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21/01/2014

L'égalitarisme Nazi...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

"Si étrange que cela puisse paraître au premier abord, il semble bien que le nazisme lui-même soit un produit de la pensée égalitariste et positiviste moderne. Non pas seulement en tant que — ce serait trop facile — perversion illuministe et raciste (donc sa supposée antithèse), même si son langage conscient s'est articulé sur ce type d'argumentations, mais en tant que théorie égalitariste pathologique, c'est-à-dire inconsciente et contrôlant chaque aspect même le plus futile de l'organisation sociale, culturelle ou politique du national-socialisme.
Alors que le communisme bolchevique s'est empressé de reproduire castes et classes à l'intérieur de la matrice égalitariste de sa société bureaucratique, le nazisme n'a eu de cesse de suivre une sorte de logique égalitaire totalitaire qu'on retrouve jusque dans sa procédure d'extermination des juifs d'Europe : à la différence des antisémitismes antérieurs, catholiques ou protestants, le nazisme ne fait plus de la judéité un problème religieux, réglable si je puis dire par la conversion de l'individu, mais un problème national, social et racial qu'on ne peut résoudre que par son anéantissement collectif. Ainsi, rares seront les savants juifs qui connaîtront un autre sort que l'exil ou le four crématoire, en dépit du fait que leurs connaissances auraient sans doute grandement aidé les Allemands dans des domaines aussi stratégiques que l'électronique, l'aérodynamique ou la physique des particules, en particulier au cours de leur affrontement militaire avec les deux plus grands États continentaux de la planète. La vision raciste du nazisme reproduit à l'encontre de la communauté visée (juifs, slaves, nègres, asiates) un égalitarisme négatif qui fait fi de toutes les différences individuelles et culturelles objectives opérant en son sein, et lui permet ainsi de transformer à grande échelle les individus en question en savonnettes, et leurs bibliothèques en brasier.
Aucun roi très chrétien du Moyen Âge (et donc empreint de la pensée que les juifs sont directement responsables de la mort du Christ) ne se serait laissé aller à de telles absurdités, et de tels crimes.
La "race aryenne" elle-même et sa destinée ne sont pas à l'abri d'un tel retour du refoulé. En effet, la mise en esclavage des juifs et autres races inférieures par les peuples du Reich allemand ne vise rien d'autre en finalité qu'un grand paradis égalitaire de citoyens aryens, et le remplacement à court terme de cette main-d'oeuvre (sous)-humaine par la machine-reine est évoqué dans plusieurs textes "théoriques nazis" d'avant-guerre.
Le nietzschéisme de caniveau du national-socialisme (une lecture débile de textes censurés et reformatés par la soeur du philosophe) trahit pourtant à maintes reprises ses origines petites-bourgeoises voire (sous)-prolétariennes : sa haine des juifs et des "démocrates" n'a d'égale que celle qu'il réserve à l'aristocratie austro-allemande.
Si toute allusion plus ou moins directe à un "programme génétique et biopolitique" fait désormais si peur en Occident, c'est que les nazis ont systématisé cette vision positiviste et égalitariste de la race humaine (transférée sur le plan fantasmatique maternel/germanique) en procédant à grande échelle à son application : suppression des fous, homosexuels, déviants et autres exceptions de la nature et des sociétés. À ces simples mots, le philosophe de Sils Maria aurait sans doute répliqué par quelque aphorisme assassin.
Pour les nazis, le "problème juif" était un problème abstrait, un problème économétrique pur, c'est précisément ainsi qu'ils purent le "régler" à coups de statistiques et de moyens industriels, rationnels et démesurés.
Les koulaks, les prêtres, les Ukrainiens, et tous les opposants réels ou virtuels occupent à peu près la même place dans l'imaginaire pathologique des communistes bolcheviques qui, lorsqu'ils entreprirent leur plan de destruction systématique de la culture russe, n'étaient pas pourvus des conditions techniques, géopolitiques et géographiques qui permirent au Reich hitlérien d'élaborer puis de réaliser son programme industriel d'extermination, et durent donc recourir à des méthodes "classiques" quoique développées à une échelle jusque-là inconnue (déportations, travail forcé, massacres, organisation des famines).
Quoi qu'il en soit, ce que l'obscurantisme nazi doit paradoxalement à la vision égalitariste des races, cultures, sociétés et individus s'exprime dans la langue même de cette idéologie. Quiconque a lu (ou parcouru, c'est amplement suffisant) ce fatras obscur qu'est Mein Kampf ne peut constater qu'une seule chose : comme beaucoup de ses confrères marxistes et léninistes, Hitler est bien le petit-bourgeois moderne formé par l'humanisme positiviste typique des années 1900, sa langue est plate, jargonnesque, monotone, répétitive. Hitler ne prendra vraiment sa mesure qu'en public, à la radio ou à la tribune, en laissant libre cours à son inspiration hystérique, ses écrits sont particulièrement navrants sur le plan stylistique, et ils témoignent de l'incroyable impudence que l'inculture instruite par un siècle de rationalisme égalitariste a pu provoquer chez des individus médiocres et de basse extraction.

Par nature, la véritable noblesse est incompréhensible au commun des mortels."

Maurice G Dantec, Le théâtre des opérations, Journal métaphysique et polémique - 1999

 

11:10 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

C'est drôle, je crois que c'est sur votre blog que j'ai du lire ( après en avoir entendu parler sur le Ring ) mon premier texte de Dantec; c'était en 2005... le moyen-âge...

Ravi de voir que vous n'avez pas perdu le goût des bonnes et revigorantes lectures !

Écrit par : Ostia | 21/01/2014

Tant mieux... c'est dans ces instants-là que je réalise que mon amusement sert à quelque chose !

Écrit par : Nebo | 21/01/2014

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