05/11/2007
De la Poésie d'aujourd'hui
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
"Pourquoi est-ce que je n'aime pas la poésie pure ? Pour les mêmes raisons que je n'aime pas le sucre "pur". Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. Et en poésie, l'excès fatigue : excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d'épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lorsqu'un homme s'exprime avec naturel, c'est-à-dire en prose, son langage embrasse une gamme infinie d'éléments qui reflètent sa nature tout entière ; mais il y a des poètes qui cherchent à éliminer graduellement du langage humain tout élément a-poétique, qui veulent chanter au lieu de parler, qui se convertissent en bardes et en jongleurs, sacrifiant exclusivement au chant. Lorsqu'un tel travail d'épuration et d'élimination se maintient durant des siècles, la synthèse à laquelle il aboutit est si parfaite qu'il ne reste plus que quelques notes et que la monotonie envahit forcément le domaine du meilleur poète. Son style se déshumanise, sa référence n'est plus la sensibilité de l'homme du commun, mais celle d'un autre poète, une sensibilité "professionnelle" - et, entre professionnels, il se crée un langage tout aussi inaccessible que certains dialectes techniques ; et les uns grimpent sur les dos des autres, ils construisent une pyramide dont le sommet se perd dans les cieux, tandis que nous restons à ses pieds quelque peu déconcertés. Mais le plus intéressant est qu'ils se rendent tous esclaves de leur instrument, car ce genre est si rigide, si précis, si sacré, si reconnu, qu'il cesse d'être un mode d'expression ; on pourrait alors définir le poète professionnel comme un être qui ne s'exprime pas parce qu'il exprime des vers."
Witold Gombrowicz, La Havane, 1955 (Contre les poètes)
07:50 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : witold gombrowicz, poésie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Gombrowicz après Camus, là je suis comblé.Bien à vous Nebo.
Écrit par : Ezrah | 05/11/2007
Oui Nébo, cet homme est d'une finesse, d'une justesse... Dans sa pensée: Implacable et flexible à la fois. Une pensée qui aujourd'hui encore n'est pas reconnu comment étant une très très grande pensée, soucieuse de ne jamais perdre de vue l'humain et le corps... Gombrowicz est né dans le ferment laissé par Nietzsche, Schopenhauer et Dostoievsky...Pour moi il est un Zarathoustra débonnaire et clairvoyant, et surtout sa voix sonne toujours au présent.
Le journal de Gombrowicz paru chez Folio est un candidat idéal à trimbaler dans une poche jusqu'à usure complète.
PS: Très bon choix de photo.
Écrit par : orpheus64 | 05/11/2007
A L'INGENIEUR
Amusant de réduire la poésie
Aux mécaniciens du langage
Sans voir que le feu qui la nourrit
Se passe volontiers d'engrenages
Puérile dénigration
D'un regard qui cherche dans les structures
Le sel qu'elles ne contiennent pas
Parler de poésie pure
C'est du conceptuel abstrait
Qui ignore la batardise de la langue
Ce ne sont pas les rabots et le bois
Qui font la qualité de l'ébénisterie
Écrit par : gmc | 06/11/2007
Cela Nebo, mérite explication...
"Lorsqu'un tel travail d'épuration et d'élimination se maintient durant des siècles, la synthèse à laquelle il aboutit est si parfaite qu'il ne reste plus que quelques notes et que la monotonie envahit forcément le domaine du meilleur poète."
Un poète ? le même pendant des siècles ?!
Qui épure ? QUI élimine ?
Haut le coeur...
Écrit par : Marie Gabrielle | 06/11/2007
Perso,ça ne me surprend nullement que Marie-Gabrielle et GMC réagissent à Gombrowicz,car je n'ai jamais rien compris à leurs poésies,même si je puis concevoir qu'il s'y trouve de délicieuses mélodies.
GMC,savez-vous vraiment lire ?
Écrit par : Henri | 06/11/2007
absolument pas, henri.
Écrit par : gmc | 06/11/2007
Oh Henri, j'ai tant aimé celle-là de Birkin... "Il est interdit de passer - par cette mé-lodie... il est interdit de passer - par cet air-LA !". Je ne l'ai pas suffisamment entendue, sans doute...
C'est vrai que je n'ai pas cette habitude - du tandem - et que mes poésies, lorsque je les écris, sont d'abord (= par moi) écoutées (= en cours). Merci de ce que je prends donc pour un compliment, bien à vous ?
Écrit par : Marie Gabrielle | 06/11/2007
Henri > j'allonge. Ce que je trouve intéressant dans l'ambiguité manifeste du texte que j'ai soulignée (tacitement) plus haut, s'en rapporte au fait que ce qui se vivrait dans un confort malgré tout moral de la part de ce poète "dans le texte", s'avèrerait tout de suite plus "dangereux" s'agissant de la tentative éventuelle de ce "péquin léger" visant à établir et à traiter du merveilleux en tout.
Tout demeuré ici dans la sphère de chacun, Henri... j'aime le language humain dans sa structure, qui se ferait chemin des cailloux blancs du sens définitivement échappé à la confusion.
(Un peu court ?)
Écrit par : Marie Gabrielle | 06/11/2007
Incompréhensible
Écrit par : Henri | 06/11/2007
Henri > j'achève.
"sa référence n'est plus la sensibilité de l'homme du commun, mais celle d'un autre poète, une sensibilité "professionnelle" - et, entre professionnels, il se crée un langage tout aussi inaccessible que certains dialectes techniques"
Tout est affaire de proportion et de milieu. Toutefois, un bon vieux glissement, et ce langage inaccessible assimilera la violence, la menace, le non-dit du désamour sous couvert d'intime, le prétexte d'une poésie à soi dans un autre ou d'une folie inhérente jamais itinérante...
La question du luxe est ici posée : quelle charge d'homme - et de poète ?
Celle aussi, de l'amour : quel rôle à jouer - pour le poète ?
A propos, j'ai à bosser et vous quitte à ce point, précis...
Bye and bye,
Écrit par : Marie Gabrielle | 06/11/2007
Henri > je viens de trouver votre mot. Je suis confuse... tentez de laisser donc décanter. Je n'ai plus le temps de tenter d'expliquer l'inexplicable.
Nebo, si vous jugez bon d'effacer, alors n'hésitez pas. Cela m'est à peu près égal...
Bonne soirée à tous,
Écrit par : Marie Gabrielle | 06/11/2007
"Le jour où l'on voudra bien admettre comme sincère et vraie la déclaration que je fais à tout bout de champ que je ne me veux pas poète, que j'utilise le magma poétique mais pour m'en débarrasser, que je tends plutôt à la conviction qu'aux charmes, qu'il s'agit pour moi d'aboutir à des formules claires, et impersonnelles,/on me fera bien plaisir,/on s'épargnera bien des discussions oiseuses à mon sujet"
Francis Ponge
Écrit par : Francis Ponge | 06/11/2007
Marie-Gabrielle,
je ne vois pas ce que je pourrais expliquer de plus que ce que Gombrowicz dit ici. Il n'y a aucune interprétation à avoir... tout coule de source... moi je ne puis expliquer l'évidence.
Baisers à Vous...
Écrit par : Nebo | 06/11/2007
Les commentaires sont fermés.