21/07/2011
Comme l'écrivait Marx, "tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée et tout ce qui était sacré est profané"
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« Il apparaît en effet évident que l'accumulation du Capital (ou "Croissance") ne pourrait se poursuivre très longtemps si elle devait s'accommoder de l'austérité religieuse, du culte des valeurs familiales, de l'indifférence à la mode ou de l'idéal patriotique. Il suffit d'ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure pour constater, au contraire, que la "croissance" ne peut trouver ses bases psycho-idéologiques réelles que dans une culture de la consommation généralisée, c'est à dire dans cet imaginaire "permissif", "fashion" et "rebelle" dont l'apologie permanente est devenue la principale raison d'être de la nouvelle gauche (et qui constitue parallèlement le principe même de l'industrie du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique).
Comme le souligne Thomas Frank "c'est le monde des affaires qui, depuis les plateaux de télévision, et toujours sur le ton hystérique de l'insurrection culturelle, s'adresse à nous, choquant les gens simples, humiliant les croyants, corrompant les traditions et fracassant le patriarcat. C'est à cause de la nouvelle économie et de son culte pour la nouveauté et la créativité que nos banquiers se gargarisent d'être des révolutionnaires et que nos courtiers en bourse prétendent que la détention d'actions est une arme anticonformiste qui nous fait entrer dans le millénaire rock'n'roll."
C'est donc parce qu'une "économie de droite" ne peut fonctionner durablement qu'avec une "culture de gauche" que les dictatures libérales ne sauraient jamais avoir qu'une fonction historique limitée et provisoire : celle, en somme, de "remettre l'économie sur ses rails" en noyant éventuellement dans le sang (sur le modèle indonésien ou chilien) les différents obstacles politiques et syndicaux à l'accumulation du Capital.
A terme, c'est cependant le régime représentatif (dont l'ingénieux système électoral, fondé sur le principe de l'alternance unique, constitue l'un des verrous les plus efficaces contre la participation des classes populaires au jeu politique) qui apparaît comme le cadre juridique et politique le plus approprié au développement intégral d'une société spectaculaire et marchande ; autrement dit d'une société en mouvement perpétuel dans laquelle, comme l'écrivait Marx, "tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée et tout ce qui était sacré est profané". »
Jean-Claude Michéa, La double pensée, retour sur la question libérale
07:03 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je le trouve quand même très gonflé d'oser parler de "dictature libérale". C'est là un exemple patent de corruption du numéraire du langage, de la falsification de la parole -crime suprême pour un clerc. Il mériterait de vivre dans une authentique dictature, de trembler au moindre bruit suspect dans l'escalier, de se conchier lorsque on frappe à sa porte de manière imprévue (ça m'est arrivé l'autre jour : des ambulanciers qui s'étaient trompé. Je n'ai eu qu'une curiosité défiante, pas de peur. En régime dictatorial, c'eut été tout autre chose).
Il y a chez les gens comme Michéa un désir de mettre tout le mal qui est dans l'homme sur les seules épaules de la "société médiatique". La terreur devant toute évolution-révolution sociétale liée aux découvertes modernes (les médias proviennent du scientifique). Le vieux mythe de la créature de Frankeistein. Comme si l'or du Nouveau monde -due aux cartographie nouvelles du monde, même si Colomb avait des spéculations pour le moins étranges- n'avait pas été une révolution pour l'Espagne, et que le capitalisme qui commence par les machines à filer anglaises de 1620 (enfin dans ces eaux là) ne comportait pas en germes toute notre société. L'homme était-il plus heureux lorsque nul publicitaire ne le harcelait? je n'en suis pas du tout certain. Cette façon de prendre l'homme pour une pauvre petite chose fragile! il se porte très bien l'homme, il multiplie et prospère, il traversera encore bien des crises et pour l'instant, à côté de la guerre de 30 ans ou de celle de 100, des guerres de religion, des tumultes révolutionnaires avec terreur et conscription napoléonienne, nous ne sommes pas si mal. Bon, c'est vrai que je crois, avec Philip Roth dont le dernier livre , Exit le fantôme, m'a bouleversé, je crois disais-je que "Nous, les gens qui lisons et qui écrivons, nous sommes finis, nous sommes des fantômes qui assistons à la fin de l'ère littéraire". Il y a déjà eu une enquête sur la façon dont l'internet corrode nos habitudes de lecture, "je ne pourrai plus relire Guerre et paix" avouait un chercheur. Mais cette redistribution des habitudes de méditation culturelle, ça n'est pas dû à la publicité, à la consommation, mais au tropisme humain qui le pousse à inventer toujours. A inventer notamment des machines. On a hurlé que le train serait impossible, que son bruit détruirait nos oreilles, terroriserait les troupeaux sur sa route, que sa vitesse tuerait les gens, on a affirmé que la voiture serait une utopie ou que, là encore,sa vitesse serait insupportable au corps humain, que notre peau serait arrachée par la violence du vent ! (authentique hein). Maintenant on nous dit que la société médiatique est une dictature et qu'elle va nous priver de notre âme. Je connais ces débats, je les porte en moi, mais je ne me laisse pas dévorer par cette facilité avec laquelle un Michéa se laisser engloutir par son Saturne civilisationnel. Malgré mon accord avec Roth, je pense que -comme c'est arrivé lors du passage du parchemin à l'imprimerie- nous inventerons d'autres rapports à la culture, et que l'âme et l'homme se retrouveront toujours.
