui, cher Guit'z, c'est juste que la Confusion règne. Je ne remets absolument pas en question le Choc du 11 Septembre 2001. J'en suis à me demander si l'administration Bush, au courant du plan qui se tramait, n'a pas laissé faire pour... entraîner la population à sa suite, pour faire front face à une menace réelle : l'Islamisme bien naze. Voilà. Un peu comme les USA avaient procédé avec le Lusitania en 1915 pour rentrer dans la guerre... ou avec Pearl Harbor pour faire de même.
Ma première pensée va aux victimes. J'ai du mal, mais alors beaucoup de mal à croire que ce soit un avion qui soit tombé sur le Pentagone. Mais, encore une fois, cela n'enlève rien à un choix de civilisation que l'on peut faire face à une menace. Moi, entre les barbus et le coca-cola, je choisis le coca-cola, simplement parce qu'aux USA on peut choisir de ne pas en boire... et puis de croire ou non en Dieu. Alors que les barbus... hein... je ne vous fais pas de dessin.
Reste, encore une fois, que la Confusion règne. Le bourbier Irakien n'arrange pas les choses et la prochaine entrée des turques en Irak ( c'est déjà le cas... mais ils risquent fortement d'élargir leur pénétration en pays Kurdes) ne va pas nous donner le recul nécessaire pour analyser froidement tout ça. Enfin, nous peut-être... les stratèges, eux, ils ont leurs méthodes.
Temps apocalyptiques, n'est-ce pas ?
Pour votre emportement, point de crainte, vous êtes largement pardonné... et à vrai dire je ne vous en voulais pas.
Bien à Vous...
@)>-->--->---
Écrit par : Nebo | 02/11/2007
Je crois que vous gagneriez à lire l'excellent - et bien évidemment ignoré - Webster Tarpley, grand historien US, auteur de la Terreur Fabriquée, Ed. Demi Lune.
Vous comprendrez pourquoi le terrorisme imputé aux Barbus est un mythe. Je veux dire que la réalité micro-sociétale de l'islamisme dans nos banlieues, ne fait qu'un avec le fantasme macro-politique du terrorisme international.
Islam dont la tendance générale au 20ème siècle serait plutôt le progressisme, sa radicalisation mitigée ressortant de la dialectique falsificatrice de l'économisme occidental... Car il est faux de croire qu'on a le choix de ne pas boire de Coca (d'où Pepsi !), et le consumérisme est une idéologie avant d'être une pratique.
Le copyright idéologique de l'économie politique américaine étant : énergie bon marché = obligation de consommer.
Pour ma part, entre un démon souriant - l'obèse roi - et un démon furieux - le barbu théocrate -, je ne choisis pas. Je refuse l'alternative piégée, bicolore comme dans la pensée médiateuse...
Amitiés du Québec, Nebo !
Écrit par : Guit'z | 03/11/2007
Cher ami, je fais un pas de côté et m'enchante en mon jardin.
Les barbus ne me le premettraient pas si ils étaient au pouvoir.
Et dans la cité où je vis, en banlieue sud de Paris, les barbus bien présents s'amusent de vos références qui nous endorment.
Vers 2030/2035, les musulmans seront probablement 40% dans ce pays. Si c'est le cas... si la tendance n'est pas inversée... ce sera la guerre.
Au Québèc, surtout ne les autorisez pas à avoir leurs tribunaux islamiques qu'ils ont réclamé il n'y a pas longtemps... et bottez le cul aux gôchistes naïfs qui pensent que l'Islam n'est qu'Amour, Paix et Tolérance... ce sont les descendants de ceux qui croyaient en 1938 que Hitler voulait la paix.
Écrit par : Nebo | 03/11/2007
Certes, certes... Je précise que je suis parisien de naissance - et que je sais bien ce que vous me dites.
Je persiste à dire qu'il n'y a pas solution de continuité, mais "saut qualitatif" entre islam sociétal et islamisme politique - entre résistance approximative à l'injustice locale, et guerre fantasmatique déclarée par les barbares aux civilisés.
Ainsi refusé-je mêmement la Charia islamique et la "justice sans limite"des Pan-capitalistes.
Quant à "botter le cul des gôchistes" : je vous trouve même trop indulgent envers ces raclures, éternels collabos "multiculturalistes" des mafias d'argent.
PS : couché fort tard et levé fort tôt, j'ai ce matin l'haleine pâteuse et les idées floues, aussi reprendrons-nous ce débat ultérieurement, si vous le voulez bien. Quelle vie mène ce branleur d'alcoolo mondain, songerez-vous. et vous n'aurez pas tort...
A vite,
Écrit par : Guit'z | 03/11/2007
Baudelaire ...quel sombre regard ...
Écrit par : Tietie007 | 04/11/2007
Quel regard clair !
Écrit par : Nebo | 04/11/2007
La guerre des barbus n'est point fantasmatique,elle a lieu ici et maintenant.Au Québec ce n'est pas encore comme ici-même,mais on y vient.Votre saut qualitatif c'est de la naïveté pure Guit'z,ou alors expliquez moi,expliquez-nous tout ça en 10,15,20 phrases qu'on puisse vous comprendre parce que vous êtes flou.
Écrit par : Henri | 05/11/2007
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