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29/01/2012

Ces habitants de l’irréel, les juifs imaginaires

=--=Publié dans la Catégorie "Le Salut par les Juifs"=--=

 

« Ce qu’il y a de juif en eux ce n’est pas, comme ils voudraient le croire, la sagesse de l’errance et la tristesse de la persécution, mais l’impotence d’un gros bébé couvé, pomponné, choyé, talqué jusqu’à son plus vieil âge. Signe particulier : maman. Ils se prennent, ces petits poussahs joufflus et surnourris, pour Isrolik, le petit poucet du ghetto, le môme de la débrouille. Ils cachent leur mollesse native sous le courage du réprouvé. Mais c’est une bravoure postiche : l’histoire juive est la berceuse de ces enfants maternés, la chanson qui peuple leur sommeil de rêves héroïques et qui leur permet de vivre par procuration l’expérience de l’horreur. Trouillards dans la vie, martyrisés en songe - ils aiment se tromper d’époque et confondre le monde ouaté où ils évoluent avec le cataclysme qu’ont subi leurs parents. Parmi les Juifs, ils constituent une catégorie étrange mais répandue, et qui n’a pas encore reçu de nom. Ils ne sont pas religieux, du moins pour la plupart : ils ont beau chérir la culture juive, ils n’en possèdent que de pauvres reliques ; ils n’ont pas fait dans le regard de l’Autre l’apprentissage de leur judéité. Ni la définition ethnique, ni la définition confessionnelle, ni le schéma sartrien ne sauraient leur convenir. Ce sont des Juifs indéfectibles, mais ce sont des Juifs pour du beurre puisque, après la Catastrophe, le judaïsme ne peut pas recevoir pour eux d’autre contenu qu’un contenu de souffrance, et qu’eux-mêmes ils ne souffrent pas. Pour nier cette contradiction, ils ont choisi de séjourner dans un espace romanesque plein de bruit et de fureur et qui leur fait la part belle. Tels des fanatiques de l’imprimé qui fuient, par la lecture, l’ennui provincial où ils languissent ; tels des spectateurs qui précipitent leurs rêves, leurs désirs, leurs frustrations dans une intrigue haletante qu’ils ne vivront jamais -, ces jeunes gens hypnotisés procèdent par identification : ils ont pris pension dans la fable ; le judaïsme dont ils se réclament les ravit à eux-mêmes et les transporte magiquement sur une scène qui les élève et qui les sanctifie. Ces habitants de l’irréel, plus nombreux qu’on ne le pense, je propose de les nommer Juifs imaginaires. »

Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire

18:27 Publié dans Le Salut par les Juifs | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Je trouve ce texte excellent. Merci !

Écrit par : Melle H. | 02/02/2012

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