Ps en tous cas, on sait ce qu'il faut penser de sa vision du Chili. quant au sacré, il faut quand même bien voir que dès le 16ème siècle il est sérieusement atteint. qu'on compare avec le 13ème. Les temps modernes sont nés au 16ème, les libertins érudits et les Lumières ont continué le combat des humanises sceptiques fils des aristotéliciens padouans dont le combat débute très tôt.
allez, un lien vers un très grand bouquin, pour donner envie de dépenser 80euros ^^
http://books.google.fr/books?id=IeL29wMqdbgC&pg=PA41&lpg=PA41&dq=l'aristotélisme+padouan&source=bl&ots=
Écrit par : Restif | 21/07/2011
Ah ! C'est du Grand Restif, ça... y'a pas de doute... ^^ Et je suis entièrement d'accord avec toi là-dessus... et avec la famille Ilysienne qui, en général, approuverait, me semble-t-il, ta gueulante fort à propos.
Cependant, ça n'est pas la raison pour laquelle j'ai balancé cet extrait. J'aime balancer les extraits de personnes dont je ne partage pas entièrement les vues parce que je veux montrer que je ne suis pas sclérosé de la cervelle et limité ou, plutôt, que je n'adopte pas la posture de mes (nos) ennemis qui ne citeraient pour rien au monde, par exemple, Drieu, Maurrass ou Ayn Rand... sauf pour les détruire de bout en bout.
Moi, là, je balance une citation que je trouve intéressante pour d'autres raisons :
- Elle montre qu'au sein de la dite gauche il y a une schizophrénie totalement inconsciente. Le logiciel de gauche sert en effet les objectifs du "libéralisme transnational" (que Michéa nomme ici "économie de droite"). Or, les gens de cette "dite gauche" prétendent combattre ce "libéralisme transnational"... ce qui est comique. Il est intéressant de lire cela sous la plume de quelqu'un de gauche au lieu de le lire tout le temps sous la plume de Zemmour... ^^
- Elle est tout à fait pertinente, cette citation, dans l'analyse que Michéa a de la torsion qui s'exerce entre le monde ultra consumériste et ultra publicitaire et les valeurs, disons, "traditionnelle"... familiales, patriarcales... ou plutôt : Michéa reprend Thomas Frank :
"c'est le monde des affaires qui, depuis les plateaux de télévision, et toujours sur le ton hystérique de l'insurrection culturelle, s'adresse à nous, choquant les gens simples, humiliant les croyants, corrompant les traditions et fracassant le patriarcat. C'est à cause de la nouvelle économie et de son culte pour la nouveauté et la créativité que nos banquiers se gargarisent d'être des révolutionnaires et que nos courtiers en bourse prétendent que la détention d'actions est une arme anticonformiste qui nous fait entrer dans le millénaire rock'n'roll."
J'ai, pour ma part, déjà eu une bonne introduction de cette torsion en cours avec le livre du défunt Gilles Châtelet : "Vivre et penser comme des Porcs"... c'est une situation qui, à mon humble avis, tient moins du Libéralisme Classique que du Veau d'Or.
Il ne s'agit aucunement, pour moi, de rentrer dans le lard du "Libéralisme" comme nos thuriféraires des valeurs de gauche le font sans cesse, mais bien de présenter des pistes de réflexions quant à ce qui me semble, moi, menacer le libéralisme lui-même en nos temps apocalyptiques... ^^...car le ver est dans le fruit même... au sein de ce système économique, non pas pour ce qu'il est fondamentalement et qui honore, à mon avis, l'esprit humain : liberté d'entreprendre, d'innover, de créer des richesses, de donner du travail à des gens plus humbles et d'être simplement une dynamique dans l'avancée qui a porté notre civilisation où elle est... Les premiers Libéraux ne se réclamaient-ils pas du Décalogue ? ^^
:-)
- L'extrait de Michéa montre, aussi, que le Libéralisme lorsqu'il devient aveugle, c'est-à-dire plus une fin en soi qu'un outil, il devient un allié des postulats universalistes de gauche...
...ce qui indique, à un allumé comme moi, que la boucle est bouclé en nos temps, je le répète, APOCALYPTIQUES... qui se dirigent de plus en plus vers ce qu'Abellio appelait un paroxysme de paroxysme.
--J'avais déjà lu chez Marx un éloge du paysan anglais face au prolétaire... et de lire sous sa plume ce qui suit, que cite Michéa : "Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée et tout ce qui était sacré est profané."
Ma foi ça ne manque pas de piquant si un bobo festif prônant le "bien-vivre-ensemble", les "chances pour la France", "l'anti-wacisme idéologique", "le patriarcat comme menace" à sa jouissance et entrave à son imagination tombe là-dessus.
Écrit par : Nebo | 21/07/2011
Excellente analyse de J.C Michéa dont le cinglant état des lieux rejoint d'ailleurs en grande part celui de P. Muray, G. Bernanos, R. Millet, ou un autre auteur moins connu en France, Gunter Anders notamment dans son fameux Tome2 de "l'obsolescence de l'homme" publié assez recemment et que je me permets de recommander chaudement.
Le terme n'est pas trop fort quand vous qualifiez notre temps d'apocalyptique tant il est évident que l'époque moderne est marquée par l'angoisse, la déstructuration, et un insondable nihilisme.
Écrit par : Alban | 21/07/2011
Reste que notre société libérale, avec toutes ses injustices est encore la meilleure, Restif a parfaitement raison.
Écrit par : Rex | 21/07/2011
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